Analyse littéraire : le communiqué officiel de l'OL
Le communiqué n\'est pas la moindre des spécialités lyonnaises: exemple avec une charge de l\'OL contre L\'Équipe de Jérôme Touboul.
La rédaction d’un communiqué est un exercice périlleux, nécessitant de mettre en œuvre des stratégies discursives diverses et souvent très complexes. La présente analyse, portant sur un communiqué de l’Olympique Lyonnais (COOL pour les spécialistes) daté du 2 octobre 2011, se propose ainsi de mettre à jour les processus d’écriture complexes et subtils qui sous-tendent ce type du texte.
La première spécificité du genre littéraire du communiqué concerne sans aucun doute le traitement particulier des "seuils" du récit, pour reprendre la terminologie de Genette. On insistera tout d’abord sur l’aspect iconographique du communiqué: celui-ci est systématiquement annoncé par une image composée d’un fond bleu représentant le logo du club, et par un texte extrêmement laconique, "communiqué du club", en blanc et rouge. Il s’agit ici de favoriser l’identification du supporter par le rappel des couleurs de l’entreprise, de manière à faire naître en lui une adhésion au contenu même du communiqué.
Le deuxième point essentiel à considérer, avant de procéder à l’analyse du texte proprement dit, concerne le titre, "Pourquoi le journaliste de L'Équipe, Jérôme Touboul, a choisi son camp?" L’une des caractéristiques essentielles du communiqué est l’absence de titre nominal. Notre exemple s’ouvre ainsi sur une phrase complète, que l’on peut d’ores et déjà qualifier d’interrogation rhétorique. Procédé stylistique bien connu depuis l’Antiquité, l’interrogation rhétorique consiste à énoncer une affirmation sous la forme d’une question. L’exemple analysé ici est particulièrement révélateur: les marques de l’interrogation (inversion du sujet, présence de "est-ce que") sont effacées, renforçant la proximité avec l’assertion. Seule la ponctuation permet au lecteur de savoir qu’il s’agit d’une interrogative. L’idée que M. Touboul a "choisi son camp" est donc posée comme fait, ne prête pas à discussion. Il ne s’agit pas d’enquêter sur les raisons qui font que le journaliste a choisi son camp, mais de les présenter de manière argumentative dans le texte qui suit.
Le second trait stylistique remarquable de ce titre est la présence d’une périphrase, "journaliste de L'Équipe", précisée par une apposition, "Jérôme Touboul". Ce procédé oratoire permet d’accentuer la vigueur de l’attaque et de concentrer la critique sur un seul homme. On voit déjà se dessiner l’opposition entre le collectif, symbolisé par l’image "Communiqué du club" et l’absence de mention de l’auteur du communiqué, et l’individuel (Jérôme Touboul), qui sous-tend le texte dans son entier.
La structure du communiqué est immédiatement reconnaissable par tout supporter de l’OL: il est en effet composé de trois phases rappelant de manière évidente le fonctionnement élémentaire du syllogisme. M. Touboul donne une information sur le passé. Or, cette information est reconnue comme fausse. Donc M. Touboul cherche à mettre la pression sur le meilleur club du monde.
I – Onanisme journalistique et onirisme sportif
La phrase suivant le titre met en avant l’importance de l’événement. On observe un emploi original de la virgule "depuis, quelques jours déjà,". Cette anacoluthe (rupture de construction) attire l’attention du lecteur sur l’aspect temporel de la phrase. Le battage médiatique autour du match contre le PSG est ainsi présenté comme un phénomène long. En outre, la présence d’hyperboles comme "premier grand sommet" vise à mettre en avant la singularité de l’événement, à lui donner un poids essentiel. L’utilisation du discours direct pour rapporter les propos de L'Équipe met bien en avant de quelle manière le rédacteur du communiqué se détache du quotidien. Il reprend son propos pour le tourner en dérision.
Le terme fondamental de cette première phrase est bien évidemment "rêvait", employé ici en syllepse (selon un double sens). La reprise par le polyptote "rêvait" / "rêver" marque bien la différence d’acception que donnent à ce mot le journaliste et le rédacteur du communiquer au verbe. Connoté positivement dans le premier cas, il se voit attribuer ensuite un sens éminemment péjoratif, dans la mesure où il est associé aux sèmes dysphoriques du substantif "affabulation".
Le "rêve" devient un facteur de tension. Le rédacteur du communiqué continue d’individualiser l’élément perturbateur, en l’occurrence l’écrivain, pour l’opposer à cette entité collective qu’est l’Histoire, aux faits, à la réalité. On retrouve ici les grands débats de la littérature mondiale autour de la question de la mimésis. Le communiqué prend alors un tour accusateur. Par l’intermédiaire de l’épanorthose, "ou l’arrange", l’auteur dénonce le parti pris par M. Touboul.
II – Communiqué et philosophie antique
La deuxième partie du communiqué va s’appuyer de nouveau sur des références antiques. Après avoir posé la thèse que l’article du journaliste de L'Équipe manquait de neutralité, le rédacteur étaye son propos en poursuivant sa réflexion sur la mimésis. Le troisième paragraphe est en effet sous-tendu par l’antithèse entre "l’écriture" et la "vérité". De même que Platon posait le problème de la relation entre l’image et son modèle, le rédacteur du communiqué réfute toute identité entre la réalité et sa retranscription dans l’écrit.
S’appuyant sur les grands théoriciens de la mimésis que sont Platon et Aristote, le rédacteur anonyme du communiqué peut ainsi attaquer vigoureusement son adversaire dans le quatrième paragraphe, qui multiplie les termes dysphoriques ("fausse", "hors jeu", "insidieux", "malhonnête"), et, en bon connaisseur de la rhétorique antique, mettre à jour les faiblesses argumentatives de son prestigieux adversaire.
III – L’hyperbolisation de la faute
Les deux derniers paragraphes du texte reprennent largement des éléments déjà évoqués au cours de l’analyse: en guise de bilan, l’auteur réaffirme la supériorité du collectif sur l’individu, comme le montre les jeux de chiasme qui structurent la première phrase (tout le monde / celui ; peut / pas ; se tromper / connaître). Il se pose, par l’emploi du présent de vérité générale, comme moraliste dévoilant à la face du monde les "agissements" contraires à l’ordre moral et les valeurs incarnés par l’Olympique Lyonnais.
L’accumulation d’hyperboles et la gradation qui structurent la phrase suivante visent à montrer l’influence désastreuse que peut avoir un seul homme sur une société. On passe en effet de "Jérôme Touboul" à "l’ensemble des observateurs".
Le communiqué s’achève sur une phrase laconique, qui s’oppose aux arabesques affabulatrices du journaliste de L'Équipe. À ce dernier, qui se perdait en chimères, le rédacteur du communiqué oppose, en guise de conclusion à cette subtile réflexion sur le rêve et la réalité, une "certitude" apte à rassurer ses lecteurs supporters de l’Olympique Lyonnais. Ceux-ci ne sont pas du côté de la paranoïa, mais de la vérité.
Texte initialement posté sur le fil "Gerland à la détente"
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