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Double jeu à la française

On déplore le manque d'identité de jeu du football français, alors qu'il est surtout déchiré entre deux traditions qui n'ont jamais cessé de s'affronter. L'une a gagné les cœurs, l'autre des titres. 

Auteur : Jérôme Latta le 23 Sept 2020

 

 

Extrait du dossier "France" du numéro 4 de la revue des Cahiers du football. Illustration Juan Miranda.

 


Neuf fois sur dix, l'expression "c'est typiquement français" ponctue une ânerie, et porte sur quelque chose n'ayant rien de typiquement français.

 

Reste que l'on s'est longtemps interrogé sur ce qui caractériserait le "jeu à la française" et que l'on a, longtemps aussi, voulu l'associer à un certain panache, au football-champagne de Reims, à la beauté des Bleus de1958 et1982-1986, au jeu à la nantaise, à l'élégance et à l'intelligence de numéros10 exceptionnels.

 

Batteux, Arribas, Hidalgo, Suaudeau. Quelque chose comme l'équivalent du french flair, en tout cas une inscription d'office dans notre tradition de grandeur intellectuelle et artistique.

 

Cependant, les grandes équipes "européennes" de Saint-Étienne, Marseille, Bordeaux ou Paris se sont plutôt distinguées par leur puissance et leur solidité collective, quels que fussent leurs grands talents individuels. Et la veine flamboyante n'a pas été la seule à irriguer notre football.

 

 

 

 


Deux écoles

Dans Football à la française (éd. Solar, 2016), Thibaud Leplat raconte avec brio les deux courants idéologiques, les "deux contrées irréconciliables" qui ont structuré l'histoire du jeu dans ce pays… et précipité les débats au fond d'une impasse.

 

À ma gauche, les idéalistes, les romantiques, partisans de l'offensive, de la manière, de l'inspiration, de la ligne; François Thébaud, journaliste chef de file du Miroir du football, les entraîneurs Jean Snella et Albert Batteux.

 

À ma droite, les rationalistes, adeptes de la rigueur, du pragmatisme, de la force, de la discipline, du calcul, du "béton"; le journaliste de France Football Jacques Ferran, Georges Boulogne, sélectionneur, premier DTN et fondateur de la formation française, Helenio Herrera, franco-argentin inventeur du catenaccio.

 

Leplat remonte la généalogie de ces écoles de pensée qui s'écharpèrent durant des décennies, avant que leur opposition ne se calcifie dans l'inconscient national, resurgissant incessamment.

 

Sous le soleil des années 80, nous nous sommes de nouveau vus romantiques, "Brésiliens de l'Europe", carré magique. Nous faisions au football les offrandes de France-Allemagne 1982 et France-Brésil 1986. Les Bleus ranimaient une flamme nationale qui était passée par Reims ou Nantes. Nous avions un style à honorer, un héritage à assumer, une obligation de briller. Une certaine idée de nous-mêmes.

 


Culture de la lose

Le problème est que cette prétention allait de pair avec une inquiétante incapacité à triompher et un douloureux historique de défaites glorieuses, égrenant des noms de villes comme autant de stations du martyre: Solna, Glasgow, Séville, Bari. Des faits d'armes aussi honorés que l'Euro 1984 et Guadalajara, nimbés de l'aura des défaites imméritées (et conçues comme des victoires morales).

 

De 1958, on a ainsi moins retenu les succès, dont la démonstration contre l'Allemagne pour la troisième place (6-3), que la demi-finale perdue contre le Brésil et la malchance d'avoir joué à dix. Notre Arc de triomphe portait sur son fronton le nom de nos plus illustres défaites.

 

Drôle de psychologie, pour une immense culture de la lose, du mauvais sort et de l'injustice: péroné de Jonquet, poteaux carrés, inondation de Furiani, hanche de Schumacher, main de Vata, retourné de Laslandes, etc. De la bravoure et de l'inspiration, mais des complexes d'infériorité quant au physique et au mental. Le dolorisme ambiant n'arrangeait rien.

 

L'Euro 1984 nous avait déniaisés, pas débarrassés de nos névroses. D'autant que les années noires qui suivirent l'ère Hidalgo, passées à chercher le "nouveau Platini", ne connurent ni beauté ni victoires. La sélection toucha le fond un 17 novembre 1993, l'année où l'OM de Tapie implosait en même temps qu'il atteignait le sommet de l'Europe.

 


Révolution des années 90

Pourtant, une métamorphose avait commencé. Les internationaux français acquirent de la puissance, un mental et des expériences du haut niveau à l'étranger – toutes choses qui avaient manqué auparavant. Tout à coup, nous avions de grands attaquants et des défenseurs athlétiques.

 

Les clubs se mirent à briller en coupe d'Europe, et même à en remporter. Car le réalisme était enfin au rendez-vous, non sans heurter les consciences. Les grandes défaites ayant été glorieuses, les grandes victoires furent suspectes, ou dénigrées. La première coupe d'Europe: une délivrance et un fardeau. La première Coupe du monde: une consécration et une rupture.

 

Cette période, conclue par les titres de 1998 et 2000, a été celle où le football français a été de son temps, au point de faire modèle. Il avait changé de peau et s'était reconverti à la rigueur, voire au cynisme. Ce n'était pas une première, mais jusqu'à Goethals et Jacquet, les partisans d'un football athlétique, rigoureux et calculateur avaient toujours échoué.

 

Un démenti pour Michel Hidalgo qui définissait ainsi, dans son autobiographie, sa "philosophie de base, concernant le football français": "Nos caractéristiques ne s'accommoderont jamais d'un jeu rugueux, basé sur la puissance physique" (cité par Thibault Leplat).

 


Fracture ouverte

Chez les intégristes d'un jeu à la française idéalisé, 1998 et 2018 sont ressentis comme les sombres jalons du dévoiement de notre identité footballistique. Ils ne pardonnèrent pas à France 1998 d'être une grande équipe, mais pas une belle équipe – malgré la perpétuation de la figure du numéro10.

 

Les puristes et ceux qui s'étaient lourdement trompés sur Jacquet n'aimèrent pas ces Bleus qui jouaient et gagnaient comme des Italiens ou des Allemands. À l'inverse, ceux qui vivaient les Coupes du monde dans la peau de supporters ne boudèrent pas leur bonheur, et les liesses de 1998 et 2018 les emportèrent.

 

Mais une fracture s'était ouverte. D'un côté le peuple du football élargi, de l'autre une classe "intellectuelle" minoritaire mais visible. Journalistes, amateurs éclairés, esthètes, tacticiens, philosophes et autres, ils se réclament logiquement d'un haut degré d'exigence, et se retrouvent tout aussi logiquement sur une position très critique envers le football français.

 

Ainsi, une partie de la France du foot est fâchée contre sa sélection, voyant en elle le reflet de la médiocrité nationale et en Didier Deschamps son représentant. Depuis un quart de siècle, une bonne partie des médias spécialisés mène une guerre plus ou moins ouverte au sélectionneur en place. Pas toujours avec discernement: beaucoup n'ont vu venir ni 1998, ni 2006, ni 2018, et les archives débordent de leurs pertes de lucidité.

 


L'art et la compétition

La vexation s'est ajoutée au dépit de voir gagner une équipe qu'on avait vouée à l'échec: des sélectionneurs jugés si médiocres ne pouvaient tout simplement pas atteindre le Graal. La finale de 2016, perdue en n'osant pas assez, les confortait.

 

La finale de 2018, aux allures de triomphe, les a désavoués. Pour un football qui n'avait rien gagné jusqu'en 1984, dévaluer la victoire a un caractère un peu pathologique, même s'il est vrai que les "idéalistes" de jadis – les Snella, les Thébaud – plaçaient la manière au-dessus du résultat. L'art pour l'art. On peut déplorer la culture du résultat, mais peut-on snober à ce point la performance et le principe de la compétition – aussi longtemps que le football reste un sport et non une discipline artistique?

 

La France du football est donc traversée par un conflit idéologique qui n'est pas près d'être réglé tant il est universel dans ce sport, entre le romantisme et le résultat, la beauté et l'efficacité, etc. Simplement, cette opposition se cristallise tout particulièrement ici, et elle se combine avec notre tendance à l'autodénigrement.

 

Finalement, c'est peut-être la meilleure preuve que nous sommes un authentique pays de football.

 


 

Réactions

  • Espinas le 24/09/2020 à 12h49
    Très bon article de la revue.
    Le foot français et ses entraîneurs ont eu souvent cette manie de comparer le résultat à la "manière", sous entendant que cette dernière serait un peu accessoire.

    Pourtant, l'exemple de feu le jeu à la nantaise a montré l'efficacité en palmarès de l'importance de penser le jeu et de travailler à long terme.

  • Bernard Diogène le 24/09/2020 à 13h41
    Pour développer un beau jeu en équipe nationale,avoir une ou deux ossatures de clubs avec des joueurs qui se connaissent, ça aide (sans aller jusqu'à dire que c'est indispensable) : Reims dans les années 50, Bordeaux dans les années 80.
    Si on prend le 11 Français de la finale de 2018, 9 clubs différents sont représentés sur le terrain (en 1998, c'était pas mal éclaté non plus). À l'inverse, l'Espagne d'il y a 10 ans avait une forte ossature Real-Barça.
    On peut trouver des contre-exemples dans un sens comme dans l'autre, mais il faut relativiser la notion de "jeu à la française" au regard du précédent constat. Ça touche sans doute d'autre grandes nations du football, pour des raisons plus ou moins similaires (le Brésil avec sa diaspora, l'Italie, l'Angleterre).

  • Utaka Souley le 24/09/2020 à 15h29
    Très intéressante dualité mise en exergue par un bel article très agréable à lire.

  • Tonton Danijel le 25/09/2020 à 10h40
    "Neuf fois sur dix, l'expression "c'est typiquement français" ponctue une ânerie, et porte sur quelque chose n'ayant rien de typiquement français."

    Oui mais Faudel a des impôts à payer...

    Bel article, sinon.

  • Positive vibes le 25/09/2020 à 17h17
    Débat intéressant et très bon article, mais au risque de déplaire à Jérôme Latta, je crois bien que c’est un débat typiquement français. Je doute que les autres pays ayant eu des équipes (clubs ou sélections) ayant remportées des victoires loin du football champagne se soient enfoncés pendant d’interminables années dans une introspection masochiste à grand coups d’autoflagellation.
    Je crois plutôt que c’est un bel avatar de l’arrogance française qui consiste à penser que gagner n’est pas suffisant, il faut qu’il y ait aussi la grande classe ; ben oui, forcément, on est un peuple supérieur, messianique, qui a vocation à apporter la lumière au reste du monde obscurantiste, et donc, la médiocrité n’a pas sa place chez nous. Rajoutez à cela notre propension à ne jamais être content et on obtient le cocktail parfait pour générer des pisse-vinaigres pendant des générations.

    Ceci dit, est ce que tout cela ne serait pas aussi une question de génération ? Si je prends mon cas (rarement représentatif de quoi que ce soit et 1 cas isolé ne fait pas une règle, mais bon, essayons quand même), je me suis éveillé au football à la CDM de 1982 (la finale de LDC de 1976 avait bien attiré mon attention, mais je n’y comprenais rien, si ce n’est que c’était important et que le maillot des stéphanois était vachement beau). Alors, forcément, débuter avec un tel moment de lose absolue, ça marque.

    Et hormis l’éclair de 1984, le reste a été tellement dans la continuation que jusque début juillet 1998, j’étais sincèrement persuadé qu’une victoire française en CDM relevait de la science-fiction et que je ne la verrai jamais de mon vivant. Alors, forcément, 2…. + l’Euro 2000… je ne remercierai jamais assez Deschamps, Jacquet et les joueurs de m’avoir fait connaitre ça.

    Ceci pour expliquer que les critiques du jeu de l’EDF (très discutables) me font toujours marrer et que je m’en tamponne royalement le coquillard. Comme un rêve éveillé. La seule chose qui pourrait me gâcher mon plaisir serait une victoire sur une grossière erreur d'arbitrage (pardon, de VAR).

    J’ai tendance à penser (peut être à tort) que les jeunes générations qui ne connaissent que la France parmi les cadors mondiaux trouvent donc cette position tout à fait normale et qu’ils pensent qu’ils sont légitimement en droit d’attendre plus. Je serais curieux de voir un sondage sur l’appréciation du jeu de l’EDF en fonction des tranches d’âge.

    Mais malgré tout ça, à mon grand malheur, malgré les 2 CDM et 2 Euro, je ne peux toujours pas revoir les résumés de France – Allemagne de 1982. Peut être que si j’apprends la mort de Schumacher après une terrible agonie due à une longue et pénible maladie, retrouverais-je enfin la paix intérieure. Et commencerai à me poser des questions sur le jeu de l’EDF.

  • José-Mickaël le 25/09/2020 à 19h14
    Positive vibes
    aujourd'hui à 17h17
    > Je crois plutôt que c’est un bel avatar de l’arrogance française qui consiste à penser que gagner n’est pas suffisant, il faut qu’il y ait aussi la grande classe

    Pour certaines personnes, peut-être, mais je crois que ce serait une erreur de généraliser.

    Ceux qui souhaitent que la France produise du beau jeu peuvent aussi avoir pour seule motivation le plaisir de regarder un match de foot. Car oui, on peut éprouver du plaisir à voir du foot lorsque le jeu est beau sans pour autant tout sacrifier sur l'autel de la victoire.

    Il est là le débat : faut-il vaincre à tout prix ? Ce n'est pas forcément une question d'arrogance, ça peut aussi être juste le plaisir d'assister à un beau match de foot.

    On n'est pas obligé d'être supporter pour aimer le foot.

  • leo le 25/09/2020 à 22h06
    Positive vibes
    aujourd'hui à 17h17

    Ceci pour expliquer que les critiques du jeu de l’EDF (très discutables) me font toujours marrer et que je m’en tamponne royalement le coquillard. Comme un rêve éveillé. La seule chose qui pourrait me gâcher mon plaisir serait une victoire sur une grossière erreur d'arbitrage (pardon, de VAR).
    ---

    Comme la main de Perisic ?

    Plus sérieusement, je crois que le Brésil a le même genre de débat en comparant les équipes de 82-86 et celle victorieuse, mais moins flamboyante, de 94.

  • Positive vibes le 26/09/2020 à 14h17
    José-Mickaël, je suis bien d’accord. Mais entre cette envie toute légitime (et je crois que nous partageons tous) et le dénigrement systématique qui ne s’embarrasse d’aucune nuance, il y a un (grand) pas. C’est plus cet acharnement dans la critique que je trouve très français que l’envie légitime de beau jeu.
    Leo, peut être plus comme la main de Thierry Henri ;-)

  • Bernard Diogène le 27/09/2020 à 12h29
    @Leo
    "Le Brésil a le même genre de débat en comparant les équipes de 82-86 et celle victorieuse, mais moins flamboyante, de 94".

    *****

    Surtout que naguère les joueurs étaient mis à disposition de la sélection plusieurs mois par an et notamment avant le mondial (entre 82 et 94, de l'eau a coulé sous les ponts), ça laissait le temps de se connaître. Le beau jeu n'était pas seulement intuitif.

  • Julow le 27/09/2020 à 14h24
    Merci pour ce bel article, synthèse qui donne envie de mieux connaître les détails (et c'est bien le but).
    Détail : l'équipe qui "change de peau" en 98, pour dire qu'elle devient rationaliste-rigoureuse au moment ou, littéralement quant à la peau, elle devient "Blacks-Blancs-Beurs", c'est rigolo.

La revue des Cahiers du football