La Foire de Paris
La presse manque de pages pour recueillir les déclarations des nombreux protagonistes du putsch par lequel Canal+ porte Francis Graille à la tête du PSG, dans un chaos impressionnant. Michel Denisot en est-il l'odieux instigateur?
Auteur : Pierre Martini
le 30 Avr 2003
Sous l'effet de fuites dans L'Équipe de vendredi dernier, les choses se sont donc précipitées autour du PSG et de son actionnaire majoritaire, peut-être même un peu trop: l'éviction de Laurent Perpère et la désignation de Francis Graille pour lui succéder sont en effet survenues assez malencontreusement à la veille d'une demi-finale de coupe de France, et sans que la plupart des protagonistes ne soient préalablement mis au courant. À commencer par l'ex-président dont le réveil fut un peu brutal, alors qu'il croyait encore que son plan de relance (présenté mardi dernier) pouvait être accepté par la maison-mère. Un déluge de critiques s'abat sur la "méthode" employée et sur le responsable présumé de toute l'affaire. L'élu Ne pouvant plus espérer un désengagement complet et rapide faute de repreneur crédible, Canal+ a donc opté pour l'option Graille, futur président qui investira dans le club à hauteur de 15% du capital (mais les modalités de cette prise de participation restent à définir), et qui sera en outre susceptible de constituer progressivement un nouveau tour de table qui permettrait à la chaîne de se désengager. Président d'une société audiovisuelle, Francis Graille s'était associé à Luc Dayan pour prendre de contrôle du LOSC à l'intersaison 1999, avant de lui succéder deux ans plus tard. Lui-même s'était désengagé en février 2002, cédant la place à Michel Seydoux, après une bonne opération financière. Il s'était ensuite fait élire comme membre indépendant du CA de la Ligue et travaillait à la reprise de l'AS Saint-Étienne. Plutôt novice dans les affaires du football (il compte moins de dix mois d'expérience à la tête d'un club), il y a rencontré un certain succès. C'est donc un homme plutôt neuf qui a été choisi, étranger au PSG et dont on ignore s'il a les épaules assez larges pour relever un défi pareil. Au moins sera-t-il intéressé à sa propre réussite en tant que président actionnaire, et on lui fera crédit de sa réputation de sérieux. Les cocus Ils sont nombreux, à commencer par le désormais ex-président Perpère, qui se trouvait des raisons d'espérer qu'il avait mangé son pain noir et que les choses ne pourraient qu'aller mieux une fois soldé l'héritage Fernandez. Mais en grande partie pour n'avoir pas su se séparer à temps de son manager, et surtout en raison d'un piètre bilan sportif et financier (1), celui qui fut longtemps caricaturé en énarque ne connaissant rien au foot était de toute façon condamné. Heureusement, dans les habits de la victime, il reçoit maintenant l'hommage ému de Patrick Bruel ou Enrico Macias, ses camarades de tribune présidentielle. Tu verras, Laurent, le PSG on l'aime toujours mieux après l'avoir quitté. Les actionnaires minoritaires du PSG (Cayzac, Talar et Brochand) ont également l'impression d'avoir été traités par le mépris. Ils avaient l'occasion de faire grandir leur pouvoir au sein du club mais ont été renvoyés sur leur strapontin. En conséquence, les deux premiers cités ont répandu leur mécontentement dans la presse, Charles Talar dénonçant une "braderie" et annonçant même un "contre-plan de relance" (Le Parisien). Il prétend que le pacte d'actionnaires leur assure un droit de préemption (là où Graille ne voit qu'un droit de suite impliquant la reprise intégrale de la société), veut monter dans le capital et rappelle que Graille n'est pas encore président. Alain Cayzac, en lequel Fernandez voyait un candidat naturel à la présidence (une caution qui vaut ce qu'elle vaut), y va aussi de sa colère contre Canal+, accusé de prendre le PSG pour un jeu vidéo (L'Équipe). Les "dirigeants historiques" (qui n'ont jamais dirigé grand chose) devraient pourtant se contenter de garder leurs 9% du capital avec le privilège de ne pas devoir y aller de leur poche pour régler la dette. Mais comme Cayzac est président de l'association PSG, leur pouvoir d'entrave n'est pas nul et risque de compliquer l'affaire. Luc Dayan n'est pas le moins furieux de la catégorie, car après avoir planché sur un plan de reprise à la demande de Xavier Couture (alors président de Canal), le successeur de celui-ci, Bertrand Méheut, l'a relancé, puis abruptement laissé tomber sans daigner le mettre au courant lui non plus. La pilule est d'autant plus amère que c'est son ex-associé de Lille et ennemi intime Francis Graille qui lui a piqué le bébé. Dayan, une des rares personnes à avoir gagné de l'argent en reprenant des clubs, est souvent représenté comme un prédateur qui privilégie ses retours sur investissements. Il est, de fait, devenu une sorte d'expert des montages financiers dans le monde si singulier du football professionnel. Il a aussi le tort, dans ce dossier, d'être un proche de Charles Biétry, avec lequel il avait mené l'opération de rachat du PSG par Canal en 1991… Enfin, la Mairie de Paris se plaint elle aussi de ne pas avoir été consultée ou au moins informée, idem pour la Conseil régional d'Ile-de-France. Mais si les collectivités ne donnaient pas de l'argent public pour que Fernandez fasse jouer Jérôme Leroy en meneur de jeu, elles n'auraient pas à se soucier de tout ça. Le Machiavel de Châteauroux La plupart de ces personnages disent avoir été floués ou écartés par Michel Denisot, qui leur aurait miné le terrain depuis longtemps, avant de passer à l'action ces dernières semaines pour "conseiller" Bertrand Méheut et surtout le convaincre de garder le PSG dans le giron du groupe — contrairement aux premières intentions du nouveau président de Canal. Dayan signe, dans le Journal du dimanche (27/04), une tribune intitulée "Michel m'a tuer" dans laquelle il affirme que Méheut, envisageant le dépôt de bilan, lui avait même demandé de prendre la présidence du club. Il accuse Denisot d'avoir imposé Graille in extremis pour mener le plan que lui-même avait préconisé, c'est-à-dire une cession partielle du capital, puis une sortie de Canal après restructuration. Selon les minoritaires, Denisot a eu peur de leurs éventuelles prétentions, pour Fernandez, il est le principal responsable de ses déboires, et d'après Cayzac, il est rien moins que "la main armée et secrète qui agit dans l'ombre" (L'Équipe)… Michel Denisot est donc unanimement décrit comme celui qui a tiré les ficelles et accéléré le bouclage du dossier. Cela fait beaucoup de lumière pour un homme de l'ombre. La révélation prématurée (au fait, d'où diable vient l'info?) du montage prouve d'abord que quels que soient les dirigeants, Canal+ commet toujours de grossières erreurs de communication avec le PSG. Le directeur général de la chaîne a en tout cas été obligé de sortir du bois, et ses dénégations ressemblent à des aveux. Sa responsabilité se retrouve ainsi plus engagée qu'il ne l'aurait souhaité, notamment aux yeux de Bertrand Méheut. Reconstruction Une des missions du nouveau président, à l'instar de Christophe Bouchet à Marseille l'an passé, est de ramener une politique globale (financière et sportive) cohérente. Cet objectif implique de dégager la place pour asseoir une autorité unique et incontestée. Il aurait déjà besoin de cette autorité pour gérer une période cruciale, mais en l'absence de toute décision officielle, il est un président virtuel, et le club navigue à vue. Ensuite, si Graille, en tant que détenteur d'une part significative de capital, a théoriquement les moyens d'incarner un exécutif fort (Méheut dit que "Canal+ reste actionnaire, mais pas opérateur"), il doit encore imposer ce pouvoir à une entreprise laminée par les changements, soumise à toutes sortes d'influences et pour ne rien arranger, clairement menacée d'un plan social. Outre ce versant politique très ardu, c'est évidemment autour du projet sportif que les enjeux sont les plus lourds, et là encore, à très courte échéance. Inséparablement de la définition de l'effectif pour la saison prochaine, le choix de l'entraîneur constituera évidemment la décision fondatrice. Personne n'ignore que le premier choix du futur président est Vahid Halilhodzic, avec lequel il s'était bien entendu à Lille et que le challenge motivera forcément. Le jeu des chaises musicales étant bien engagé en L1, on devrait savoir rapidement ce qu'il en est. Avec le Bosniaque, le PSG assurerait une certaine continuité puisqu'un caractériel succéderait à Fernandez (voir PSG: le banc et les poissons). Mais il faut que les paris soient un peu fous pour réussir en football, alors… Les ambitions du futur PSG dépendront des moyens dont il pourra encore disposer, et à terme, des intentions de son actionnaire toujours majoritaire. S'il est vraiment prévu que le club se désamarre de Canal+, alors c'est peut-être un tout nouveau chapitre de son histoire qui s'ouvre aujourd'hui. Sauf si le "président bis" réussit encore à s'y opposer… La question Et Jean-Claude Darmon dans tout ça? L'expression qui aura servi dix mille fois en douze ans "L'image du PSG est brouillée". (1) Avec 230M€ d'endettement en quatre ans, Perpère est une sorte de Robert Louis-Dreyfus salarié. Les gouffres creusés par l'OM et le PSG ont rivalisé de profondeur et Pinault fait presque petit joueur à Rennes.