Entre deux eaux
Malgré la victoire…
Est-ce la période — sujette aux craintes de toutes sortes — qui veut ça, mais on serait presque plus enclins à s'inquiéter de cette victoire que de la défaite contre la Belgique. A l'instar de Jean-Michel Larqué, grand maître de la chocotte, on peut par exemple s'affoler des deux buts pris, l'un sur une passe en profondeur, l'autre sur un coup franc excentré, c'est-à-dire deux situations banales et deux erreurs d'inattention.
La blessure de Zidane est pourtant la seule vraie raison d'être inquiet, et elle est suffisamment lourde à cinq jours du match d'ouverture pour qu'on n'en invente pas d'autres. Son absence lors de l'entrée en matière des Bleus serait évidemment un handicap de taille, surtout que les dispositifs de remplacement ne nous ont pas convaincus (voir Les Bleus sans plan B?). Le recentrage de Djorkaeff s'est d'ailleurs révélé aussi stérile que précédemment, son équipe devant essentiellement à l'efficacité de ses attaquants la remontée au score…
Décalages
La sélection française a cependant fait mieux que son homologue anglaise, tenue en échec (1-1) par ces mêmes Coréens, qui ont fait de net progrès depuis le 5-0 de la Coupe des confédérations et qui ont maintenu un gros pressing durant presque toute la rencontre. L'équipe du pays hôte a montré des qualités collectives intéressantes, et surtout une motivation prévisible, clairement supérieure à celle des Tricolores. La Coupe du monde a commencé avec une semaine d'avance pour ces diables rouges-là. Que les hommes de Lemerre s'en soient sortis au score dans des conditions difficiles est donc plutôt rassurant, mais aussi près de l'heure de vérité, on est ultra sensible aux motifs d'alarme. L'un d'eux tient évidemment à l'état de fraîcheur physique manifestement très moyen des joueurs. Il n'est pourtant pas rédhibitoire si l'on fait confiance au staff français pour les amener au sommet de leur préparation à partir du 31 mai. On attribuera ainsi à cette question de timing les prestations médiocres de Thuram ou Vieira, et même de Zidane avant sa blessure.
La défense dans le collimateur
Un autre élément nourrit plus sérieusement les doutes, relatif à l'assise défensive, tant les Coréens ont paru s'infiltrer ou se démarquer facilement. Des doutes anciens, dont la résurgence risque de fragiliser une défense française au sein de laquelle on aura vite fait de stigmatiser Franck Lebœuf. Le Marseillais a pourtant été bon dans la plupart de ses interventions (et il s'est rattrapé avec un geste trezeguetien), les lacunes tenant plus au placement et au travail collectifs. On est un peu surpris d'entendre Bixente Lizarazu déclarer qu'il faudra encore "travailler les automatismes" dans une arrière-garde qui n'a pas changé depuis deux ans… Mais là encore, le défaut de préparation et de vraie motivation peut expliquer que tous les boulons n'aient pas été suffisamment serrés dimanche.
Cela fait donc beaucoup de grain à moudre pour les Cassandre de tout poil, et certains criaient déjà au feu, ce dimanche sur certains sites (l'un d'eux recyclant d'ailleurs un titre que L'Equipe avait osé en 98, "Une victoire inquiétante"). Gardons notre sang froid les enfants, il n'est pas temps de paniquer, mais de s'enquérir de la cuisse de Jupiter. C'est suffisamment de souci.
Les actions de Dugarry à la hausse
Selon les mots de Lemerre, Dugarry est une "couleur de plus à la palette de l'équipe de France". Il a fait une mi-temps intéressante, avec un but volontaire de la tête, surtout quand il est passé dans l'axe du milieu avec un rôle important dans la fin de match. Il est cependant peu probable qu'il compromette le statut d'Henry comme premier choix pour le côté gauche. La disponibilité du Gunner a été un des rares satisfactions du match, sa blessure semblant véritablement un malentendu.
Le retour des trois mousquetaires
Concernant les schémas tactiques de l'équipe de France, il semble qu'une vieille hypothèse effectue en ce moment son retour, depuis qu'elle a été évoquée (vaguement, bien entendu) par Roger Lemerre et confirmée comme une option par certains joueurs (Patrick Vieira notamment). La solution des trois milieux récupérateurs placés entre Zidane et la défense recommence donc à être discutée. La triplette qui avait si bien réussi à Jacquet revient chroniquement sur le devant de la scène, après avoir été tant dénigrée, à l'époque, pour sa prudence excessive. Elle semblait avoir été remisée avec l'avènement d'attaquants hors pair et l'instauration du 4-2-3-1 de Lemerre. Bien que ce dernier n'ait quasiment jamais testé de variantes, on se plait donc à penser aujourd'hui qu'elle pourrait régler la fragilité défensive constatée ces derniers mois, ainsi que le casse-tête du choix d'Henry ou Trezeguet pour le poste d'attaquant axial. Les deux joueurs évolueraient alors ensemble, avec le Turinois dans son registre d'avant-centre classique et Henry décollant du flanc gauche pour tourner autour de son compère. L'autre avantage serait d'écarter Djorkaeff, qui ne trouverait plus sa place dans un tel dispositif. Mais Micoud aussi en ferait aussi les frais…
L'option est séduisante, mais il faudrait vraiment que Lemerre prépare une grosse surprise pour changer inopinément ses batteries. Il est plus probable qu'il recourre ponctuellement à ce système, comme il l'avait fait contre le Portugal et la République Tchèque lors de l'Euro (avec Henry et Anelka en pointe), quoique ces deux applications n'aient pas été extrêmement probantes. Le 4-3-1-2 risquerait en effet de compromettre l'utilisation de la largeur du terrain que garantissent ses deux milieux-attaquants excentrés. Mais l'absence de Pires a changé la donne, en enlevant non pas une, mais plusieurs solutions à ce poste pour faire varier la géométrie du système. Lemerre pourrait donc envisager assez sérieusement ce revirement en s'appuyant, pourquoi pas, sur l'émergence de Makelele, lequel pourrait s'intercaler entre Petit et Vieira et exploiter sa complicité avec Zidane.
A la veille de l'Euro 2000, la même aspiration avait semblé s'imposer (voir Les Bleus vers le 4-3-1-2?), avant que le débat ne s'éteigne finalement face à la réalité des matches et en raison d'une tendance à abandonner la construction du jeu pour balancer sur les "flèches" de devant (voir Entre bleu clair et bleu foncé). C'est si bon de spéculer…