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L'USMA, le chant de l'Algérie

Les ultras algériens sont au cœur du soulèvement actuel. Comme ceux de l'USMA, aussi musiciens que supporters, dont les chansons sont reprises par tout un peuple. 

Auteur : Ilf-Eddine alias Raspou le 6 Avr 2019

 

 

Il a été arrêté vers trois heures du matin, dans la nuit du 30 au 31 mars, comme il essayait de franchir la frontière tunisienne en compagnie d'un passeur. Dans sa voiture, quelques milliers d'euros, un passeport britannique, deux permis de conduire, quatre téléphones portables. Il est depuis détenu à la prison d'El-Harrach, dans la banlieue d'Alger.

 

Lui? Ali Haddad, le patron des patrons algériens, président depuis 2014 du Forum des chefs d'entreprise, l'équivalent du Medef. Fondateur en 1988 d'ETRHB, entreprise de travaux publics devenue en moins de quinze ans la plus grosse d'Algérie, Haddad a diversifié ses activités dans les années 2000.

 

On le retrouve ainsi dans les services à l'industrie pétrolière, distribution automobile, tourisme (trois grands hôtels à Barcelone, un complexe de luxe dans sa Kabylie natale), médias (deux journaux et deux chaînes de télé). Il diversifie aussi ses domiciliations fiscales, installant aux Iles Vierges britanniques sa Kingston Overseas Group Corporation – cela lui vaudra les honneurs des Panama Papers en 2017.

 

 

 

 

Les enfants de la Radieuse

Proche de Saïd Bouteflika, l'influent frère du président de la République, Haddad rachète en 2010 l'USMA (Union sportive de la médina d'Alger), l'un des clubs les plus populaires du pays, premier champion d'après l'indépendance, en 1963. Ali Haddad en devient le président et en confie la gestion quotidienne à son frère cadet, Rebouh Haddad (il finira par l'écarter en 2018).

 

Soucieux de s'entourer d'hommes à la moralité irréprochable, les frères Haddad iront jusqu'à recruter Rolland Courbis comme entraîneur pour la saison 2012/13 – avec succès, d'ailleurs, puisque les Rouge et Noir signeront un doublé Coupe nationale-Coupe de l'UAFA.

 

 


Le gros poisson n'est pas toujours celui qu'on croit.

 

Eux aussi se sont diversifiés. De groupes d'ultras, experts en tifo et en fumigènes, ils sont devenus groupes de musique. Dès le début des années 2000, les premières chansons des fans de l'USMA sont enregistrées, principalement celles du Groupe Milano – en hommage au club italien dont ils partagent les couleurs.

 

À partir de 2015, ce sont les Ouled El-Bahdja (littéralement "les enfants de la Radieuse", surnom de la casbah d'Alger) qui se mettent à publier leurs œuvres. Chants de supporters classiques, vantant les mérites de leur équipe, comme en leur temps les Stéphanois avaient mis en musique l'épopée des Verts? Au début, oui.

 

 

"La voix de la liberté"

Mais les messages sociaux et politiques, expressions de la désespérance d'une jeunesse algérienne privée d'avenir, ne tardent pas à percer dans les textes. Ainsi, début 2018, le chant Babour Elou7 ("le paquebot en bois") met des mots sur la tentation de l'exil et devient un tube national dépassant largement le seul cercle des USMistes. Le meilleur des Ouled El-Bahdja reste pourtant à venir.

 

Printemps 2018. La jeunesse du monde entier se passionne pour la série espagnole La Casa de papel, histoire d'un braquage faramineux conçu par un cerveau supérieur. Le parallèle ne manque pas de sauter aux yeux des Ouled El-Bahdja, qui filent la comparaison dans La Casa del Moradia – du nom du palais présidentiel construit sur les hauteurs d'Alger.

 

 

 

 

Le chant est beau, aussi harmonieux que ses paroles sont percutantes, ironiques et tristes, usant de toute la force d'évocation et d'ellipse de l'arabe dialectal algérien. Les mandats d'Abdelaziz Bouteflika sont passés en revue comme des épisodes de série – nous en donnons la traduction faite par le journaliste et écrivain algérien Akram Belkaïd

 

"Le premier [mandat], on dira qu'il est passé
Ils nous ont eus avec la décennie [noire]
Au deuxième, l'histoire est devenue claire
La Casa d'El Mouradia
Au troisième, le pays s'est amaigri
La faute aux intérêts personnels
Au quatrième, la poupée est morte
Mais l'affaire suit son cours…
[…]
Le cinquième va suivre
Entre eux l'affaire se conclut
Et le passé est archivé
La voix de la liberté"

 

 

L'hymne de tout un pays

La casa del Mouradia devient vite l'hymne du Stade Omar-Hamadi, le "petit San Siro" où évolue l'USMA. Il est repris en chœur par des milliers de supporters qui, ce faisant, savent très bien qu'ils critiquent directement le président de leur club, figure éminente du "braquage" qu'ils dénoncent.

 

Quand l'USMA joue dans l'immense Stade du 5-juillet, l'ambiance est encore plus impressionnante, comme ici le 6 mai 2018 contre l'équipe tanzanienne des Young Africans.

 

 

 

 

Des mois plus tard, quand l'hypothèse grotesque et insultante d'un cinquième mandat de la "poupée" paralytique devient une réalité, les foules algériennes descendent par millions dans les rues, et La Casa del Moradia cesse d'être l'hymne d'un club pour devenir celui de tout un pays.

 

Parmi les nombreuses vidéos de la foule reprenant la chanson, celle filmée au cœur de la manifestation du 22 mars dernier donne une idée de l'ambiance et de la densité de la mobilisation.

 

 

 

 

La suite de l'histoire algérienne reste à écrire, et il est trop tôt pour prévoir sur quoi débouchera cette révolte qui impressionne par son ampleur et son pacifisme. Mais on pourra de toute façon retenir le double symbole qu'aura offert l'USMA, vénérable club dont le président oligarque aura été chassé par son propre public.
 

 

* * * 

 

Retrouvez dans le numéro 2 de la revue des Cahiers le portfolio du photographe Romain Laurendeau sur les ultras d'Alger.

 

 

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Réactions

  • San-Antonio le 08/04/2019 à 08h55
    Chouette article, merci.

  • Carlos Alberto Riera Pas le 08/04/2019 à 10h54
    Factuellement beaucoup d'approximations tout de même mais l'essentiel est dit.
    Bon déja les chants politiques n'ont pas commencé dans les années 2000 mais dès les années 1980 et avant le mouvement ultra, les supporters de l'USMA étaient surnommés "Lemsam3ia", littéralement, "ceux qui se font entendre" ou "ceux qui ont des choses à dire", parceque leurs paroles étaient très pointues et en lien avec l'actualité.

    Mais au-delà du joli compte du méchant grand patron (qui n'est d'ailleurs pas le plus grosse boite de BTP en Algérie, ni le groupe diversifié comme décrit) et des gentils supporters, les fans de l'USMA n'ont pas le monopole du chant social et politique, tous les grands clubs d'Alger et même d'ailleurs chantent le désespoir de la jeunesse et la défiance envers les dirigeants.

    Pour en revenir à ceux de l'USMA qui ne représentent pas non plus une énorme galerie - ils remplissent difficilement 10 000 sièges dans leur petit stade de Bologhine là où le MCA fait 5 fois plus - ils n'ont jamais rien chanté contre leur riche président, ils ont accepté sans broncher la manne financière et la stabilité qu'il a amené au club qui est devenu le plus professionnel du pays. Ce n'est que depuis une année ou deux qu'ils commencent à trouver qu'il ne leur à rapporter assez de titre.

    Ils n'ont jamais remis en cause l'influence du frère de leur président sur les arbitres que dénoncent évidemment tous les autres.

    Bref, les choses sont toujours beaucoup plus nuancées que l'on croit.

  • Raspou le 08/04/2019 à 11h45
    @Carlos

    Merci de ton commentaire et d'avoir apporté des précisions utiles.

    Sur l'historique des chants, je ne suis effectivement pas remonté avant ceux des groupes actuels, du coup si tu peux en dire plus sur ceux des années 80-90, ce serait super intéressant, par exemple s'il y a un lien avec le soulèvement de 88 ou la guerre civile.

    Pour ce qui est de la période actuelle, je ne dis pas que les USMistes sont les plus nombreux ni qu'ils ont le monopole du chant social et politique, mais y a-t-il un chant équivalent à La Casa del Moradia dans le paysage? Je veux dire qui ait été autant repris dans les manifestations de ces dernières semaines? Je n'en ai pas connaissance, mais je suis peut-être passé à côté.

    Sur la relation ambiguë des ultras de l'USMA avec leur président, oui, bien sûr. C'est assez classique de l'ambivalence des supps face au président qui arrive avec des moyens pas très clean, on a bien vu ça en France à Marseille ou Paris. Le sujet de la relation entre Haddad et les supps depuis l'accès du premier à la présidence mériterait d'être creusée, mais je n'ai pas les compétences ni les moyens pour le faire, ça devient de la vraie socio, là. Je ne pense néanmoins pas avoir vendu les ultras de l'USMA comme les preux opposants de la première heure à leur président, seulement comme les auteurs d'une chanson devenue virale qui est très critique envers le système de prédation dont leur président est l'une des figures éminentes.

    Enfin, et sans pinailler, je ne vois pas pourquoi tu dis que Haddad n'a pas diversifié ses activités: il a bien créée une filiale "bitume et pétrole", une autre sur la commercialisation de véhicules, il a bien investi dans le tourisme et les médias... On peut certainement contester l'expression "plus grand groupe de BTP", mais c'est clairement un des leaders du secteur, non? Et je pense qu'on sera d'accord sur le coeur du message, à savoir que Haddad était l'un des entrepreneurs les plus influents du système Bouteflika...

  • dugamaniac le 08/04/2019 à 23h17
    Merci pour l'article.

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