France-Albanie : dans le Deschamps Time
En allant chercher une nouvelle victoire en dernière extrémité, l'équipe de France fait carton plein, sans lever les doutes sur son potentiel. Mais pour Didier Deschamps, tout semble se dérouler comme prévu.
Trois points, une qualification, plus de débat sur Pogba et Griezmann, plus de débat sur le schéma. L'équipe joue mal? Elle a encore du temps pour progresser et elle vient de gagner deux fois de suite dans les dernières minutes, emmagasinant un peu de foi en elle. Deschamps peut rester assez serein, et continuer à compter sur son sens pratique et sur son sens du destin. Au moins fait-il partie de ces entraîneurs qui ne font pas de leurs décisions une question d'amour propre. Il ne lui a pas fallu plus de quarante-cinq minutes pour désavouer son 4-2-3-1.
Bien sûr, cette première mi-temps laxative, que l'Albanie a terminée en jouant comme à domicile, alimentera les inquiétudes de France-Roumanie. Mais la longue stérilité de la seconde ne doit pas occulter que l'équipe de France s'est vraiment mise à jouer après la pause, continuant à rencontrer des problèmes, mais réussissant enfin à en poser. La pression sur le but allant crescendo, un score nul avait fini par paraître injuste: la meilleure occasion albanaise n'aura été qu'un csc frôlé par Sagna.
Les rencontres de poule relèvent d'une logique très différente de ce qui suit. Elle est d'abord comptable, s'agissant de prendre des points autant que d'accumuler un capital plus immatériel. Elle permet de mettre des joueurs à l'épreuve et de voir qui s'impose et qui déçoit… Il faut éviter l'emballement comme l'accablement, et s'épargner les débats grotesques sur le statut des meilleurs joueurs en tirant des conclusions délirantes après un match. En revanche, l'équipe de France reste dans l'incertitude, et dans les doutes, quant à son expression collective et à sa possibilité de l'améliorer nettement. Elle précisera plus tard ses ambitions.
La nalyse
Christophe Kuchly – Pour éviter la redondance des analyses, Didier Deschamps a une solution: changer son système tactique en début de match et enlever deux joueurs majeurs. Un choix qui déplace certains problèmes mais ne change pas le visage d’une équipe qui semble de plus en plus partie pour ne jamais presser à la perte du ballon (c’est forcément voulu) et relancer comme elle peut (ça ne l’est pas forcément). Pour l’instant, Adil Rami ne fait pas un mètre avec la balle dans les pieds, et préfère remettre à Laurent Koscielny ou écarter sur Bacary Sagna, peu importe que le premier adversaire soit à quinze mètres. Aucun décalage n’étant alors possible, sauf peut-être face à une équipe réduite à huit, on tourne assez vite en rond. Pour le joga bonito, c’est la porte à côté.
Le 4-2-3-1 de Didier Deschamps pouvait, sur le papier, permettre de créer d’autres circuits de passe depuis l’arrière. Avec deux milieux axiaux devant la charnière et Dimitri Payet dans le prolongement, ce sont autant de possibilités “faciles” qui s’ouvrent pour peu qu’il y ait de la fixation. Si personne ne bouge et que les milieux jouent bas, on perd quatre joueurs avant d’avoir franchi le premier rideau. S’ils avancent, la responsabilité retombe dans les pieds des deux de derrière. Si Blaise Matuidi monte un peu trop, cela redevient une sorte de 4-3-3. On comprend aisément l’idée du sélectionneur mais, pour ce qui est de ce point crucial face à un adversaire en bloc mais pas replié, elle a échoué. On insiste énormément sur la relance mais, quand on n’arrive pas à amener sereinement le ballon à quarante mètres du but adverse, il est de suite plus dur d’avoir des occasions.
C’est dans ce contexte pas facile qu’Anthony Martial a été lancé, en compagnie de Kingsley Coman. Le premier a presque tout raté, le second n’a pas été aussi souvent sollicité. Entre les deux, positionné en numéro 10, Dimitri Payet était alors bien seul puisqu’aucune verticalité ne venait du milieu. Le maestro privé de baguette, la majorité des actions s’est donc résumée à des duels en un contre un, ce qui expose toujours plus celui qui attaque que celui qui défend. Et puisque Martial était face à l’excellent Hysaj… Sa sortie à la mi-temps, on l’espère, ne grillera pas mentalement celui qui porte pour l'instant mieux les habits de joker.
À la pause donc, Paul Pogba est arrivé et avec lui le bon vieux 4-3-3 des familles. Désormais exilé côté gauche, Payet a alors pu participer à la fête, dans un style de meneur excentré différent du Mancunien. La relance s’est un peu améliorée, Blaise Matuidi a légèrement sorti la tête de l’eau après un début de match à l’envers dans un rôle qui n’est plus le sien en club et N’Golo Kanté est resté sur son nuage. De plus en plus en contrôle, autant parce que le système répondait mieux à ses besoins du moment que parce que l’Albanie était cramée, l’équipe de France a alors appuyé sur l’accélérateur, profitant d’un pressing plus lâche pour lancer ses attaques dans le camp adverse. Ironie de l’histoire, c’est Rami, coincé par sa peur de mal faire en défense, qui s’est retrouvé dans la position du centreur pour offrir le but à Antoine Griezmann, remarquable joueur de tête.
Décoincer l’affaire sur un centre: rien de plus logique tant les Bleus auront usé voire abusé de la chose. Même si Pogba a essayé d’apporter quelques projections depuis le milieu, la France avait un peu trop de trous pour passer par l’axe. Avec également un Olivier Giroud dominateur dans le secteur, à défaut d’être précis, la stratégie gagnait en pragmatisme ce qu’elle perdait en esthétisme. C’est finalement sur une longue ouverture de Pogba, sa spécialité parfois incomprise, que l’affaire s’est définitivement réglée, Payet gagnant son duel pour marquer exactement le même but que le Slovaque Weiss quelques heures plus tôt. Voilà comment, en quelques minutes, les deux garçons pointés du doigt ont prouvé une partie de leur valeur. Et, au passage, que quand les très bons ouvriers foirent la construction de la maison, il ne faut pas hésiter à jeter un oeil aux plans de l’architecte.
Les observations en vrac
L'équipe de France a battu sa bête noire.
Les Tricolores avaient trop bien joué en poule à la Coupe du monde, Deschamps en a tiré les conclusions qui s’imposaient.
Les Bleus ont failli marquer sur un centre de Giroud, ils ont marqué sur un centre de Rami avec une 21e et première tentative cadrée ; ils ont passé la partie à glisser, et ont doublé la mise sur une glissade de Gignac ; buts aux 90e et 90e+6 minutes. Ça ressemble à un bon karma.
Si Coman n'a pas deux défenseurs devant lui, il les attend.
Hors glissades, l'action du 2e but est parfaite: récupération salvatrice de Sagna, transversale impeccable de Pogba, crochet et remise parfaitement dans le tempo de Gignac, conclusion clinique de Payet.
Sur 193 minutes dans cet Euro, l'équipe de France a mené au score pendant 20 minutes (via @1DavidWall).
Vu du forum
=>> newuser - 21h20
Les Anglais et Russes s'en sont aussi pris à la pelouse, vu l'état de cette dernière.
=>> Jean Luc Etourdi - 22h04
J'ai trouvé l'équipe plus remuante lors du match contre la Roumanie. En 2008.
=>> Joey Tribbiani - 22h17
Vu que c'est DD sur le banc, je me dis qu'autant de médiocrité apparente cache forcément un plan machiavélique qui nous donnera la victoire et la qualification à la 92e.
=>> Aristofan - 22h33
Ça n'a probablement rien à voir, mais Giroud me fait penser à Michael Fassbender dans Macbeth. Espérons que ce match se termine dans le bruit et la fureur.
=>> Mama, Rama & Papa Yade - 22h33
Kante vous réexplique ce qu'est une vraie faute intelligente: c'est celle que l'arbitre a sous les yeux mais ne siffle pas.
=>> Moravcik dans les prés - 22h38
Ouais, non, une victoire obtenue sur une reprise de volée de Sagna, il vaut mieux garder ça pour la demi-finale.
=>> Mama, Rama & Papa Yade - 22h40
En fin connaisseur, le public marseillais devrait acclamer Évra. Franchement, ce serait Méïté.
=>> blafafoire - 22h40
Matuidi, même quand il tombe il est disgracieux.
=>> Fugazi - 22h55
Hollande a glissé à Le Graët : "Ça va mieux".
=>> Moravcik dans les prés - 23h00
Quelle magnifique entrée comique de Gignac quand même. Un hors-jeu idiot, un centre derrière le but, deux glissades dont une décisive.
=>> Anglachel - 23h03
Donc, si je récapitule. Problème-Griezmann a été remplacé à la mi-temps par Problème-Martial. Belles confirmations de Problème-Evra et Problème-Pogba, dans la lignée de leur premier match. On reste toujours partagé concernant Problème-Matuidi, alors que Problème-Giroud a montré des choses encourageantes ce soir.
=>> Tricky - 23h13
Juste un truc : j'espère que la difficulté dans laquelle la victoire est née ne va pas induire la tentation de pointer Giroud ou Coman, qui ont fait des matches pas horribles.
=>> Anglachel - 23h15
Ne t'inquiète pas, Evra est là pour se prendre les pierres.
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