Jean-Michel et moi
Tout un chacun charrie un arbre généalogique plus ou moins vérolé: de l’oncle raciste à la tante nymphomane, il y a souvent de quoi élaguer. L’amateur de foot a, en plus, une belle-famille d’adoption à peu près aussi présentable.
Auteur : Bernard Fat
le 22 Avr 2009
Sauf cas de mariage forcé, la coutume veut que l’amant rencontre sa compagne avant le père de celle-ci. Le jeune homme, rendu insouciant par l’amour, aborde généralement la découverte du géniteur de sa belle avec décontraction. Il ne faut pas brûler la peau de l’ours, certes, mais les chiens ne font pas de chats, se dit-il. Se convainc-t-il. S’illusionne-t-il.
Bien souvent et tout en assurant une cuisinière navrée que son poulet est excellent bien que noir (retranscrivant à peu près la pensée de Thierry Roland à propos de Jean Tigana), il devra subir des conseils avisés sur les plans Perissol ou la supériorité de l’automobile française sur ses concurrentes. Et ce, même s’il est fiscaliste ou ingénieur auto. Tout au plus verra-t-il, dans le regard las de sa compagne et de celle de son donneur de leçon, un soutien silencieux. Le même soutien que je ressens, à la lecture de la presse, dans le regard affligé de mes camarades après un match de Lyon.
Le petit bonhomme très nerveux en chemisette
Car mon parcours avec l’OL a tout de l’histoire d’amour. Je me suis intéressé à ces mecs en 1992, puis j’ai compris que ça serait eux et pas d’autres, contre la Lazio. Après ce match, il était acquis que j’étais mordu: les ratés d’Assadourian étaient les complexes insignifiants d’une belle amante, je comprenais la désolation qu’ils engendraient mais ça n’amenuisait en rien ma passion.
J’avais bien remarqué le petit bonhomme très nerveux qui s’agitait en chemisette et tribunes, mais je ne m’inquiétais guère. Les médias parentaux qu’étaient le Nouvel Obs et L'Humanité ne s’attardaient guère sur cet excité et en 1995, une famille assez peu encline aux questions de football avait d'autres chats à fouetter.
Puis mon équipe s’améliora, s’améliora… jusqu’à devenir un grand club français. Et les grands clubs français ont ceci de navrant que leurs présidents s’estiment les principaux artisans de leur succès et arrivent à en convaincre des médias complices ou naïfs. L’OL ne fit pas exception à la règle: sitôt le club à la lutte pour les premières places, la presse se mit à relayer les discours du délirant primate des Gaules. L’animal a en effet adopté depuis tôt une ligne de communication qu’il suit avec la dernière rigueur et qui consiste à dire n’importe quoi, n’importe comment et à n’importe qui. Sa communication étant le reflet de son action de président: l’exact inverse. Arbitres, adversaires, instances…tout y passe. Le pire étant évidemment que, à force de dire n’importe quoi, il lui arrive d’avoir raison. Comme une horloge cassée donne l’heure juste deux fois par jour, les élucubrations d’Aulas correspondent parfois à la réalité. Ce qui s’explique aussi par l’absence totale de complexe qu’il y a chez cet homme à fustiger chez les autres des turpitudes dont il est le premier représentant.
Comme une belle-mère
Alors certes, de toutes les équipes qui bénéficient des largesses arbitrales, c’est évidemment la meilleure qui en bénéficiera le plus. Certes, ses homologues s’entendent à jeter de l’huile sur le feu dès avant les matches quand Aulas attend que ça se gâte pour s’offusquer. Mais toutes ses indignations sont trop sélectives pour être honnêtes et trop fréquentes pour ne pas lasser jusqu’aux supporters du club qu’il préside.
Le plus beau motif d’agacement de l’homme au sourire ecstasyé est sans doute L’Équipe. Laquelle Équipe, filons la métaphore, présente à peu près tous les traits communs avec la belle-mère lambda. L’une ne parle pratiquement que de la fille de votre coeur, l’autre de votre équipe favorite. Dans les deux cas, il s’agit surtout de critiquer. La longueur des jupes ou celle du banc, la couleur du vernis ou celle du maillot, les recrues… peu importe. La belle-mère se rassure en se disant que vous continuerez à venir lui rendre visite. Le fleuron du groupe Amaury, que vous persisterez à verser votre zakat quotidien de 85 centimes. L’une comme l’autre serait bien inspirée de se renseigner sur le marché du quotidien sportif et sur celui de la belle-mère: ils sont monopolistiques.
Il faut espérer que les secondes ne vont pas copier la mutation entamée par le premier. Existerait-il une équivalence absolue que l’on s’inquièterait même franchement. Les titres racoleurs de L’Équipe annoncent-ils des belles-mères en mini-jupe en cuir? Faut-il s’attendre à ce que les marâtres, inspirées par les polémistes d'Issy-les-Moulineaux, résilient leurs abonnements au théâtre pour s’en payer un à Closer?