La Gazette du Mondial, numéro 9
Brésil-Allemagne, finalement
La Coupe du monde des surprises est aussi celle des paradoxes, puisqu'elle débouche sur une finale opposant des sélections détentrices des records de présence à ce stade de la compétition, et pourtant totalement inédite. L'Allemagne et le Brésil seront-ils à la hauteur de leurs devanciers dans l'histoire? On peut en douter, car si ces deux équipes ont été régulières, on ne peut pas dire qu'elles aient atteint une qualité d'expression remarquable. La Seleçao a constamment appliqué la même méthode, comptant (à juste raison) sur les éclairs de ses attaquants. Ronaldo s'y est collé cette fois, avec un joli solo — il faut dire qu'il ne devait pas compter sur les passes décisives de Rivaldo.
C'est une autre courte victoire qui a permis à l'Allemagne de poursuivre sa route jusqu'à Yokohama, l'efficacité ayant été obtenue d'une manière opposée à leurs prochains adversaires mais conformément à la technique du rouleau compresseur. Les Coréens y sont passés — souffrant d'une baisse de régime qui rassure presque — malgré le soutien invraisemblable de leurs supporters. La hauteur de leurs ambitions est indiquée a posteriori par la forte déception qui a suivi l'élimination. De tous les augures délivrés par la compétition, l'émergence du football asiatique n'est pas le moins justifié.
Il est temps de saluer le parcours des Turcs, un peu éclipsés par les Coréens et doivent peut-être à leur tête de devoir surmonter des a priori négatifs. Pour une deuxième participation, c'est un coup de maître, et les compatriotes du désormais célèbre Umit Davala peuvent s'offrir le luxe de regrets après leur deuxième défaite contre des Brésiliens qu'ils ont dominé techniquement. Avec un collectif bien rodé, des joueurs de grand talent (Emre, Hasan Sas, Rüstü ou Bastürk), il a probablement manqué à ces redoutables manieurs de ballon un Hakan Sükür en forme optimale pour pallier leur manque d'expérience à ce niveau. La sélection a confirmé les bons résultats des clubs sur le plan européen, et montré l'émergence d'une génération que l'on devrait retrouver au prochain Euro…
Les perdants ont toujours tort
Alors que nous travaillions à la Leçon 10 de notre Académie de journalisme sportif, qui prenait pour objet d'étude la production des journalistes du Parisien/Aujourd'hui, ces derniers œuvraient à se surpasser pour l'édition de mercredi. On sait donc maintenant que si les Bleus ont été éliminés, c'est à cause des journalistes qui s'égarent involontairement (sic) dans les couloirs de stade, du charme des chanteuses bulgares et de quelques autres contingences décisives.
L'émission Arrêt sur images a réalisé un sujet édifiant qui met en évidence la différence de traitement de l'équipe de France par TF1, avant et après l'élimination. Les mêmes images du Sheraton et des femmes de joueurs ont servi à illustrer des discours complètement opposés. Il est également assez frappant de voir comment la période de préparation est désormais interprétée comme celle du déclin, en ne retenant que les défaites et non les cartons contre le Portugal, le Japon ou plus récemment l'Ecosse.
En football, on cherche des explications fermes et définitives aux scores et aux résultats, en recréant rétrospectivement une chaîne de causalité, alors que les scores et les résultats sont le produit très aléatoires d'une multitude de facteurs. Qu'un poteau soit rentrant et le même match (à cinq centimètres près) donnera lieu à des interprétations radicalement opposées. Pourquoi ne pas imaginer que dans un Mondial aussi laborieux, un simple but arraché à l'Uruguay aurait suffi à remettre les Tricolores sur de meilleurs rails? Mais là, c'est aussi refaire l'histoire…
Très au Sud de Cergy-Pontoise ou de Boulogne-Billancourt, une partie de la presse sénégalaise a accusé les libations des internationaux d'être à l'origine de l'élimination contre la Turquie, prenant le contre-pied de la liesse populaire et faisant allusion au séjour mouvementé des Lions à Taiwan. Ici, on avait plutôt entendu des propos émerveillés et bienveillants sur cette sélection qui ne se prenait pas la tête et n'avait pas peur de s'amuser, ainsi présentée implicitement comme l'antithèse de l'équipe de France… Il semble que la défaite doive immanquablement engendrer des procès.
La Fédération en crise
L'encadrement des Sénefs a réagi avec virulence par la voix de Jules Bocande, qui a menacé les journaux de poursuites judiciaires (AFP, 26/06). En France, les responsables de la Fédération se sont gardés de répondre à ces procès infantiles. Ils sont surtout très occupés à gérer l'après-Mondial, d'abord d'un point de vue financier, ensuite pour désigner un successeur à Roger Lemerre. C'est un peu hors-sujet, mais on se souvient qu'au moment où le football professionnel français traversait une lamentable période, entre lynchage des arbitres et tentatives de faire payer de nouveaux droits aux médias, Claude Simonet avait justifié son mutisme par le fait que la FFF était tout entière attelée à la préparation de la Coupe du monde… Aujourd'hui, cette préparation est en procès, le pôle Bleus est en difficulté et sur le territoire domestique, on commence à comprendre que la Fédération s'est affaiblie vis-à-vis de la Ligue en signant avec elle un juteux accord financier (voir Journal de crise). Dommage que l'on préfère tanner les responsables à propos du sélectionneur et de la gestion du Mondial plutôt que de rappeler le flou artistique qui entoure la gestion de la Fédération (voir Les mauvais comptes font les bons amis).
Les successions sont parfois difficiles
Avouons notre surprise de ne pas avoir vu Lemerre démissionner de lui-même à son retour de Corée. Non pas qu'il en ait l'obligation, mais parce qu'on l'imaginait bien accompagner son départ d'une révérence conforme à son image, nous resservant par exemple son célèbre et polysémique "Je suis et resterai le premier supporter de l'équipe de France". Il devrait aussi savoir que sa position ne sera pas tenable face à des médias qui sont désormais du bon côté du manche. La folie douce du sélectionneur s'est elle doucement transformée en paranoïa?
Le problème est que la désignation d'un sélectionneur est un exercice qui limite les choix pour des raisons sans rapport avec la compétence, et c'est le critère de la disponibilité qui prédomine. Si l'éviction de Lemerre en soulagera certains, il n'est pas dit que son successeur les ravira pour autant. Par exemple, Vincent Duluc a déjà des sueurs froides à l'idée de se coltiner avec Jacques Santini un troisième sélectionneur autiste et médiaphobe de suite. Mais ceci est une autre histoire…