Arsenal-Liverpool: splendeur et misère du foot anglais
Voilà donc, deux jours après la première, la deuxième journée d'un championnat anglais dont le calendrier est totalement déréglé par les télévisions. Quand on ne joue pas à midi, on joue le lundi: c'est le cas de cet Arsenal-Liverpool, dont l'affiche semble en outre arriver bien tôt dans la saison.
A Highbury , du fait de la petite taille du stade, la réalisation télévisuelle change agréablement et rapproche le téléspectateur de l'action: la caméra principale est placée à la fois plus bas et plus près du terrain que dans la majorité des stades. On échappe donc aux plans larges habituels qui surplombent excessivement le jeu et écrasent la perspective. L'impression de vitesse est saisissante, ainsi que la possibilité de voir vraiment les duels, même si le manque de recul oblige à des mouvements du type spectateur de tennis. Le réalisateur anglais, très sobre, n'intercale des plans serrés sur les joueurs ou des ralentis que lors des arrêts de jeu. On est très loin des mises en scène de certains virtuoses français qui feraient bien d'épurer un peu leur style. Fin de la parenthèse.
Sous le coup d'une défaite contre Sunderland, Arsenal a pourtant très vite montré une plus grande maîtrise du jeu, remettant déjà quelques pendules à l'heure. Les départs d'Overmars et Petit ne sont pas négligeables, mais l'effectif londonien a toujours de quoi impressionner. Le recrutement bien inspiré est d'ailleurs salué par le but de Lauren, milieu offensif côté droit, qui nous avait impressionné à la Coupe d'Afrique des nations avec le Cameroun. Son homologue sur le flanc gauche n'est autre que Robert Pires, très actif et à créditer d'un bon match. Henry quant à lui semble toujours planer et son activité est impressionnante: il place deux jolis tirs, imité par Grimandi, mais le score ne change pas avant la pause. Entre-temps, McAllister s'est rendu coupable d'un attentat sur Vieira et est rentré prématurément au vestiaire. On se dit à cet instant que l'arbitre fait un poids, une mesure, et protège cette fois le milieu français, exclu à la première journée mais présent ce soir (dans l'attente de sa sanction).
La domination d'Arsenal reste évidente au début de la seconde période, mais les Reds en jaune vont parfois très vite vers le but de Seaman par quelques rushes de Heskey, et Hamman oblige le gardien à une belle parade sur un tir puissant.
Il était dit que cette rencontre plaisante devait malheureusement abandonner la logique sportive pour basculer dans les mesures disciplinaires, et l'on a vu un témoignage exemplaire du traitement infligé à Patrick Vieira à la fois par ses adversaires et par les arbitres. Presque systématiquement agressé, notamment par Carragher, il reçoit un premier carton pour avoir réagi trop vivement. A nouveau victime d'une charge sauvage de Hamman, il craque en le taclant rudement quelques secondes plus tard. L'arbitre a peut-être conscience de s'être trompé, mais il ne se rattrape certes pas avec l'expulsion de l'Allemand pour une faute bénigne sur Pires. Le but d'Henry sur un contre parfait viendra adoucir le goût amer d'une victoire d'Arsenal, qui a peut-être perdu ce soir l'un des meilleurs milieux de terrain au monde.
En jetant son maillot au sol, Patrick Vieira a en effet montré très clairement la gravité de son divorce avec le football anglais, et exprimé en même temps son renoncement à s'y adapter. Lors d'un tel match, on a vu le harcèlement et les provocations permanentes dont il fut l'objet. Il existe encore en Angleterre des joueurs du type de Carragher, sortes de bouledogues dressés à seules fins de destruction qui auraient été à leur aise dans certaines défenses centrales allemandes ou néerlandaises des années 80, mais dont on comprend mal l'impunité actuelle. L'éternel débat sur le provocateur toujours moins sanctionné que sa victime ne va pas être tranché ce soir, mais les arbitres tels que celui-ci se montrent impuissants à empêcher le jeu de dégénérer complètement. Sachant que le contexte médiatique des tabloïds encourage de tels lynchages, le problème est loin d'être résolu. On peut d'ailleurs faire le lien entre le traitement réservé aux joueurs étrangers et une certaine xénophobie spécifiquement anglaise, justement relayée par ces journaux.
Le sort de Vieira est d'autant plus cruel qu'il était encore en train de réaliser une grande performance. L'électrochoc de son éventuel départ pourrait provoquer un débat outre-Manche, si un club majeur devait se priver d'un joueur essentiel pour des raisons aussi absurdes, d'un joueur qui n'a jamais connu de problèmes disciplinaires en sélection. Les alibis "ethniques" (du genre le "défi physique" est une tradition dans ce pays) résisteront-ils à une réforme? Le foot anglais est parvenu à expulser les hooligans des tribunes, il lui reste à faire de même sur la pelouse...
PS: Peut-être cet article cède-t-il à quelques accès de chauvinisme en ne disant pas que l'Angleterre n'a pas l'exclusivité de tels comportements (qui semblent cependant plus radicaux là-bas). Mais la vue du match avait de quoi faire perdre ses nerfs au spectateur aussi.