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Bernabéu et l'invention du Real

Pour faire la grandeur du Real Madrid, Santiago Bernabéu commença par construire le stade qui alait porter son nom. Récit d'une conquête dans l'Espagne franquiste.

Auteur : Aurélien Ros le 29 Avr 2013

 


Le football fut une victime collatérale de la guerre d’Espagne. Au-delà des combats, aucun aspect de la vie sociale, des loisirs et de la vie "civile" n’a été épargné par la guerre. Ainsi, il ne restait plus grand-chose du Real Madrid lorsque Pablo Coronado et une poignée de Madridistas, dont l'ancien joueur Santiago Bernabéu ont décidé de sauver le club en 1939. Les membres de ce "comité de sauvetage" se sont attelés à restaurer le prestige de l’un des meilleurs clubs espagnols de la période républicaine [1].
 

Pendant la guerre, le club avait perdu environ la moitié de ses joueurs (un fusillé, les autres en exil ou retraités), mais également la plupart de ses dirigeants (en prison comme l’ancien président Sanchez Guerra, voire assassinés par les milices républicaines comme le vice-président ou le trésorier). Enfin, le vieux stade de Chamartín avait été partiellement détruit et avait servi de camp pour les prisonniers républicains.
 

 



 


Sur des ruines

Il faut donc considérer l’ampleur de la tâche accomplie par l’équipe de Coronado, qui a réussi à reconstruire le club malgré des finances dans le rouge. À l’image d’une Espagne exsangue, le club vivota pendant quelques années jusqu’au tournant de 1943 qui vit les démissions successives de la direction du FC Barcelone et de celle du Real Madrid à la suite du scandale de l’édition 1943 de la Coupe du Généralissime, dont les demi-finales entre le Barça et le Real furent marquées par des violences dans les stades et des scores stupéfiants sur les terrains (3-0; 1-11).

 

Les nouvelles autorités sportives et politiques ne purent laisser passer de tels débordements, en contradiction avec la vision franquiste d’un "sport fraternel et unificateur de tous les frères d’Espagne" [2]. À ce moment-là, le Real était encore très loin des meilleurs clubs du pays et surtout de son puissant voisin: l’Athletic de Aviación (Atletico Madrid) qui bénéficiait de généreuses subventions et du soutien de l’armée, tandis que le Real n’avait "même pas cinq centimes" [3] pour recruter le légendaire gardien Zamora.
 

C’est ainsi que Santiago Bernabéu de Yeste devint président du Real Madrid. Témoin en tant que joueur de la naissance du professionnalisme et de l’irruption de l’argent dans le football, il avait beaucoup appris aux côtés de Coronado en tant que dirigeant. Ces expériences ont forgé sa future vision de président.

 

Dès sa prise de fonctions, il lança son projet de construction du grand stade qui était selon lui la clef pour faire du Real un très grand club à la hauteur de ses ambitions. Président paternaliste "à l’ancienne", Santiago Bernabéu est également le précurseur de ce que l’on appelle le foot-business.
 


Homme de droite

Il faut préciser d’emblée que Bernabéu n’a jamais reçu le moindre soutien de la part du régime, ni pour lever des fonds, ni d’un point de vue sportif. Pour financer le nouveau stade de 75.000 places (puis 120.000), il a dû lancer une souscription populaire qui rencontra un succès inattendu.

 

D’une manière générale Bernabéu s’est toujours protégé des intrusions du monde politique dans le sport, et si son amitié avec le général Augustin Muñoz Grandes [4] lui permit un accès direct aux hautes sphères du pouvoir, il n’a jamais été un actif partisan du "franquisme". Il se place cependant sur la droite de l’échiquier politique, et il n’a jamais caché son amitié avec Gil-Robles [5], ce qui lui valut d’être persécuté par les milices républicaines en 1936.
 

Fervent défenseur du centralisme et de l’unité nationale, il s’engagea dans l’armée nationaliste en 1938, moins par franquisme militant que par réaction à ce qu’il a perçu comme une menace communiste. Mais en privé, "Don Santiago" s’est souvent illustré par ces piques lancées contre le régime.

 

Il a aussi veillé personnellement à maintenir des relations avec la famille royale en exil et il n’a jamais caché sa préférence pour une succession monarchique à Franco, comme le démontre sa proximité avec Juan Carlos. Il s’est d’ailleurs toujours tenu en retrait du monde politique avec lequel son club traitait par l’intermédiaire de Raimundo Saporta. On ne peut pas dire pour autant que Bernabéu se soit senti mal dans la société franquiste, bien au contraire [6].
 


Di Stefano, première étoile

Bien décidé à mettre en place une gestion de type entrepreneuriale, Bernabéu se servit des ressources dégagées par la billetterie et de la garantie financière du grand stade pour lancer une politique de recrutement à la hauteur de ses ambitions. Il s’efforça d’attirer régulièrement à Madrid les meilleurs joueurs du monde. En cela, Florentino Perez n’a rien inventé avec ses Galactiques.

 

La première étoile de la constellation des années 50 fut Alfredo Di Stefano, dont le recrutement rocambolesque a véritablement mis le club sur orbite. On a souvent lu que le Real avait bénéficié d’un appui politique pour chiper la star argentine au Barça. En réalité, un examen des sources permet surtout de conclure à l’incompétence et au manque de volonté des dirigeants catalans, qui n’ont pas aligné les millions de pesetas nécessaires pour régler le transfert définitivement.

 

Di Stefano, dont la situation juridique traduit bien le manque de gouvernance d’un football en pleine dérive libérale, appartenait à la fois au Millonarios de Bogota et à River Plate, mais le Barça n’a acheté que la partie argentine des droits sur le joueur, refusant de négocier avec les Colombiens. C’est à ce moment que Saporta, le bras droit de Bernabéu, s’engouffra dans la brèche juridique pour se porter acquéreur de l’autre moitié des droits [7].
 

 

MADRID - Real Madrid viert de Europacup I overwinning. V.l.n.r.: Raymond Kopa, S…
Raymond Kopa, Santiago Bernabéu, Alfredo Di Stefano et Francisco Gento en 1956 (photo ANP)


 

La billetterie n’étant pas suffisante pour faire face à l’inflation des salaires des nouvelles stars (Puskas, Koksis, Kopa), Bernabéu fut en permanence à la recherche de nouvelles sources de revenu. Il eut l’idée visionnaire de déposer la marque "Real Madrid" dès 1947 afin d’éviter une spoliation commerciale et de développer un futur marketing de club. Il tenta aussi de mener une campagne médiatisée pour une répartition plus égalitaire de l’argent des pronostics sportifs (Quiniela), mais il s’opposa à la fermeté des autorités franquistes qui prélevaient jusqu’à 22% des bénéfices liés aux jeux, soit la somme astronomique de 261 millions de pesetas en 1963.
 


Tournées estivales et droits TV

Le Real Madrid innova également en monnayant sa renommée internationale par des tournées estivales de plus en plus rentables, bien qu’elles soient soupçonnées de fatiguer les joueurs en alourdissant leur calendrier (déjà à l’époque). La cinquième coupe d’Europe remportée par le Real Madrid en 1960 fit ainsi grimper les enchères. Le Real joua un match amical de prestige au Brésil face au Vasco de Gama dans le Maracaña de Rio de Janeiro, devant 200.000 spectateurs, ce qui lui rapporta 75.000 dollars – soit quasiment 4 millions de pesetas.
 

Enfin, le dernier gros enjeu financier de l’ère Bernabéu fut l’apparition de la retransmission télévisée des matches de football et des droits de diffusion afférents, vers la fin des années 50. En septembre 1960, le match retour de la toute première Coupe Intercontinentale fut vu par 150 millions de téléspectateurs, dans 13 pays. Le sport de masse était entré dans les foyers. B

 

ernabéu y vit plutôt une menace pour la fréquentation de son stade, qui, rappelons-le, était son fonds de commerce. D’autant plus que les clubs ne recevaient, dans un premier temps, absolument aucune contrepartie financière à la diffusion de leurs matches en Eurovision. Une altercation eut lieu en 1959 entre Bernabéu et Camilo Alonso Vega, alors ministre de l’Intérieur.

 

Don Santiago voulait empêcher la rediffusion à la télévision des matches de son équipe, mais le ministre avait fait passer un décret obligeant la diffusion de tout ce qui est jugé d’"intérêt public" par le Gouvernement, le football entrant dans cette catégorie. Le problème ne fut jamais réellement réglé et ce fut un cheval de bataille permanent pour Santiago Bernabéu. Jusqu’aux années 80, le Real Madrid se sentit frustré vis-à-vis de l’exploitation de son image et de ses prestations sans contrepartie financière.
 

 



 

Lorsque Santiago Bernabéu s’éteignit en 1978, il était devenu "la deuxième personne la plus importante d’Espagne après Franco" [8]. Inventeur du football-spectacle et principal acteur de la modernisation du sport espagnol, Bernabéu se refusa à toute forme d’ostentation. Il a toujours évoqué la base sociale du club comme l’essence même de son identité et seule source de légitimité. Il ne toléra jamais qu’aucun joueur ni aucun dirigeant ne se considère au-dessus des intérêts du club auquel il consacra sa vie sans ne jamais réclamer aucune autre rétribution que celle de la reconnaissance des Madridistes.
 


[1] Le Real avait fini second du championnat et avait gagné la Copa en 1936.
[2] Ángel Bahamonde Magro, El Real Madrid en la historia de España, Madrid, Taurus, 2002, p.206.
[3] Lettre de Coronado au président du FC Séville. Voir l’intégralité de ce courrier dans l'ouvrage cité ci-dessus.
[4] Ils se sont connus pendant la guerre civile dans l’armée du Maroc. Muñoz fut successivement ministre Secrétaire Général du Mouvement (1939-1940) puis général de la « Division Azul » pendant la Seconde Guerre mondiale (décoré par Hitler), puis ministre de l’Armée (1951 – 1957) et enfin vice-président du gouvernement.
[5] Gil Robles est le fondateur de la CEDA (Confédération Espagnole des Droites Autonomes).
[6] Eduardo Gonzalez Calleja, “El Real Madrid, '¿Equipo del Régimen'?”, in Esporte e Sociedade, mars 2010, n° 14, p. 7.
[7] Un futur article détaillera les manœuvres et rebondissements de "la saga Di Stefano".
[8] Martinez Laredo dans ABC, 3 juillet 1978, p. 45.

 

Réactions

  • Ba Zenga le 29/04/2013 à 10h05
    Article très informatif et qui éclaircit certains clichés associés à ce qui reste le club le plus prestigieux du monde. Merci.

  • A la gloire de Coco Michel le 29/04/2013 à 12h26
    Merci pour cet article bien instructif.

    Une question me vient à l'esprit; quand et comment a été introduit le système des socios en Espagne, et au Real Madrid en particulier ?

  • Espinas le 29/04/2013 à 14h34
    Bel article sur le modèle économique du Real dans les années 50, qui lui a permis de truster les premières coupes d'Europe des clubs champions.

    Par contre, c'est moi ou l'article fait preuve de bien plus de mansuétude pour Bernabeu, où chaque fait est édulcoré par un commentaire que pour Marcel Saupin à Nantes?


  • Tarama Vahirua le 29/04/2013 à 15h21
    Aha, je me faisais la réflexion également, Espinas.
    Peut-être que les implications de l'un sont moins profondes que celles de l'autre.

    Article très intéressant quoi qu'il en soit. C'est toujours un plaisir de lire ce type de papier.

  • leo le 29/04/2013 à 18h19
    Très bon article, gracias.

    Espinas, Tarama>la différence vient peut-être de la vision habituelle (et démontée par cet article) du Real Madrid comme club "officiel" du franquisme.

    Dans le cas du FCNA, le ton est "ils sont pas si gentils que ça", ici, c'est "c'était pas si pire".

  • O Gordinho le 29/04/2013 à 18h45
    Bonjour.
    Je suis l'auteur.
    En ce qui concerne le système des socios, on ne peut pas dire qu'il a été "introduit" car il est né avec les clubs. Notez que l'administration franquiste a empêché les clubs d'élire leurs dirigeants démocratiquement.
    Pour la comparaison avec Saupin, il ne s'agit pas d'édulcorer les faits. Je ne pense pas que ce soit comparable de toute façon. Bernabeu n'était pas franquiste. Il est même une victime de la guerre civile. Disons qu'il a simplement fait son possible pour s'accommoder au mieux de la situation à partir de 1943 dans l'intérêt de son club. Mais il n'a jamais reçu un centime du régime. Il n'a jamais manifesté son opposition en public non plus... Il s'est montré discipliné. Comme 90% des Espagnols.

  • leo le 29/04/2013 à 19h16
    Concernant les socios, tous les clubs espagnols fonctionnaient sur ce modèle jusqu'en 1992, c'étaient des associations sans but lucratif . À cette date, les clubs pro espagnols ont été transformés en sociétés anonymes sportives, pour favoriser la transparence économique des clubs. Avec un succès limité...

    Seuls 4 clubs ont gardé le statut d'association : le Real Madrid, le FC Barcelone, l'Athletic Bilbao et le CA Osasuna qui étaient les seuls clubs aux finances saines à l'époque et qui n'ont pas été obligés de changer de statut.

  • AntoineF le 03/05/2013 à 12h55
    Les articles sur l'Histoire du football espagnol, et la trajectoire politique des clubs sont toujours intéressants. Ils permettent de comprendre l'Espagne actuelle et la polarisation de sa population. Celui-ci offre une vision intéressante de l'histoire de Bernabéu, et dévoile une alléchante promesse (L'affaire Di Stefano).

    Je me permettrais tout de même deux-trois observations basiques:

    - Bien que non militant après la guerre, Bernabéu a occupé un poste dans l'administration publique dans les années 40 (Ministère du Budget, il me semble), et ce qui était difficile sans montrer son attachement au régime.

    - Bernabéu a aussi intégré la División Azul pendant la Guerre d'Espagne, ce qui lui a permis de nous de sérieux contacts dans l'appareil du régime. Cela lui aura aussi permis de visiter la Catalogne, fusil en main.

    - Lancer une souscription publique et obtenir les fonds était une entreprise audacieuse et risquée, mais obtenir les sacs de ciments en pleine période de pénurie nécessitait un minimum d'amis bien placés.

    En dehors d'une vision un peu "angélique" de Bernabéu, l'ensemble du travail fourni pour cet article est remarquable.

    La suite, vite !!

  • O Gordinho le 03/05/2013 à 23h34
    Bonjour Antoine,

    Je me permets de te reprendre :
    - Bernabéu a terminé son cursus universitaire de droit, il est devenu brièvement fonctionnaire. Il a donc exercé au sein du ministère du budget, mais c'était en 1921. donc aucun rapport avec l'administration franquiste. Ensuite il était en disponibilité.

    - Bernabéu n'a jamais fait partie de la Division Azul qui était l'armée fournie par l'Espagne pour appuyer l'armée allemande sur le front russe. Bernabéu n'est pas sorti de l'Espagne entre 1939 et 1945. Cependant il est vrai qu'il a servi pendant la guerre d'Espagne sous les ordres de Muñuz Grandes qui a ensuite été chef de la division azul.

    - Enfin, lancer une souscription publique a été très difficile pour le Real. Beaucoup plus compliqué que pour d'autres clubs. Donc Bernabéu n'a pas du tout bénéficié de ses appuis au sein du régime pour construire son stade. Il en d'ailleurs conservé une rancœur tenace durant toute sa vie à l'encontre du régime.

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