Hélas, aucun mort à Geoffroy-Guichard
L'absence de drame lors du derby Saint-Étienne-Lyon préserve la possibilité d'une tragédie de plus grande ampleur dans le futur, avec la complicité des dirigeants et des supporters, et sous l'égide de l'organisateur: la Ligue du football professionnel.
Entre la stratégie de pourrissement de Jean-Michel Aulas – au travers de son attitude sur le marché des transferts ou de ses dénigrements omnidirectionnels (1) – et l'infantilisme de Bernard Caïazzo – qui se croit beaucoup plus malin qu'il ne l'est – les dirigeants des deux parties avaient réuni toutes les conditions pour que le derby Saint-Étienne-Lyon dégénère. En ce sens, les tirs réciproques de fumigènes entre la tribune Paret et le carré visiteur ne furent que le prolongement matériel des invectives plus policées entre les dirigeants. Ceux-ci, pour irresponsables qu'ils soient, ne seront évidemment pas sanctionnés: la Ligue est bien incapable de prendre des mesures contre ses propres membres – même si leur culpabilité et leur caractère de multirécidivistes crèvent les yeux. À tel point que même des joueurs – en l'occurrence Sablé et Malouda – ont pointé leurs écarts.
Bêtisier en direct
Le match a donc, logiquement, constitué un véritable festival de stupidités. Si la rivalité entre l'OL et l'ASSE a donné lieu à des dialogues occasionnellement drôles, par banderoles interposées, le tifo organisé à la mi-temps du match par les Magic Fans a opté pour le plus mauvais des goûts: le défilé d'animaux baptisés du nom des joueurs lyonnais aurait pu être bon enfant s'il n'avait pas été accompagné du mot d'ordre "Tuez-les!" Et de grâce, que personne ne plaide le deuxième degré.
On peut également apprécier la leçon de journalisme donnée par les envoyés de Canal+ à Geoffroy-Guichard. Lorsque M. Chapron s'écroule, victime d'un KO, à la suite d'un choc involontaire avec Källström, Guy Roux y voit spontanément l'effet d'un jet d'objet depuis les tribunes (en dépit du caractère improbable de cette exaction, l'arbitre se situant très à l'intérieur du terrain). Plus tard, Cyrille Linette affirmera que le premier jet de fumigène est parti de la tribune stéphanoise, alors que, de toute évidence, il n'a pas eu les yeux rivés sur cette partie du stade. D'autres observateurs (TF1, L'Équipe) affirmeront, eux, que l'ouverture de ces hostilités fut du fait des visiteurs...
Confondant encore justesse et précipitation, le commentateur attribuera aussi aux supporters l'emploi de lacrymogènes, alors qu'il relevait des forces de l'ordre, à l'extérieur du stade et, selon L'Équipe, pour empêcher certains supporters lyonnais d'aller en découdre dans le kop nord (2). Eh oui, ce garçon possède une carte de presse et dans un passé pas très lointain, il a dû suivre une formation l'incitant à la circonspection lorsqu'il ne dispose que d'informations parcellaires, et à ne pas laisser emporter par l'émotion pour commenter des incidents.
Impair et impasse
Au passage, quelques jours après des interventions à Bollaert, lors du match Lille-Manchester, qui ont suscité de nombreuses interrogations sur les méthodes policières, il est permis de s'interroger sur la pertinence de ces techniques de dispersion dans un espace aussi dense et confiné qu'une enceinte sportive. On aurait voulu provoquer un mouvement de panique, avec des conséquences potentiellement du même ordre que celles déjà observées au Heysel ou à Hillsborough, qu'on ne s'y serait pas pris autrement... Cette saison, l'impréparation des forces de l'ordre, dans des situations aussi sensibles, a été plusieurs fois constatée.
La situation montre l'impasse dans laquelle on se trouve: les grillages (dont Sepp Blatter demande, avec son angélisme habituel, l'abolition) menacent les spectateurs en cas de bousculade, mais leurs absence conduirait à des affrontements sur la pelouse même. Autre impasse: la suppression des déplacements pour les supporters impliqués dans ce genre d'incident, qui semble une mesure de bon sens, aurait également son effet pervers: des déplacements non encadrés avec le risque de débordements encore plus incontrôlables.
De quoi pleurer
Il n'y eut donc pas de victimes – morts ou blessés graves – samedi à Saint-Étienne et les seules larmes qui ont coulé ont été provoquées par les gaz lacrymogènes. On en est presque à le regretter. C'est en tout cas ce à quoi incite le cas du hooliganisme parisien: après plus deux décennies de problèmes et près de cinq années de gesticulations sarkoziennes parfaitement inefficaces sur le terrain (mais très rentables médiatiquement – lire Sarkozy bloqué au même stade), il a fallu une victime, dans des circonstances particulièrement hideuses, pour que les acteurs concernés prennent quelques responsabilités et laissent enfin poindre l'espoir d'une amélioration.
Pas franchement affolé par la perspective d'un pareil séisme, Frédéric Thiriez (qui se déplace avec une remorque pour trimballer sa bonne conscience) a promis des "sanctions sportives" et en a appelé à la responsabilité des dirigeants et à une solution européenne. En attendant, parions que le principal effet du match de samedi, au sein de la Ligue, sera la perte de points de l'AS Saint-Étienne et de l'Olympique lyonnais... au "Championnat des tribunes", dont ils étaient les leaders avant cette 27e journée.
(1) Ajoutons à cela une incapacité à sortir de du schéma "C'est la faute aux autres", qu'il confirma à la fin du match en niant toute responsabilité. L'homme le plus puissant du football français, pour efficace qu'il soit à la tête de son club, possède la mentalité et la maturité d'un pré-ado colérique.
(2) Toujours selon Bernard Lions, dans le quotidien sportif, l'origine des affrontements serait l'exhibition, par les supporters stéphanois, d'une banderole volée aux Lugdunums quinze ans plus tôt.