À qui la faute ?
Lyon perd-il la finale de la Coupe de la Ligue sur une erreur d’arbitrage? Bien sûr que non. Mais pourquoi le croire et le revendiquer? Pourquoi refuser ainsi de prendre ses responsabilités?
Elle est pratiquement infinie, la liste des raisons qui peuvent expliquer nos succès ou nos échecs (individuels ou collectifs). Humeur, qualités et défauts, obstacles extérieurs, environnement familial, stress, ambition, contexte politique, pression médiatique, superstition, confiance en soi, arbitrage, chance, moral, morale, conditions météorologiques…Expliquer quoi que ce soit devient décourageant, surtout si une raison forte n’apparait pas nettement.
Pourtant, contre toute attente, ces raisons peuvent aisément être rangées en deux catégories claires et distinctes: on explique soit par ce qui vient de la personne (humeur, qualités, caractère…), soit par les circonstances (obstacles extérieurs, contexte économique, environnement familial favorable, tirage défavorable…). Et généralement, en réalité, on explique adroitement les succès et les échecs en combinant un peu des deux.
À quand la faute?
On pourrait penser que cette distinction en recoupe une autre: puisqu’on est à la place de soi et pas à celle des autres, il semble logique d’expliquer ses propres actions par les raisons personnelles, et celles des autres, par les circonstances. Mais pas du tout. On choisira d’expliquer plutôt par la personnalité ou plutôt par les circonstances en fonction d’un autre critère, en fonction du clivage fondamental, de l’alternative grave: qui voudra-t-on responsabiliser? "À qui la faute", en dernière instance? En effet, expliquer par la personne permettra de responsabiliser, et expliquer par les circonstances, de déresponsabiliser l’individu ou l’équipe (en responsabilisant les circonstances).
Et pour comprendre "qui" on responsabilise (l’individu ou les circonstances), il devient décisif de regarder "quand" on responsabilise tel ou tel. D’observer les usages, les moments où telle branche de l’alternative est choisie plutôt que l’autre. On s’aperçoit alors qu’il y a un contexte on l’on cesse volontiers, voire perpétuellement, de responsabiliser sa propre personne. C’est dans l’échec. On réussit grâce à soi (témérité, optimisme), mais on échoue à cause des circonstances (bâton dans les roues, coup du sort, méforme conséquente à une blessure). En revanche autrui échoue évidemment toujours par sa faute ("les chômeurs devraient se bouger un peu") et ne réussit guère que grâce aux circonstances (piston, aides sociales).
Les auteurs de Comics, les scénaristes hollywoodiens ont attendu longtemps (et Disney, contrairement à Pixar par exemple, attend encore) pour introduire la circonstance dans la psychologie du méchant. Parce que, vous comprenez, les conjonctures pourraient justifier, légitimer, excuser; la circonstance, on le sait, est atténuante – or, le méchant doit être méchant par définition, c’est le gentil qui a droit à la subtilité et l’ambiguïté des motivations (et Spiderman est le héros le plus profond, car il est parfaitement co-responsable de la mort de son oncle, il n’a pas la pseudo culpabilité habituelle et superficielle du mec qui s’en veut alors que le spectateur sait qu’il n’a dans le fond rien à se reprocher – genre Batman).
Pourquoi la faute?
Ainsi, quand est-ce qu’on implique la personne, ses qualités, son caractère, son implication? Quand on estime qu’elle doit répondre de ses actes. Et c’est facile de répondre de ses actes lorsqu’ils sont victorieux; plus facile en tout cas que de reconnaître que celui qui a fait mieux que soi le doit à lui-même plus qu’à la chance, ou autres circonstances favorables (de jaune vêtues).
Attention, il n’est pas jamais pertinent de nier les circonstances – mais il est toujours obligatoire de regarder aussi en soi. De regarder d’abord en soi. Peut-être y trouvera-t-on aussi des raisons. Des raisons à l’échec, s’entend, parce qu’on l’a vu, les raisons du succès, c’est dans les circonstances qu’on se dispense volontiers de les identifier, puisqu’on a y rien à gagner d’identifier des soutiens: on a au contraire tout à y perdre (puisqu’on perd du mérite). Peut-être ne trouvera-t-on rien, en soi, qui nous accuse réellement, qui nous enfonce, qui nous responsabilise, ou peut-être n’y trouvera-t-on pas grand-chose, pas grand-chose par rapport au poids souvent terrible des circonstances, et on devra alors regarder autour. Voir quelle est la marge de manœuvre pour avancer face aux vents contraires.
Mais peut-être, en regardant aussi attentivement en soi que du côté des circonstances, verra-t-on qu’on n’avait de toutes les façons pas "la main sur la partie", pas fait les bons choix, pas pris l’avantage, pas les armes, pas le talent, pas l’implication dès le coup d’envoi.
Le courage d’être en faute
Prendre ses responsabilités, ne pas se réfugier dans l’accusation des circonstances (arbitres, sort, complot…), regarder sa responsabilité à soi, cela ne demande pas seulement de la lucidité, ou de l’honnêteté. Cela demande du courage. Le courage que Garde et Aulas n’ont pas démontré, contrairement à Lopes, étonnament. Lopes dont les larmes ont exprimé la responsabilité, sans qu’on puisse lire dans ses yeux le moindre ressentiment, la moindre animosité. Dure loi du sport: on fait le maximum, on s’entraîne toujours plus dur, on se prépare, on planifie, on se concentre, on se motive, on veut gagner plus que tout, et puis parfois on perd, on doit admettre qu’on a fait une erreur, qu’on a commis une faute. Qu’on a sa part de responsabilité, et potentiellement, qu’elle est grande.
Lorsqu’on refuse ne serait-ce que l’éventualité d’avoir sa part de responsabilité, qu’on a de l’amertume au point de ne pas tendre la main pour saluer l’arbitre, c’est peut-être parce qu’on n’a pas la bravoure pour le faire. La noblesse de savoir perdre. D’applaudir l’adversaire vainqueur. Le secret du sport, le secret des finales, est de toujours "faire le maximum". Pourquoi? Pas seulement pour gagner (pour gagner il est parfois préférable de déjouer que de tout donner). Pourquoi "tout donner"? Parce que tomber sur plus fort permet de basculer la responsabilité vers les circonstances: la supériorité inéluctable de l’autre. Comme la Roma et son record historique de victoires, deuxième derrière la Juve. C’est cela que signifie "ne rien regretter": ne pas s’accuser soi. Pas facile! Parce que reconnaitre la supériorité de l’autre peut évidemment être vécu comme un tort à soi (il fallait s’entraîner plus dur, être plus motivé encore, etc.). Sauf quand on a le sentiment sincère d’avoir fait le maximum. Y croire et y tendre est le critère des grands champions; l’erreur est alors une tragédie au sens propre. Le joueur pleure.
Se déresponsabiliser complètement comme l’on fait Garde et Aulas, revendiquer qu’un dû (la liste d’Aulas des points perdus!) a été volé par les circonstances, ce n’est pas le critère du sport de haut niveau. C’est le critère du caprice de haut vol.