Peter Johnstone, parti le trèfle au fusil
When Saturday Comes – Les fans du Celtic sont devenus hostiles aux commémorations de la guerre de 14-18, mais ils ont oublié l'implication de leur club dans celle-ci, que symbolise la mort au combat de Peter Johnstone.
Extrait du numéro 331 de When Saturday Comes. Titre original : "War Bonds". Traduction: Toto le zéro.
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En mars 1916, Peter Johnstone, alors demi-centre au Celtic Glasgow, se rend dans un bureau de recrutement de l’armée britannique de la ville. Ce père de famille de moins de trente ans, pilier de son équipe, est sur le point de remporter un troisième titre consécutif en championnat écossais. Il meurt un an plus tard sur un champ de bataille en France.
Treize joueurs liés au Celtic morts durant la guerre
Au bout d’un siècle, son histoire est pratiquement tombée dans l’oubli, tout comme la contribution des nombreux joueurs et du staff du club à l’effort de guerre britannique. "Si vous sortez dans la rue et demandez qui était Peter Johnstone, les gens seront incapables de répondre", estime Michael Payne, membre du club des supporters du Celtic de Ballingry, non loin de l’endroit qui a vu naître et grandir Peter Johnstone.
Avec la Celtic Graves Society, une association créée à la mémoire des joueurs et du personnel du Celtic morts durant les deux guerres mondiales, Michael Payne se charge de collecter des fonds pour la construction d’un mémorial dédié au joueur écossais d’origine Irlandaise, mort en 1917 lorsque son régiment, le 6e bataillon des Seaforth Highlanders, tentait de capturer une usine de produits chimiques durant la bataille d’Arras. Son nom figure sur le mémorial de la ville du Pas-de-Calais.
Seul joueur sous contrat avec le Celtic à avoir péri durant la Grande guerre, Johnstone n’est pas l’unique lien du club avec le conflit. "Cet Irlandais de Glasgow a joué un très grand rôle dans la guerre, tout comme les Irlandais eux-mêmes et c’est surtout au Celtic que nous le devons", selon Ian McCallum, fan du club et auteur du livre The Celtic, Glasgow Irish and the Great War : The Gathering Storms. Il a recensé treize joueurs liés au Celtic morts durant la guerre, dont Donald McLeod, qui a compté plus de cent cinquante matches pour le club et a perdu la vie en Octobre 1917 à Passchendaele, ou encore Robert Craig, ancien défenseur. D’autres sont revenus du continent en véritable héros, à l’image de Willie Angus, inscrit au club mais jamais aligné en équipe première: décoré de la Victoria Cross après une mission de sauvetage au cours de laquelle il perdit un œil et se blessa à un pied, Willie Angus a subi une quarantaine de blessures.
Effort de guerre
En réalité, les relations entre le Celtic et l’armée britannique n’ont jamais conditionnées par les événements de la guerre. Après la création du club en 1888, des orchestres de l’armée de sa majesté se sont régulièrement produits à Parkhead avant les rencontres. Les liens du club avec le régiment d’infanterie des Gordon Highlanders étaient d’ailleurs si étroits que le Celtic prenait en charge l’entraînement de l’équipe du régiment et accueillait dans son propre stade des matches de Coupe de l’armée, laquelle avait également un bureau de recrutement dans les locaux du club durant la guerre.
Le Celtic avait en outre participé à la promotion de l’effort de guerre: appel aux volontaires à la mi-temps des rencontres, ballons envoyés aux recrues militaires à l’entraînement ou aux soldats sur le front, organisation de rencontres pour le fonds de soutien (War Relief Funds), d’abord au profit des réfugiés belges, entre le Celtic et une équipe du Scottish League XI à Hampden Park, durant trois ans à partir de 1915.
Contrairement à l’Angleterre, l’Écosse avait maintenu ses compétitions durant la guerre, tout en instaurant quelques aménagements. Si Tom White, alors président du Celtic, avait accepté le report des matches internationaux et de la Coupe d’Écosse, en accord avec le ministère de la Guerre britannique (War Office), son club remporta trois championnats d’affilée de 1915 à 1917. Ce chapitre de l’histoire des Celts est toutefois quasiment tombé dans l’oubli et le Remembrance Sunday, jour de la commémoration des morts des deux guerres mondiales, devient de plus en plus controversé à Celtic Park: en 2010, les ultras de la Green Brigade déploient une banderole afin de protester contre la décision du club de jouer avec un coquelicot sur le maillot [1].
Zeppelins et cigarettes de contrebande
Ian McCallum a donc été poussé à écrire son livre par ce qu’il perçoit comme une "méconnaissance de la part des Irlandais de Glasgow envers la période de la guerre". Ancien soldat ayant passé vingt-deux ans dans l’armée britannique, il était bien placé pour comprendre la dynamique interne des Bhoys comme des forces armées: "Lorsque j’étais en permission, j’allais au Celtic Park où je chantais des chansons de l’IRA. Il y avait des milliers d’autres soldats comme moi."
D’après lui, l’attitude des supporteurs du club vis-à-vis des soldats qui se sont battus dans l’armée britannique a changé: "Si vous alliez à Parkhead, disons avant 1955, et que vous insultiez d’une manière ou d’une autre la guerre ou les commémorations, vous risquiez le lynchage." Ian McCallum estime que dans le milieu du football à Glasgow, c’est le fait même de commémorer qui a été instrumentalisé: "Si les Rangers font une chose, les fans du Celtic ont naturellement tendance à s’y opposer. Les commémorations devraient être de l’ordre du privé, pas de celui du politique."
Ironie de l’histoire, Peter Johnstone avait lui-même été le témoin, au cours de l’été 1914, de la course aux armements en Europe qui allait finir par lui coûter la vie. En mai, tout juste sacré champion d’Écosse, son club avait effectué une tournée en Europe. En traversant la ville de Potsdam, en Allemagne, son équipe vit une meute de zeppelins menaçants qui tournoyait au-dessus de leurs têtes.
Sur la route de Budapest à Vienne, le bus de l’équipe fut arrêté par des officiers de la douane et les malles de Johnstone furent fouillées. Ce dernier transportait dix paquets de cigarettes de contrebande. Les garde-frontières, qui s’apprêtaient à confisquer les paquets de Woodbine, se rendirent soudain compte que ces voyageurs étaient les célèbres joueurs du Celtic. Au lieu de se voir confisquer les cigarettes, Peter Johnstone, comme les autres joueurs, signa des autographes et posa pour des photographies avant de passer tranquillement la frontière. Un mois plus tard, la Grande guerre éclatait.
[1] Le port du coquelicot (poppy) est la façon traditionnelle de commémorer les morts de la guerre au Royaume-Uni.
Images : /theshamrockglasgow.wordpress.com et thecelticwiki.com
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