1995, l’année où tout a basculé
Il y a vingt-cinq ans, le football vivait une année particulière. Tandis que les terrains consacraient le beau jeu et la formation, la révolution libérale était en marche.
1995 fut une drôle d’année pour le foot. Elle a commencé par une éclatante démonstration de foot à la nantaise au Parc des Princes et s’est conclue par un acte judiciaire qui allait bouleverser le marché des transferts.
En moins de douze mois, de Patrice Loko à Jean-Marc Bosman, on est passé de l’ode à la formation au triomphe de la dérégulation des transferts.
À bonnes écoles
1995 fut donc une grande année pour le foot nantais. Après avoir dominé le PSG (3-0) au Parc des Princes, les hommes de Jean-Claude Suaudeau balayent le championnat de France et terminent l’épreuve avec une seule défaite au compteur.
L’adhésion est totale autour de l’équipe nantaise. Un collectif comme on en rêve avec plus de la moitié de l’équipe type formée au club, des garçons jouant toujours avec un temps d’avance sur des adversaires qui n’ont pas appris le foot ensemble.
Une philosophie similaire à celle du club nantais se projette au plus haut niveau européen avec l’Ajax d’Amsterdam de Louis van Gaal, qui remporte la quatrième C1 de son histoire. En finale, l'Ajax vient à bout de l’AC Milan avec une équipe en grande partie formée au club.
1995 fut donc une grande année pour le foot de formation. Paradoxalement, c’est à la fin de cette même année qu’une révolution juridique va bouleverser le paysage du foot européen, et marquer la relégation des grands clubs formateurs.
Règle de trois
Depuis cinq ans, l’attaquant belge Jean-Marc Bosman est engagé dans une procédure contre l’UEFA faisant suite à un transfert raté qui l’a mis au chômage.
Le joueur, inconnu du grand public, voulait quitter le RFC Liège pour l’US Dunkerque – autant dire une affaire de faible intérêt qui n’avait d’ailleurs suscité que les bâillements des dirigeants du foot européen. Le 15 décembre 1995, la Cour de justice européenne lui donne pourtant raison.
Le premier attaquant à avoir donné son nom à un arrêt a donc introduit le droit commun dans les règlements du foot mondial, et la notion de libre circulation dans les effectifs. Jusqu’alors, les clubs de foot n’avaient pas la possibilité d’aligner plus de trois joueurs étrangers dans leur onze de départ.
Une règle assez fluctuante d’un pays à l’autre, avec quelques spécificités sur lesquelles on s’attardait peu: des Écossais et des Gallois dans les clubs anglais, des Africains dans les clubs français, des Hollandais et des Danois dans les clubs belges…
L’UEFA avait quelque peu resserré ses textes à la fin des années 1980 en avançant la notion de joueur "non-sélectionnable", qu’elle limita à trois pour ses épreuves européennes. C’est cette règle globalement admise qui vola en éclat avec l’arrêt Bosman.
images : Old School Panini
Le foot-business sur orbite
Désormais, tout club de l’Union européenne peut recruter autant de joueurs qu’il le désire, quelle que soit sa nationalité. Cette mesure fait bien entendu la joie des joueurs et de leurs agents. Elle favorisera surtout le pillage des clubs formateurs.
Elle entraînera aussi le foot européen vers une standardisation des effectifs et du jeu pratiqué. Finies les oppositions de style entre Nordiques et Latins, entre football total et catenaccio. De Barcelone à Manchester, de Munich à Turin, on jouera peu ou prou le même football – en fonction de ses moyens financiers.
La procédure de Jean-Marc Bosman n’est bien sûr pas la seule responsable du basculement du foot vers une dérégulation excessive. Quelques années auparavant, le championnat anglais avait lancé le mouvement en créant la Premier League, épreuve entièrement financée par les droits de télévision.
Depuis 1992, la bonne vieille Coupe d’Europe des clubs champions s'est transformée en Ligue des champions, un show télévisé tellement rémunérateur pour les clubs qui y participent que ceux-ci allaient peu à peu fermer la porte pour se partager le butin.
Démantèlement en règle
Quant à la règle des trois étrangers, elle était déjà sérieusement malmenée par des clubs très influents, notamment l’AC Milan et le FC Barcelone qui n’hésitaient plus à recruter des joueurs étrangers au-delà du nombre autorisé.
Un casse-tête pour les entraîneurs qui devaient inventer un habile turnover pour n’en aligner que trois sur la pelouse. Un moyen de pression supplémentaire de la part des clubs qui réclamaient un assouplissement des règlements.
Jean-Marc Bosman a fait plier l’UEFA plus rapidement que les clubs. Il eut été moral qu’il soit embauché par une des grandes équipes qui bénéficièrent de son combat juridique. Au lieu de quoi, le joueur belge fut laissé à son sort, vainqueur au nom célèbre, mais paradoxalement ruiné et oublié.
Le FC Nantes disputera la Ligue des champions en 1995/96 et parviendra même en demi-finale. Il s’en sera fallu de peu qu’il ne croise l’Ajax Amsterdam pour une finale hautement symbolique, la dernière opposant deux clubs formateurs avant un démantèlement en règle et l’entrée dans l’ère du football post-Bosman.
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