La double vie du Bohemka
Il y a dix ans, nous avions raconté la genèse du derby le plus kafkaïen de l’histoire du foot… Bohemians Prague-Bohemians Prague. L'histoire méritait une suite.
Tout avait commencé lors de la saison 2004/05. Le club des Bohemians Prague, l’un des plus populaire de l’ancienne Tchécoslovaquie, avait disparu corps et biens, sans même pouvoir terminer sa saison.
Pour régler les dettes les plus urgentes, les dirigeants du club trouvèrent comme ultime ressource la vente du nom du club. Un petit club de Prague, le FC Strížkov, se porta acquéreur et devint le FK Bohemians Praha.
Mais, au même moment, des supporters firent une campagne de dons dont le succès leur permit d’investir un club amateur de Vršovice et de l’inscrire en troisième division tchèque sous le nom de "Bohemians 1905". Curieusement, la Fédération tchèque de football ne se préoccupa guère de cette incongruité.
Lire "There’s only one Bohemka" (1er octobre 2009)
Homonyme honni
Inévitablement, quelques années plus tard, le FK Bohemians Prague et le Bohemians 1905 se retrouvent en Gambrinus Liga, première division du football tchèque. Le derby a lieu en octobre 2009 et se termine sur un score aussi vierge que diplomatique. Le match retour en avril 2010 est en revanche beaucoup plus houleux. Le FK refuse de se rendre sur le terrain de son adversaire homonyme. Il récoltera une amende de six millions de couronnes.
Mais, depuis quelques semaines déjà, le club du bouillonnant président Karel Kapr est dans l’œil du cyclone. En mars, il a fait la une des journaux en accusant un autre club, le Sigma Olomouc, de tentative de corruption. Le match concerné a eu lieu huit mois plus tôt, lors de la dernière journée du championnat 2008/09.
Certains joueurs du FK auraient reçu une enveloppe de la part du club morave, qui avait besoin d’une victoire pour s’assurer une place européenne. Les Bohemians pouvaient bien s’incliner, ils avaient déjà sauvé leur place. Faute de preuves tangibles, l’affaire restera sans suite, mais le FK sera sanctionné de... vingt points.
Dernier du classement avec un seul point, le FK refuse par ailleurs de payer l’amende de son non-match face au rival homonyme. Une relégation administrative accompagne ainsi la relégation sportive et le club se retrouve en Ligue de Bohême, équivalent à la troisième division tchèque.
Le Dukla aussi
Quelques saisons plus tard, en 2011, la Gambrinus Liga voit arriver une absurdité similaire avec l’accession du… Dukla Prague, glorieux club de l’ex-Tchécoslovaquie, que l’on croyait définitivement englouti par la Révolution de velours.
Le club de l’armée tchécoslovaque (onze titres de champions et neuf coupes entre 1956 et 1990) avait perdu tous ses soutiens et en 1994, il subit une double relégation, tant sportive qu’administrative.
Deux ans plus tard, le club fusionne avec le FK Príbram, club d’une ville située à soixante kilomètres de Prague. Le Dukla Príbram accède à la première division dès 1997, mais décide de changer de nom trois ans plus tard et devient le Marila Príbram. Le Dukla Prague, absorbé, avalé, digéré, n’existe définitivement plus.
Mais un club amateur de Dejvice, un quartier de Prague, s’installe alors au Na Julisce Stadium, l’enceinte historique du club de l’armée. Il en profite pour adopter les couleurs du club mythique et, comme rien ne l’en empêche, reprend aussi le nom et le blason à son compte.
Un héritier unique
Le nouveau Dukla Prague s’inscrit en quatrième division tchèque, conquiert un public et, crânement, son accession à l’élite en 2011. Une situation qu’accepte difficilement le FK Príbram, qui se considère toujours comme l’héritier légitime du grand Dukla. Même s’il n’en porte plus le nom, ni les couleurs. Les entités restent toutefois bien distinctes et ne provoquent pas la schizophrénie des Bohemians.
Du côté des Bohemians, justement, l’affaire se poursuit désormais devant la justice. En septembre 2012, les tribunaux somment le FK de ne plus utiliser le nom historique à partir de janvier 2013. Le club fait appel et peut jouir du nom quelques années encore. En 2016, le club perd définitivement la bataille.
Son équipe joue alors quelque part en cinquième division après divers soucis d’ordre financier. Elle sera dissoute sur décision d’un Karel Kapr en colère, lequel préserve toutefois l’équipe féminine et les équipes de jeunes.
Le Bohemians 1905, quant à lui, retrouve une vie de club un peu normale. Il reste solidement accroché en première division tchèque – à l’exception d’un bref passage en deuxième division lors de la saison 2012/13. Mais sa plus grande victoire reste d’être enfin redevenu l’unique héritier du Bohemka.