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« Ce n’est pas facile d’être Totti »

Rencontre – Dans l’histoire du football, on compte sur les doigts de la main les joueurs qui méritent le qualificatif de mythique. Francesco Totti est un mythe, urbi et orbi.

Auteur : Julio Ocampo le 28 Juil 2021

 

 

Extrait du numéro 4 de la revue des Cahiers du football, juin 2020. Propos recueillis par Julio Ocampo (Libero), traduction Rémi Belot, photos Lino Escurís.

 

* * *

 

L'endroit où vit Francesco Totti se trouve sur une petite colline qui s’élève au-dessus du quartier de l’exposition universelle de Rome, dans le sud de la ville. À mi-chemin entre Trigoria, le centre d’entraînement de la Roma, et la mer. Et à deux pas de Tor di Valle, l’endroit où aurait dû s’élever le nouveau stade du club, si des affaires de corruption et de spéculation immobilière n’avaient freiné le projet.

 

Mussolini avait lancé l’urbanisation dans cette partie de la ville pour l’exposition universelle de 1942, en s’inspirant de la peinture métaphysique de Giorgio de Chirico. Totti, chez lui, profite d’une vue panoramique sur ce labyrinthe à l’architecture rationaliste, qui devait permettre à la capitale de s’étendre jusqu’à la commune voisine d’Ostie.

 

"Vous voulez un café?", demande Francesco. Il ferme la porte vitrée pour réchauffer la pièce et éviter que le chien Diego ne nous dérange.

 

 

 

 

Pourquoi Rome et la Roma comptent-ils autant pour vous?

 

Parce que j’ai toujours été supporter de la Roma. C’était un rêve de revêtir ce maillot, le numéro 10, le brassard de capitaine. Quand j’y suis finalement parvenu, mon objectif a toujours été de le conserver le plus longtemps possible. C’est une chance que n’ont pas eue de nombreux footballeurs. Si on ajoute à cela que je suis originaire de cette ville, la plus belle du monde avec la mer, la montagne, le soleil, les amis et la famille… Je n’échangerais cela pour rien au monde.

 

Rome a beaucoup profité de vos talents. Avez-vous pu profiter de la ville?

 

Rome a beaucoup profité de moi en tant que joueur et en tant que personne, mais je dois bien avouer que l’inverse n’a pas toujours été vrai. Je veux dire, une fois sorti de mes activités de footballeur. Il y a encore des rues, des monuments, de magnifiques lieux de cette ville que je n’ai toujours pas pu visiter. Le Colisée, par exemple, j’y ai mis les pieds pour la première fois il y a seulement trois ou quatre ans. Cela semble surréaliste car cela fait près de quarante ans que je vis ici. Idem pour la Via del Corso, où je ne suis pas allé depuis trente ans. Je ne peux pas vraiment m’y promener, et si je veux aller au cinéma, il faut que j’y entre alors que le film a déjà commencé. Mais, au fond, je crois que ça ne me déplaît pas, je m’y suis habitué. Même s’il est vrai que, parfois, j’aimerais pouvoir respirer un peu. Je suis un être humain comme un autre.

 

Pour votre dernier match, les supporters ont déployé une banderole qui disait: "J’espérais mourir avant de voir cela". Le gamin à qui vous avez envoyé le ballon à la fin s’est vu proposer 100.000 euros. Et un détenu a demandé à rester une semaine de plus parce que vous alliez visiter sa prison… C’est de la folie, non?

 

Oui, c’est de la folie, mais c’est précisément pour cela que j’aime Rome. Les Romains sont des gens simples qui t’offrent des cadeaux que tu n’aurais jamais pu imaginer. Pour ce qui est du prisonnier, on parle de quelqu’un qui avait passé deux ou trois ans en prison et qui aurait dû sortir avant ma visite. C’est incroyable, cela semble complètement surréaliste. C’est aussi ce qui me fait dire que Rome est totalement différente des autres villes.

 

Parlons un peu de football, celui de la rue, qui se jouait dans les parkings, et qui n’existe plus vraiment aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle il n’y a plus de Totti, de Del Piero ou de Baggio en Italie?

 

C’est vrai que nous avons grandi en jouant dans la rue, et que cela a beaucoup changé. Aujourd’hui, l’époque est aux ordinateurs, aux téléphones portables, aux réseaux sociaux. À la nôtre, c’était plutôt la maison, le ballon, les amis et l’église – tout cela en boucle. Le monde a changé. Mais, pour être honnête, je ne crois pas que le football italien ait beaucoup dépendu des gamins qui jouaient dans la rue… Ici, la question est surtout celle de la formation, des catégories de jeunes auxquelles on ne porte pas suffisamment d’attention.

 

« Boskov s’est approché: “Alors, tu veux rentrer ou pas?”. J’avoue que je me suis posé la question, sur le moment. »

 

À douze ans, en 1988, alors que vous jouiez à Lodigiani dans la banlieue de Rome, vous avez reçu votre première offre: Ariedo Braida, le directeur sportif du grand milan, est venu vous rencontrer, alors qu’Arrigo Sacchi venait de gagner le scudetto avec cette équipe…

 

J’ai toujours été supporter de la Roma, mais je dois avouer que j’aimais beaucoup le Milan avec ses trois Néerlandais. Selon moi, c’était la meilleure équipe du monde. J’aimais Sacchi, son football, le stade… Quand Braida est venu chez mes parents (je n’étais pas à la maison), ils ont été un peu surpris, parce qu’il n’avait pas prévenu. Il leur a dit que Berlusconi voulait que je vienne au club et a proposé une grosse somme d’argent, mais ma mère, qui avait un peu d’appréhension et qui est très protectrice – la mamma italienne, quoi – leur a répondu que ce n’était pas possible car je n’étais pas suffisamment mûr pour partir de chez moi. Peut-être que j’aurais accepté s’ils me l’avaient demandé directement.

 

Il y a eu d’autres offres. De la Lazio, qui vous proposait de l’argent, et de la Roma, qui ne proposait rien. Votre mère était supportrice de la Lazio. Cela vous a fait réfléchir?

 

Elle était supportrice de la Lazio à cause de ma grand-mère. J’ai appelé mes parents et mon frère Riccardo pour leur demander ce qu’ils pensaient de ces deux options. Je n’avais pas vraiment de doutes, parce que mon père et mon frère étaient supporters de la Roma. Mais eux voulaient que j’aille à la Lazio, qui proposait de l’argent! J’ai choisi la Roma. Par chance, j’ai fait le bon choix.

 

 

 

 

Vous avez débuté en équipe première à seize ans lors d’un Brescia-Roma. Qu’est- ce que vous avez ressenti quand Vujadin Boskov, l’entraîneur de l’époque, vous a appelé?

 

On menait 2-0, et j’étais assis sur le banc à côté de Roberto Muzzi, qui jouait régulièrement. Boskov s’est retourné et a dit: "Enlève ta veste, tu vas rentrer". J’ai cru qu’il parlait à Muzzi, qui était plus vieux que moi: on s’est regardés tous les deux en se demandant à qui il parlait et, quelques instants plus tard, Boskov s’est approché: "Alors, tu veux rentrer ou pas?" J’avoue que je me suis posé la question, sur le moment (rires). J’ai joué six ou sept minutes sans même m’être échauffé.

 

En 1996, à dix-neuf ans, vous avez failli être prêté à la Sampdoria…

 

Carlos Bianchi, qui venait d’arriver, n’avait pas une très bonne image des joueurs formés à Rome. Nous étions douze ou treize dans cette équipe et Carlos, lors des entraînements, organisait toujours des matches entre nous et les autres. La vérité est qu’il est arrivé avec le préjugé que nous étions paresseux, indolents et que nous ne voulions pas travailler. Ce n’était pas vrai, mais il était rigide dans sa façon de penser. Il a également déclaré que, pour gagner, il avait besoin de joueurs confirmés: il voulait Litmanen à ma place, car il estimait que je n’étais pas encore prêt. Franco Sensi (le président de la Roma à l’époque) hésitait, car j’ai toujours été comme un fils pour lui. Moi, je ne voulais pas être prêté, je préférais continuer à évoluer à la Roma. Mais je reconnais que j’ai envisagé cette expérience parce que l’entraîneur ne croyait pas en moi. J’ai discuté avec la Sampdoria et nous nous étions même mis d’accord pour signer ce contrat. Sauf qu’à cette période, la Roma a organisé un tournoi d’avant- saison: Bianchi avait invité l’Ajax pour pouvoir approcher Litmanen. J’ai brillé dans ce tournoi en empilant les buts et les passes décisives. Ce jour- là, je suis devenu intouchable aux yeux de Sensi.

 

« Avec Zeman, nous nous entraînions quatre heures par jour. Mais pendant les quatre-vingt- dix minutes du match, nous avions des ailes. »

 

Vous avez ensuite connu Zdenek Zeman, lors de son premier passage à la Roma (de 1997 à 1999). Quelle importance a eu le tchèque pour vous?

 

Au début, je n’étais pas très fan de lui en tant qu’entraîneur. Il arrivait de la Lazio et sa réputation était celle d’un travailleur acharné, qui vous faisait courir, courir, et qui ne vous laissait même pas le temps de manger. J’ai changé d’avis quand je l’ai rencontré. Zeman est loyal, juste, et c’est un grand connaisseur du football. Ce qui est vrai, c’est qu’on s’entraînait vraiment très dur, c’était sans doute le plus exigeant de tous. Il était méticuleux. Obsessionnel. Il vous faisait répéter des centaines de fois le même geste. Il fallait pouvoir le réussir les yeux fermés, on ne s’arrêtait pas tant qu’on n’y était pas arrivé. Et puis, il misait tout sur l’attaque. En fait, toutes ses équipes ont battu des records, avec 90 ou 100 buts marqués à chaque championnat. Nous nous entraînions quatre heures par jour, mais pendant les quatre-vingt-dix minutes du match, nous avions des ailes. Nous n’étions pas fatigués. Nous avons pris beaucoup de plaisir, nous comme les supporters, même si nous n’avons rien gagné.

 

Pourquoi est-ce si spécial de jouer et de gagner, à la Roma?

 

Parce qu’on ne gagne un titre que tous les vingt ans. C’est triste à dire, mais c’est la réalité. Même si, lors de la première saison de Luciano Spalletti, nous avons remporté la Coupe d’Italie et la Super Coupe… Mais après cela, nous avons toujours terminé à la deuxième place en championnat. Remporter un scudetto ici, c’est comme en remporter dix à Turin ou à Milan. Quand la Juve gagne, ils ne font la fête qu’une seule nuit, le dimanche soir. Le lundi, tout est fini. Ici, lorsque nous avons gagné avec Capello, il y a eu la fête non-stop à Rome pendant trois ou quatre mois. Parce que nous n’y sommes pas habitués. Si nous remportions trois championnats d’affilée, peut-être qu’au troisième, il n’y aurait plus la même euphorie.

 

Parlez-nous de l’équipe de Capello championne en 2001. Une équipe magique avec Batistuta, Cafu, Candela, Emerson, Montella, Samuel, Zebina ou Delvecchio…

 

Capello était venu pour gagner, nous l’avons su tout de suite. Il a toujours remporté des titres partout où il est allé: il ne signe dans un club que dans l’objectif de gagner. Pourtant, la première année ne s’est pas bien passée, la Lazio avait gagné le scudetto avec Eriksson. C’était la guerre civile à Rome! Alors Capello a demandé plus de moyens à Sensi: Batistuta, Samuel, Emerson, Zebina…Ce fut une année où, du début à la fin, nous avons senti que quelque chose avait changé. Nous étions très sûrs de nous. Lors des séances d’entraînement, tout le monde tirait dans le même sens… Même ceux qui jouaient moins se sentaient importants.

 

« Cassano ne se moquait pas de ses coéquipiers. Il leur en mettait plein la gueule. Quand ils manquaient une passe, il leur disait: “T’es vraiment un tocard” ou “Change de métier”. »

 

Un joueur comme Tommasi a même obtenu deux points au Ballon d’Or…

 

Oui, on aurait dit Cristiano Ronaldo au Real. Il était incroyable, il est difficile de trouver un adjectif pour qualifier ses performances cette année-là. Je vous parle là d’un joueur normal – enfin, d’un grand professionnel, avec de la personnalité, mais avant tout le genre de joueurs de devoir dont toutes les équipes ont besoin. C’est une bonne preuve que cette saison a été vraiment particulière pour nous.

 

Batistuta a été votre meilleur partenaire d’attaque?

 

C’est avec Cassano que je me suis le mieux senti, mais Gabriel était très bon, d’un point de vue autant physique que technique. Nous formions vraiment une belle ligne d’attaque: la paire Totti-Batistuta, c’était quelque chose.

 

 

 

 

Vous avez dit de Cassano qu’il occupait une place spéciale dans votre vie sportive et personnelle. Quand il est arrivé de Bari, vous l’avez emmené vivre chez vous. Quel type de personne est-il?

 

Antonio est comme un petit frère. Il est venu à Rome pour moi, parce que j’étais son idole. La Juve le voulait, mais il a choisi la Roma pour pouvoir jouer avec moi. Il n’a pas eu une enfance facile, alors quand il est venu à Rome, je l’ai amené chez mes parents. Cassano est un bon mec, honnête et enthousiaste, même s’il a eu des ennuis. Regardez sa période au Real. J’ai essayé de l’accompagner humainement du mieux que je le pouvais, parce que du point de vue footballistique, il n’avait pas besoin de moi. Techniquement, il était sans aucun doute l’un des meilleurs au monde. Il avait aussi une force physique impressionnante. J’ai joué à ses côtés car Capello aimait nous associer, il nous demandait de jouer en mouvement avec beaucoup de liberté. L’équipe marquait trois ou quatre buts par match. Nous avons malheureusement perdu le championnat, mais je crois que les supporters ont adoré notre façon de jouer.

 

Vous lui avez témoigné de l’empathie, ce qui n’était pas facile, on imagine: Cassano était réputé pour se moquer de ses coéquipiers…

 

Il ne se moquait pas d’eux. Il leur en mettait plein la gueule, ce qui est différent. À part Batistuta, Samuel et moi, tout le monde en a pris plein la gueule. Zebina, Delvecchio, Tommasi… Quand ils manquaient une passe, Cassano leur disait: "T’es vraiment un tocard" ou "Change de métier". Il voulait faire comprendre aux autres qu’il avait de la personnalité, il était jeune et il faisait ça à des mecs d’une trentaine d’années… Ce n’était pas très intelligent, parce qu’il faut toujours respecter ses partenaires. Parfois, c’était vraiment exagéré, il n’avait pas de limites, pas de filtre, pas de freins. Quand il commençait, on ne savait jamais si ça allait s’arrêter. Mais nous le connaissions: nous l’avons simplement accepté comme il était.

 

Avez-vous réussi à l’accompagner comme vous l’auriez souhaité?

 

Oui et non. C’était une personne très changeante, facilement influençable. Nous nous sommes même disputés, et nous avons passé des mois sans nous parler.

 

Il s’est aussi disputé avec Capello?

 

Bien sûr que oui! Ils se sont disputés un million de fois, on les a même vus se courser au milieu du terrain d’entraînement. J’ai vu des scènes incroyables, mais Fabio l’aimait parce qu’il savait que c’était un phénomène. Capello voulait de bons joueurs avec du caractère, et Cassano en était un.

 

Au Real, Capello a toujours voulu des joueurs offensifs: il aimait Seedorf, Roberto Carlos ou Redondo…

 

Fabio Capello aimait avant tout le talent.

 

À propos du Real, combien d’offres de sa part avez-vous refusées?

 

Au moins deux. Je me souviens de l’une d’elles, en 2003 je crois. Il me restait un an de contrat à la Roma. J’avais eu quelques problèmes avec le président, et le Real me proposait un pont d’or: douze millions d’euros nets par an (le double de la Roma) plus la moitié en droits à l’image, et même le numéro 10 de Figo qu’ils avaient l’intention de vendre à l’Inter. Au total, ça faisait quelque chose comme vingt, vingt-cinq millions d’euros. Plus le montant du transfert pour la Roma. Et puis je me suis disputé avec mon agent de l’époque, parce que j’avais à la fois envie d’y aller et de rester à la Roma… Je l’ai remplacé par mon frère Riccardo. Nous avons parlé avec les représentants du Real, qui nous ont dit que nous ne pouvions pas refuser leur offre. Franchement, il y avait 80% de chances que je parte, car à la Roma, ce n’était pas le meilleur moment de ma carrière.

 

Pourquoi avez-vous dit non, alors?

 

Je n’ai pas vraiment refusé. J’y ai beaucoup réfléchi. Ilary (sa compagne de l’époque, aujourd’hui sa femme) me disait qu’elle était prête à quitter son travail pour venir avec moi. Finalement, Sensi m’a parlé, nous avons tout mis au clair… et je suis resté. C’était un choix du cœur qui a été fortement influencé par la famille, les amis et la Roma évidemment. D’ailleurs, j’avais des amis qui d’un côté, voulaient que je reste, mais qui, de l’autre, trouvaient incroyable l’idée que j’évolue avec des joueurs comme Ronaldo, Raul ou Beckham… Moi, j’avais le sentiment de faire différemment des autres joueurs, qui ne refusent pas les clubs de ce genre. En refusant le Real, j’ai eu le sentiment d’être à la fois un grand joueur et un joueur différent, avec l’amour du maillot.

 

« Des joueurs comme Messi, Ronaldo ou moi avons gagné le droit de décider du moment de nous arrêter. J’étais le premier à ne pas vouloir me ridiculiser après une carrière comme la mienne. »

 

Estimez-vous que l’AS Roma a une dette envers vous?

 

Ce n’est pas à moi de le dire… En tant que joueur, j’ai toujours donné le maximum. Je considère que j’ai eu de la chance. Et les supporters aussi, d’ailleurs: ils ont eu le plaisir d’admirer, d’apprécier le même joueur pendant vingt-cinq ans. J’ai toujours donné la priorité à la Roma sur tout le reste. En tant que supporter, j’aurais été honoré d’avoir un joueur comme ça.

 

Dans votre vie, votre expérience avec la sélection italienne a été très importante. Votre moment culte, c’est cette fameuse panenka contre van der sar en demi-finale de l’euro 2000. Vous avez lancé une mode, non?

 

Oui, aujourd’hui, même les défenseurs font des panenka!

 

Comme Sergio Ramos, par exemple.

 

Sergio Ramos a les qualités techniques pour le faire. Il les tire très bien, c’est un grand joueur. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, c’est devenu un geste assez banal, comme si c’était normal.

 

La coupe du monde 2006 a témoigné de la force mentale du groupe italien: vous n’étiez pas totalement remis d’une blessure, la Juventus venait de descendre en Serie B à cause du scandale du calciopoli et vous apprenez la tentative de suicide de Pessotto en pleine préparation… Comment avez-vous fait pour vous remettre de tout cela?

 

Nous étions en préparation à Coverciano quand toute cette tempête a éclaté… Nous nous sommes réunis, tous ensemble, et nous nous sommes rendu compte que nous avions un groupe très fort mentalement. Ce n’était pas facile, car le chaos à l’extérieur était indescriptible. Mais cela nous a rapprochés en interne. Marcello Lippi, notre sélectionneur, a été exemplaire, il a géré cela de main de maître. Il nous a donné de la liberté, il n’hésitait pas à plaisanter avec nous. Il était exigeant, il s’est même parfois mis en colère… mais tout cela avec beaucoup de mesure. Nous, les joueurs, nous tirions tous dans la même direction. Au fur et à mesure de la compétition, nous sommes devenus de plus en plus forts, de plus en plus unis. Et puis, nous avons eu de la chance car le Brésil et l’Argentine, théoriquement favoris, ont été éliminés. À la fin, nous avions le sentiment d’être indestructibles, qu’aucune équipe ne pouvait nous résister. Et c’est ce qui s’est passé.

 

Sans ces vicissitudes, vous n’auriez peut-être pas gagné…

 

Personne ne le saura jamais. À l’extérieur, c’était le chaos, mais à l’intérieur, nous étions un groupe de cinquante personnes (joueurs, mais aussi masseurs, cuisiniers, assistants, etc.) unis contre le reste du monde. Gagner était la seule façon, pour nous, de ne pas être affectés par ce qui se passait à l’extérieur.

 

Quel est votre meilleur souvenir de Coupe du monde, celui dont vous vous souviendrez toujours?

 

Italie 90! J’étais ramasseur de balles, et c’est la première fois que je participais à une Coupe du monde. Il y avait Giannini, Baggio, Schillaci…

 

Avec votre retraite, toute une génération de quadras s’est sentie un peu triste. Ils ont pris un coup de vieux…

 

Mes amis m’ont dit ça, oui. Ils m’ont souvent dit qu’ils avaient grandi avec moi, en me regardant jouer. Quand j’ai pris ma retraite, c’était la fin d’une histoire.

 

« J’espère que les choses se seront un peu calmées dans dix ans. Qu’on m’oubliera un peu, même à Rome. »

 

Avez-vous ressenti cette retraite comme un traumatisme?

 

Oui, ça a été dur. Horrible. D’autant que je ne voulais pas vraiment la prendre. On a décidé pour moi. À quarante ans, je savais bien que, tôt ou tard, je devrais raccrocher mes crampons, car il est évident que je n’allais pas continuer dix ans de plus. Mais j’aurais aimé le faire de moi-même, en constatant que je n’étais plus à la hauteur, que je n’étais plus au niveau des plus jeunes… Des joueurs comme Messi, Cristiano Ronaldo ou moi avons gagné le droit de décider du moment de nous arrêter. Même aujourd’hui, je pourrais encore être utile à la Roma: pas parce que je suis Totti, mais pour l’ambiance, l’expérience… Pas forcément pour jouer tous les matches non plus, mais vingt minutes par-ci, un match de coupe par-là.

 

Vito scala, le préparateur physique de la Roma, dit pourtant que les grands champions ont besoin d’une personne extérieure pour leur dire de s’arrêter. Vous n’êtes pas d’accord?

 

Si, dans une certaine mesure. Mais si je vais bien physiquement, pourquoi voulez-vous que j’arrête? Si je n’étais plus au point physiquement, d’accord. Je ne suis pas stupide. Je n’ai plus dix ans, j’ai plus de quarante ans. J’étais le premier à ne pas vouloir me ridiculiser après une carrière comme la mienne.

 

Vous avez toujours été lucide dans les différentes étapes de votre carrière. Vous avez quitté la Nazionale à vingt-neuf ans seulement: pourquoi?

 

Il y avait trop de matches à jouer et pas assez de temps pour récupérer. J’avais des problèmes au genou, à la cheville, la Roma jouait trois compétitions différentes… Mais j’ai pris cette décision, mûrement réfléchie, avant de gagner la Coupe du monde et non après. Ce n’était pas facile, parce que jouer en équipe nationale, c’est le summum dans une carrière.

 

Est-il facile d’être Francesco Totti?

 

Non. C’est à la fois très agréable et très compliqué. Surtout sur le plan de la vie privée. Quand vous jouez, vous vous exposez, mais d’un point de vue professionnel. C’est votre travail, vous l’assumez. Mais la vie privée, comme je l’ai dit précédemment, c’est nettement plus difficile.

 

Pourquoi n’allez-vous pas vivre dans un autre pays?

 

Il faudrait que j’aille loin, à Cuba peut-être! Parce que dans des villes comme Londres, Madrid ou Barcelone, quand je pars en vacances, c’est impossible. Même en Chine. J’espère que les choses se seront un peu calmées dans dix ans. Qu’on m’oubliera un peu, même à Rome.

 

À Rome, c’est impossible…

 

On ne sait jamais. Je peux prendre des kilos et perdre des cheveux, cela me permettra peut-être de passer inaperçu!

 

 

 

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