Juventus-Real 2003
Les matches de légende – La Vieille Dame a connu l\'une de ses plus grandes émotions le 14 mai 2003, face à la meilleure équipe de l’époque: le Real Madrid.
Juventus Turin-Real Madrid : 3-1 – Stade des Alpes, Turin.
Buts : Trezeguet 12e, Del Piero 42e, Nedved 73e, Zidane 89e.
Juventus : Buffon - Thuram, Tudor, Montero, Birindelli (Pessotto, 60e) - Zambrotta, Tacchinardi, Davids (Conte, 89e) - Nedved - Trezeguet (Camoranesi, 77e), Del Piero.
Real Madrid : Casillas - Salgado, Hierro, Helguera, Roberto Carlos - Flavio Conceicao (Ronaldo, 52e), Cambiasso (McManaman,77e) - Figo, Guti, Zidane - Raul.
Arbitre : Urs Meier (Suisse).
Pour atteindre cette demi-finale de la Ligue des champions, la Juventus a dû attendre les prolongations contre Barcelone en quarts, après une deuxième phase de poule qui l'avait vu passer avec le même nombre de points que Bâle et La Corogne, troisième et quatrième. En revanche, en Serie A, le titre est déjà mathématiquement assuré depuis quelques jours. De son côté, le Real Madrid s’est qualifié en éliminant Manchester après une double confrontation superbe, et ce malgré un parcours chaotique dans les deux phases de poule d’alors. En championnat, c’est tout aussi compliqué: quelques jours avant le match retour, Madrid concède un nul vierge face à Huelva, qui permet à la Real Sociedad ainsi qu’au Deportivo La Corogne, leader au soir de la 33e journée, de passer devant.
Lors de l’aller, le Real l’a emporté 2-1 grâce à Ronaldo et Roberto Carlos contre un but de Trezeguet. Un score assez logique, même si les Espagnols auraient sans doute pu encore alourdir la note. Ils se présentent en favoris à Delle Alpi, mais leur marge est faible.
Les équipes
Les Italiens alignent la meilleure équipe possible compte tenu du contexte. Aucune blessure n’est à déplorer puisque Pavel Nedved vient de se remettre de douleurs au genou, mais deux suspensions viennent fragiliser l’édifice: Ciro Ferrara et Mark Iuliano, qui forment habituellement la charnière défensive, sont remplacés par Igor Tudor et Paolo Montero. Dans les buts, Buffon est fidèle au poste, tout comme Thuram et Birindelli sur les côtés. Tacchinardi assure la tâche de milieu récupérateur aux côtés de Davids et Zambrotta. Devant, Nedved évolue en soutien de la paire Del Piero-Trezeguet. En cas de carton jaune, Birindelli, Zambrotta et Nedved seraient suspendus pour la finale.
Madrid est beaucoup plus déplumé que son adversaire. Blessé et remplacé par Portillo à l’aller, Ronaldo n’est pas titulaire. En délicatesse avec sa cuisse, Claude Makelele n’est pas dans le groupe, mais la défense est habituelle, avec Roberto Carlos, Hierro, Helguera et Michel Salgado devant Casillas. Au milieu, Cambiasso, qui remplace Makelele, fait équipe avec Guti et Flavio Conceiçao. Le trident offensif Zidane-Figo-Raùl est aligné malgré une semaine passée à ne pas s’entraîner pour récupérer de divers problèmes physiques.
Le match : Juve, la vitesse supérieure
D'emblée, les attaques sont tranchantes et le rythme au plus haut. Roberto Carlos envoie d’abord un coup franc un peu trop à gauche du but, avant que Nedved puis Del Piero ne ratent à leur tour le cadre. Pour déstabiliser le Real, la Juventus multiplie les phases de jeu offensives faites de déviations. Exploitant une ouverture de Montero, Zambrotta contrôle de la poitrine puis remet instantanément à Tacchinardi qui allonge pour Trezeguet. Celui-ci dévie de la tête dans la course de Nedved, le long de la ligne, qui centre au deuxième poteau pour Del Piero, dont la remise de la tête est reprise à bout portant par Trezeguet (1-0, 12e). Un but magnifique, tout à l’instinct.
Ce but élimine provisoirement Zidane et les siens, qui refusent de se laisser abattre. La Juve reste menaçante tout en s'infligeant quelques frayeurs défensives. Seul au point de penalty après une frappe contrée, Guti croit être hors-jeu et s’arrête quelques dixièmes de secondes, avant de tirer sur Buffon. Ce tir marque le début d’une nette période de domination des Espagnols. Souhaitée par les deux équipes, elle voit un bloc avancer et l’autre reculer, sans que les occasions ne se multiplient pour autant.
C’est la Juventus qui se projette le plus rapidement vers l’avant et se montre la plus dangereuse. Trezeguet dribble Casillas mais ne parvient pas à rabattre le ballon. Cette capacité à faire vite et bien se confirme quelques minutes plus tard. Tacchinardi intercepte une passe de Zidane et balance la balle loin devant. Del Piero contrôle en pleine course à l’entrée de la surface, offre un tour de rein à Hierro et creuse l’écart d’un tir au ras du poteau (2-0, 42e). À la mi-temps, la Juve est en position de force.
L’entrée d’un Ronaldo pourtant diminué change la donne. Le Real pousse, et se procure de multiples occasions ou situations dangereuses. À la suite d'une faute de Montero sur le Brésilien, le penalty moyennement exécuté par Figo est arrêté par Buffon sur sa droite. Dans la foulée, Helguera place une tête juste au-dessus. La chance des Madrilènes est passée. Sur une récupération, Zambrotta lance Nedved, qui laisse Hierro et Salgado sur place et s’en va marquer en demi-volée (3-0, 73e). Zidane réduit bien l’écart d’un tir croisé au coin de la surface (3-1, 89e) mais la partie a choisi son vainqueur. Entre-temps, Nedved a pris le carton jaune le plus inutile de l’histoire sur un tacle au milieu de terrain. La finale a été acquise en partie grâce à lui, mais elle se fera sans lui.
Tactique : la menace turinoise
Le match vit deux phases bien distinctes: sans, puis avec Ronaldo. Quand le Brésilien entre, il y a déjà 2-0 pour la Juventus, ce qui laisse supposer que Lippi a bien mieux géré son affaire que Del Bosque jusque-là. Au coup d’envoi, le 4-3-1-2 de la Juve s’oppose au 4-3-2-1 du Real. Deux dispositifs tactiques relativement proches, à la différence près que les Espagnols disposent de deux animateurs de jeu décalés sur les ailes (Figo et Zidane) derrière une seule pointe, tandis que les Italiens alignent un seul véritable meneur – Nedved en soutien de deux attaquants. La clé réside dans le lien entre les trois étages: milieux récupérateurs, animateurs, et attaquant(s). Un secteur largement dominé par la Juventus.
En l’absence de Makelele, Cambiasso est aligné sur le côté gauche du milieu. Il fait face à un Zambrotta impeccable, qui va à la fois couper le lien avec Zidane et servir de menace face à un Roberto Carlos porté vers l’avant. Dans un jeu tout en anticipations, l’Italien est à la fois récupérateur et premier contre-attaquant. À ses côtés, Tacchinardi empêche Guti d’exister et, s’il ne sort jamais de son positionnement, sa qualité de passe s’avère décisive sur les deux premiers buts. Davids, lui, s’occupe tranquillement de Conceiçao. Cette triple domination individuelle oblige Zidane et Figo à redescendre chercher le ballon pour créer le danger sur des accélérations plutôt que des passes.
Face à un Zidane plus meneur que détonateur et sous bonne garde, Thuram peut faire parler ses qualités offensives et monter apporter le surnombre, couvert par son compère Zambrotta. À l’inverse, le côté gauche est sous la menace des déséquilibres créés par Figo, mais les profils défensifs de Davids et Birindelli empêchent le Portugais de prendre de la vitesse.
Conséquence de la domination dans la récupération – premier rideau défensif mais aussi lieu d’où partent les contre-attaques les plus instinctives (deux passes décisives pour des milieux récupérateurs) –, Nedved est un meneur avec des soutiens venus de l’arrière et sans garde-fou. Avec deux attaquants, parfaitement complémentaire de surcroît, contre un seul côté Madrid, la menace offensive est toujours tangible. Il suffit de quelques secondes pour se retrouver en position décisive.
L’arrivée de Ronaldo pour Conceiçao, peu après la reprise, marque le passage du Real en 4-4-2. Et, en même temps, du recul du bloc turinois. Pas question de laisser le Brésilien sans surveillance, Tacchinardi descend pour apporter du soutien à sa charnière, ce qui laisse Davids et Zambrotta bien démunis à la récupération. Roberto Carlos en profite pour monter et occuper Zambrotta sur son côté, et Zidane peut enfin avoir un vrai rôle au cœur du jeu. Pour profiter de ce surnombre, le Real va inclure plusieurs éléments défensifs dans l'animation et évoluer plus haut. Conséquence directe: un contre moins de vingt minutes après cette évolution tactique. À 3-0, celle-ci va disparaître, au profit de la fameuse règle du surnombre offensif plus ou moins désordonné. Bien vu à ce moment du match, mais finalement pas suffisant.
Fins de parcours
Après cette qualification acquise avec la manière, la Juventus va finir tranquillement un championnat déjà plié, finissant sept points devant l’Inter. En Ligue des champions, la finale l’opposera au Milan AC, tombeur du voisin aux buts à l’extérieur en demie. Donnée favorite, la Juve souffrira de la suspension de Pavel Nedved, Mauro Camoranesi se montrant incapable d’endosser le rôle de chef d’orchestre habituellement dévoué au Tchèque. Au terme de la séance des tirs au but, Chevtchenko fera exulter Milan. La saison suivante, moins réussite, ne sera que de transition avant deux nouveaux titres nationaux. Les derniers faits d’armes d’une génération victime de son âge et de l’attrait de son président pour l’achat d’arbitres.
De son côté, Madrid fera également main basse sur le titre national en terminant juste devant la Real Sociedad grâce à l’aide involontaire du Celta Vigo (victoire du Real contre l’Atlético et défaite du leader basque lors de l’avant-dernière journée). Les saisons suivantes seront plus délicates en championnat puisqu’il faudra attendre 2006-2007 et un effectif grandement renouvelé pour que les Madrilènes gagnent à nouveau la Liga. Entre-temps, ils se feront sortir en quarts puis huitièmes de finale de la Ligue des champions chaque année.
Plus qu’un match, la victoire de la Juventus sur le Real, lors de ce match de mai 2003, marque la fin d’une époque. Pour le début d'une nouvelle, les deux clubs devront attendre.