Keeper sur la ville
When Saturday Comes – Non seulement les gardiens anglais se sont forgé une réputation de gaffeurs en série, mais ils sont aussi en voie de disparition en Premier League. Analyse d'une débâcle.
Extrait du numéro 323 de When Saturday Comes (janvier). Titre original : "Keeping up appearances". Traduction: Toto le zéro.
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Lorsque Costel Pantilimon le remplace dans les cages de Manchester City lors du festival 7 à 0 contre Norwich, début novembre, il met non seulement fin à la série de 123 matches de championnat consécutifs de Joe Hart, mais contribue également à un week-end sombre dans l’histoire des gardiens anglais: sur les vingt portiers alignés lors de cette journée de Premier League, seuls deux d’entre eux étaient anglais, y compris son malheureux adversaire du soir John Ruddy.
Joe Hart même pas menacé
Cet exemple est loin de constituer une exception puisque 15% seulement des gardiens utilisés par les effectifs de l’élite cette saison sont anglais, soit 35 points de moins que la moyenne des gardiens ayant la nationalité locale des quatre autres principaux championnats européens. Même si ce chiffre passe à 35% en l'élargissant aux Britanniques, la statistique demeure des plus décevantes. En Bundesliga, par exemple, 78% des gardiens jouant régulièrement sont allemands. Manchester City est le seul club d’Angleterre engagé dans une compétition européenne à aligner un gardien anglais.
Cette situation est devenue plus criante à la suite d’une série d’erreurs retentissantes commises par Joe Hart, le numéro 1 de l’équipe nationale, au cours des douze derniers mois. Pour autant, aucun autre candidat ne menace sérieusement sa place dans les buts de l’équipe nationale, encore moins dans un championnat où l’élite est dominée par des joueurs étrangers. Dans le championnat des moins de 21 ans, la moitié des clubs ont fait plus souvent appel à des gardiens non-anglais, dont plus du tiers sont nés en dehors des îles britanniques.
L’Angleterre peut s’enorgueillir de grands gardiens, à l’image des piliers Peter Shilton, Gordon Banks ou David Seaman lors des phases finales, ou des talents plus contemporains comme Ray Clemence ou Chris Woods, mais l’histoire récente n’incite guère à la fierté. Depuis la dernière sélection de David Seaman en octobre 2002, les Three Lions se sont qualifiés pour quatre tournois, lors desquels ils ont eu trois gardiens numéro un différents. Entre-temps, des portiers tels que Ben Foster, Robert Green et Scott Carson avaient été testés avant de se voir rapidement écartés à la suite d'une ou deux boulettes.
Mesurer plutôt que former
"Nous avons détruit toute une génération en négligeant complètement la formation au niveau des clubs", se lamente David Coles, ancien entraîneur des gardiens de Southampton, Portsmouth et West Ham. "Je pense que certains coaches d’Angleterre préfèrent établir des séances uniquement destinées à entraîner le gardien au lieu de lui apprendre à prendre des décisions. J’aimerais voir tous les entraîneurs de gardiens de l’élite dûment certifiés par l’UEFA, et que les sessions soient adaptées aux journées de championnat ainsi qu’au développement de chaque gardien."
David Coles estime que l’obsession de la taille refrène les potentiels. Cette saison, les portiers de Premier League sont en moyenne plus grands (190,7 cm) que ceux des autres principaux championnats européens. La taille serait donc devenue le facteur le plus important dans le processus de sélection des jeunes gardiens: "On dirait que les entraîneurs ne souhaitent pas attendre la puberté, laisser le temps aux enfants de se développer normalement. Ils préfèreraient prendre des joueurs importés en raison de leur taille et les façonner, mais cela ne marche pas systématiquement."
Le renouvellement permanent des managers et des assistants est un autre élément pénalisant les gardiens de buts anglais. L’époque où ces dernies travaillaient avec le même coach pendant près de dix ans, à l’instar de David Seaman avec Bob Wilson à Arsenal, semble en effet bel et bien révolue: Joe Hart a ainsi connu cinq entraîneurs de gardiens différents depuis son arrivée à City. Bien qu’il s’agisse d’une réalité inhérente au jeu moderne dans la plupart des pays, la prolifération de techniciens étrangers en Premier League génère une plus grande variété des méthodes d’un entraîneur à l’autre.
Pas le temps de jouer
Pour David Timmins, l’entraîneur des gardiens de Tranmere Rovers qui a eu Joe Hart de neuf à dix-huit ans sous son aile à Shrewsbury, les opportunités sont très limitées pour les gardiens anglais au plus haut niveau: "Je pense que nous avons des jeunes gardiens de très bon niveau dans notre système de formation, et qu’il s’agit d’être patient et de les faire jouer. Mais le problème est que la plupart des effectifs comptent plusieurs gardiens, ce qui signifie que le temps de jeu est limité."
L’argument selon lequel le talent finit toujours par s’imposer est invoqué pour contrer ceux qui déplorent le fait que les jeunes joueurs anglais ne bénéficient pas d’un temps de jeu suffisant. Toutefois, cette idée ne s’applique généralement qu’aux joueurs de champ et la situation est beaucoup plus compliquée pour les gardiens, qui peuvent parfois être trois ou quatre en concurrence. Ben Amos et Sam Johnstone auront dès lors très peu de chances de s’imposer à Manchester United car le titulaire habituel, David de Gea, n’a que vingt-trois ans et pourrait bien monopoliser les cages du club durant les dix prochaines années.
Résolument tourné vers l’avenir, David Coles espère que le Plan de performance des joueurs de l’élite (Elite Players Performance Plan, EPPP) conduira à une approche unifiée de la formation des gardiens, de manière similaire à celui instauré en Allemagne: "Nous devons revoir notre mode de formation des gardiens tant sur le plan individuel que collectif, et prendre davantage le temps de revenir en détail sur l’aspect technique et tactique des choses, ce dernier étant un domaine que les entraîneurs de gardiens ne couvrent pas systématiquement en Angleterre. J’aimerais voir l’EPPP correctement mis en place par des entraîneurs expérimentés et qui soient à même d’établir un plan de développement à long terme pour les futurs gardiens anglais."
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