France-Croatie : le débriefing
Dans la continuité de nos précédentes nalyses, retour techtico-tacnique sur le match de Leiria afin de dédramatiser les doutes très relatifs des Bleus…
le 18 Juin 2004
Les scores, qui résultent d'aléas aussi imprévisibles que ceux qui ont déterminé les quatre buts d'hier soir, distordent souvent les interprétations des rencontres. Les lectures de celle-ci vont contraster avec le souffle euphorisant qui avait suivi France-Angleterre, alors qu'elle aura surtout enfoncé les clous de Lisbonne, même s'il convient de relativiser l'ampleur des inquiétudes — car il y a paradoxalement eu des progrès par rapport à dimanche… Le double impact des deux buts croates et l'insinuation du doute qui les a suivis tendront ainsi à faire oublier une première période très bien maîtrisée, sans brio excessif mais avec une impression de sérénité malheureusement mal rentabilisée et dilapidée ensuite. Avant le dérapage, les Bleus ont été d'une grande assurance défensive — attestée notamment par la maîtrise du hors-jeu —, très présents à la récupération, et en progrès sur le plan offensif malgré des centres sans destinataires et des maladresses dans le dernier geste. La nervosité et la nécessité de revenir au score puis de l'emporter, ont par la suite accentué le manque de complicité entre les attaquants et souligné des lacunes récurrentes, sans qu'il soit pour autant permis de sonner l'alarme: les problèmes tactiques actuels n'ont rien de rédhibitoire (les erreurs de France-Croatie sont individuelles et non collectives), et ils ont même l'avantage de se présenter avec une certaine évidence. > Une crise offensive ? L'inquiétude vient surtout du fait que les tricolores ne parviennent pas — en tout cas sans conclusion positive pour le moment — à reproduire ces superbes enchaînements qui avaient marqué les éliminatoires et certains matches amicaux. Sur quatre buts inscrits, deux l'ont été sur des passes décisives de l'adversaire (si l'on inclut le penalty obtenu par Henry), deux sur coup franc (avec un contre son camp, en qualifiant ainsi la Madjer de Tudor)… Patrick Vieira en convenait immédiatement après la rencontre, les difficultés à trouver les attaquants et à écarter le jeu sont toujours aussi manifestes. Un paradoxe veut que le Gunner est justement le joueur qui s'est le plus souvent retrouvé en position de frapper aux vingt mètres, ce qui n'est pas vraiment sa spécialité (et alors que l'on attendait plutôt Dacourt dans cette position). Jacques Santini a invalidé les pronostics de changement de dispositif (voir Réforme tactique pour les Bleus?), en maintenant les principes de son 4-4-2, mais il va bien être obligé de se pencher sur le problème, car malgré des adversaires et des scénarios différents, celui-ci s'est posé quasiment dans les mêmes termes: percussions peu fécondes sur les ailes, imprécisions des centres, parasitage des positions respectives de Henry et Trezeguet, productivité incertaine de Zidane. Mais n'oublions pas que les deux équipes affrontées ont joué très regroupées en défense et ont proposé un type de situation particulièrement difficile à gérer: on a le sentiment qu'un bon petit déclic suffirait à remettre tout le monde sur les rails. > Des ailes qui prêtent le flanc ? Concernant l'utilisation des couloirs, la solution consistant à aligner de vrais latéraux, en l'occurrence Lizarazu et Sagnol, semble acquérir de la légitimité, de même que la nécessité de leur offrir des associations efficaces avec les milieux de terrain, voire avec les attaquants (Henry s'est ainsi insuffisamment exprimé sur un côté gauche où les combinaisons avec Zidane et Lizarazu ont souvent été ravageuses par le passé). Sur l'autre flanc, Wiltord ou Pires, du moins si ce dernier consent à s'y fixer, ont montré ponctuellement qu'ils pouvaient constituer de vraies forces de pénétration… Cela dit, le précepte "il faut écarter les gars", quoique moins simpliste que le "il faut mouiller le maillot les gars", n'est pas forcément la panacée: c'est souvent en combinant dans l'axe que les Tricolores ont trouvé la solution au cours des deux dernières saisons, et l'insistance de Santini et de ses joueurs finira peut-être par payer. Puisse Patrick Müller s'y prêter. > Une ligne défensive trop floue ? Avant l'Euro, la polyvalence de la plupart des défenseurs sélectionnés, mis à part Desailly, semblait un atout pour l'équipe de France. Elle peut aujourd'hui apparaître comme un défaut si l'on considère que les automatismes sont imparfaits ou, par exemple, que Silvestre et Gallas sont à contre-emploi en position de latéraux. Notons que la défense alignée contre la Croatie avait pour seul précédent le Belgique-France de février dernier (ce quatuor ayant disputé trois autres matches lors des deux dernières années, mais avec une inversion des rôles entre Gallas et Thuram). Loin de dégager un quatuor majeur, les deux premiers matches laissent ouvertes toutes les interrogations sur les prochaines titularisations... Il faut cependant insister sur le fait qu'en dehors des turbulences qui ont amené les deux buts croates, et du crime presque parfait raté par Mornar dans le temps additionnel (alors que les Bleus jouaient leur va-tout), l'arrière-garde n'a pas souffert. Santini sera quand même, vraisemblablement, amené à durcir ses choix par la suite afin d'apporter un peu plus de stabilité et de certitudes dans l'esprit de ses joueurs… L'équipe de France se trouve dans un entre-deux que résume assez bien sa situation dans le groupe A. Elle a certes raté l'occasion d'assurer immédiatement sa qualification, ce qui prive ses joueurs majeurs d'une meilleure récupération à l'horizon de la deuxième phase, mais elle reste en position très favorable, avec son destin entre les mains, selon l'expression consacrée. Il faut souligner qu'elle est une nouvelle fois revenue au score et qu'elle semble physiquement au point, du moins à en croire une fin de match menée à un rythme très soutenu. Jeudi soir, elle a surtout payé très cher une brève déconcentration — et peut-être une certaine suffisance —, c'est-à-dire des travers qui peuvent être facilement corrigés, et qui peuvent même lui permettre de renforcer sa détermination pour la suite. L'espoir d'une progressive montée en puissance n'est donc pas encore écarté, bien que la confiance semble écornée et qu'il reste visiblement des problèmes à résoudre. Au moins sont-ils assez clairement posés… Ce groupe a les moyens d'y parvenir, à condition que le dialogue en interne porte ses fruits que sa solidarité soit préservée. À l'issue de ses deux premiers matches, la France a ménagé le suspens et les incertitudes, mais elle est bien dans la course.