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Le désastre à la télé

Lorsqu'on a perdu quelqu’un de proche, ou le proche d’un proche, un camarade ou un concitoyen ; lorsqu’on a eu peur ; lorsqu’on a souffert de l’atrocité terroriste, on a en outre dû encaisser le traitement médiatique de tout cela.

Auteur : Gilles Juan le 17 Nov 2015

 

 

Il faut le dire tout net: la télévision n’est pas à la hauteur des événements. Elle croit, elle, que la bonne hauteur est celle de ceux qui vivent ces événements. Les caméras bougent avec ceux qui ont peur, traquent comme les indiscrets, insistent comme ceux qui ne pensent qu’à eux. Avez-vous vu ce cadreur suivre ces gens qui ne voulaient pas être filmés, sur la pelouse du stade de France?

 

Au point où elle en est, elle préfère même les documents des amateurs, ça fait plus vrai. "Envoyez vos témoignages", annoncent de plus en plus de chaînes et de radios, qui au lieu de jouer le rôle de filtre, se contente de faire le relai. Ce n’est pas nouveau: voilà quelques années que des journalistes se ridiculisent et méprisent leur propre légitimité en préférant que ce soit "des vrais gens", et non pas des professionnels dont c’est le métier, qui viennent sur les plateaux questionner les politiques. Une radio demandait hier aux gens de garder leur sang-froid; elle venait de tendre le micro à une femme annonçant des coups de feu dans le Marais.

 

 

 

La place à l'émotion

La mythologie derrière tout cela (la mythologie au sens de Barthes, c’est-à-dire l’histoire politique qui se camoufle derrière l’impression de naturel et de normalité), c’est la mythologie du spectacle. C’est la mythologie du triomphe de l’émotion et de l’immédiateté.

 

Qu’on laisse une place à l’émotion, c’est bien évidemment fondamental. Les journaux les plus sérieux proposent des photos poignantes. Mais qu’on en fasse la priorité? Qu’on n’accompagne pas les images de commentaires? Lorsqu’on est un média, aucune image ne "se passe de commentaire". Quel temps avons-nous passé à supporter, à souffrir les choix éditoriaux en attendant un peu d’info? Ils sont trop nombreux ceux qui préfèrent balancer du conditionnel frileux et lâche, qui permet à la fois d’insinuer et de se défausser en cas de non-lieu, ils sont trop nombreux ceux qui fabriquent des peurs et des rumeurs au lieu de dire: "Voici ce que nous savons, voilà ce que nous ne savons pas". Les gens auront peur ou pas comme des grands, vous savez.

 

On ne parle que de foot, sur ces pages – mais le foot a valeur métonymique. Quand les cadreurs des matches ne veulent plus que de l’émotion en gros plan et du montage nerveux, ils sont une partie du tout des chaînes d’info en continu. Les monteurs des résumés des matches de foot mettent des musiques pour nous dire ce qu’on doit ressentir, exactement comme les chaînes d’info en continu veulent nous faire pleurer en donnant "toute sa place" à cet individu qui a cru bon de descendre avec son piano jouer du John Lennon. Mais on n’a pas besoin que la télé nous dise quelle émotion éprouver. Et cette chanson de John Lennon, peut-être qu’on la hait. Que la télévision nous dise en priorité les faits. La fameuse règle des cinq W, "who did what, where and when, and why?" n’intègre pas l’enjeu de commander ce que le spectateur doit éprouver. Médiatiser n’est pas compatir.

 

 

Émus comme en Amérique

Les gens n’ont pas besoin de la télé pour être émus. Ils le seront, comme ils voudront l’être, s’ils sont concernés, et s’ils sont informés. Vous vivez, chers journalistes, dans un monde on l’on vous remplace petit à petit par des gens qui ne sont pas du métier. La question est:les médias qui rémunèrent des pigistes au clic ("scandale!"), et même au like ("Insupportable!") font-ils autre chose que de rémunérer des journalistes à l’audience? Comme le foot à la télé, l’émission d’analyse s’est approprié un mot complètement inapproprié, le "décryptage", pour grimer en observation de fond son survol prioritaire des "ressentis".

 

La médiatisation du foot, pour finir, aime le mauvais cinéma américain: elle fantasme de filmer comme lui, elle est polarisée par les duels manichéens, et, fait nouveau, elle souligne toute la "grâce" du moindre motif religieux, elle cadre en gros plan, sans le discuter, les joueurs qui affichent sur un bandeau qu’ils "love" je ne sais plus lequel des trois. De même, il faut désormais "prier pour Paris", et regarder comme ils sont mignons tous ces pays bleu blanc rouge qui prient pour nous, avant de retrouver les deux invités qui ont été choisis précisément parce que leur polémique (du grec polemos, guerre) sera dynamique et télégénique – et pas commentée.

 

OMG: nous sommes désormais toniques, cools et émus comme en Amérique, grâce au joli travail de fond de nos médias. L’Amérique, dont on reprend sans trembler les commandements, et notamment ceux de Benjamin Franklin: "Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux." Le saviez-vous? La citation n’est pas tout à fait correcte, il ne parlait pas des libertés individuelles – et peut-être que lorsqu’il parle de liberté, il pense notamment au port d’arme? Les télés se tairont sur ce point-là, il est vrai que ça demande un peu de travail de nous informer en creusant les faits.

 

Réactions

  • gurney le 17/11/2015 à 12h27
    Cet article devrait être lu juste après le générique de fin de France 2 mettant en scène la minute de silence de façon interminable à coup de musique larmoyante...

  • Cebrik Jécluse le 17/11/2015 à 12h32
    Merci pour cet article.

    Ces médias m'ont dégouté ce week-end en -retranscrits pêle-mêle- "forçant" les sentiments, en traitant l'actualité sans aucun recul, en utilisant des documents (amateurs) d'une violence inouïe, en bafouant l'intimité des victimes, en faisant juste fi de la moindre once de déontologie.

  • kinilécho le 17/11/2015 à 13h04
    Merci. C'était très bien.
    PAr contre si on pouvait m'éclairer sur le dernier paragraphe (OMG?), je n'ai rien compris...

  • kinilécho le 17/11/2015 à 13h14
    Merci. C'était très bien.
    PAr contre si on pouvait m'éclairer sur le dernier paragraphe (OMG?), je n'ai rien compris...

  • Roy compte tout et Alain paie rien le 17/11/2015 à 13h34
    Très bon article qui me confirme que j'ai bien fait de ne pas avoir regardé la TV du w-e (comme lors d'un w-e normal en fait), me contentant des infos écrites qui permettent sans doute plus de liberté au lecteur.

    Je n'ai voulu regarder aucune des vidéos qui ont envahie le web. J'avais déjà dû subir à mon corps défendant celle de l'exécution du policier à terre en janvier, plus jamais ça.

  • Brian Hainaut le 17/11/2015 à 14h36
    OMG = Oh my God !

  • Ba Zenga le 17/11/2015 à 14h58
    Merci Gilles, en particulier pour ceci: "Les gens n’ont pas besoin de la télé pour être émus. Ils le seront, comme ils voudront l’être, s’ils sont concernés, et s’ils sont informés." Je suis complètement d'accord, qu'ils nous informent comme il le faut, on ne leur demande pas plus.

  • plumitif le 17/11/2015 à 14h59
    « La place à l'émotion
    La mythologie derrière tout cela (la mythologie au sens de Barthes, c’est-à-dire l’histoire politique qui se camoufle derrière l’impression de naturel et de normalité), c’est la mythologie du spectacle. C’est la mythologie du triomphe de l’émotion et de l’immédiateté. »

    Tout est là.

    Une mythologie fabriquée avec les outils de la parcellisation, du raccourci, du plan serré, du propos lapidaire. La manière de filmer un match de foot illustre parfaitement le processus.
    Presque plus de plans larges, mais du serré, des mimiques, des à côtés (le remplaçant scruté, le geste magnifié, le spectateur choisi pour se voir sur le grand écran). Le réalisateur a pris le pouvoir sur l’évènement. C’est normal, c’est lui désormais le sachant.

    Le sachant, c’est celui qui dicte. Sa prise de pouvoir sur l’image, sur la représentation a été précédée dans la presse écrite par celle de l’éditeur.

    Auparavant, le reporter, l’envoyé spécial, faisaient remonter au siège le ressenti du terrain, sa signification. Un processus interrompu avec l’arrivée de l’éditeur, du sachant, renvoyant le reporter, l’envoyé spécial au rang de saltimbanque à la crédibilité incertaine. Ce n'est pas lui le sachant.

    Le sachant sait. Il règne sur les plateaux télés et radios, gourmande, admoneste, ricane, se gausse, coupe grossièrement la parole à l’invité, ratiocine la pensée et domestique l’échange sur ses critères. Le sachant est l’astre, un paon, un ogre narcissique.

    Si l’émotion et l’immédiateté fondent aujourd’hui la mythologie du spectacle, c’est aussi par un processus de représentation religieuse de l’émotion. Le cortège digne, silencieux, laïc, sans signe distinctif d’aucune sorte était jusqu’ici la seule manifestation spontanée de l’émotion et de la solidarité.

    Il y a désormais des totems, des autels, des bougies, un recueillement donc religieux. Il permet donc aux sachants de tous médias d’y expédier ceux qu’ils considérent comme des supplétifs, sommés de ramener religieusement le spectacle de l’émotion.

    Le spectateur au stade, l’éploré, le témoin, le passant sont devenus ce que les sachants ont décrété que nous étions. Le même processus que les spin doctors de la pub.

    Ces sachants là font filmer sous le même angle que ceux de l’info. Ceux qui sont censés être toi, moi, donc nous, sommes cadrés d’abord individuellement avant que des plans de plus en plus larges nous donnent à voir le merveilleux.
    Nous ne sommes pas seuls. Quelque chose nous rassemble. Une marque mondiale (multinationale c’est trop connoté), filme des sourires, une joie de vivre ensemble, avec une musique qui va bien.

    La pub ainsi nous détend, on ne sent plus seuls dans ce monde hostile grâce à XXX : « dormez, je le veux ».

    La singularité est interdite. Le « tous ensemble » c’est en fait le « tous pareil ». Ce qui évite de réfléchir. L’image commandée par le sachant ne doit pas provoquer autres réflexes que le pathos.

    Les seuls états considérés par le sachant ? : le rire ou les pleurs. L’image ne doit pas faire penser. L’individu dans le groupe ne doit pas nous interpeller, il est fondu dans la masse.

    La singularité d’un regard, comme celui saisi par Agnès Varda d’une jeune femme cubaine en 1963 n’est pas dans la grille du sachant: lien

    Le sachant se fait épingler régulièrement comme M6, une nouvelle fois. Mais il s’en fout. Les cartons jaunes ministériels sont intégrés dans le plan marketing.

    lien


  • José-Mickaël le 17/11/2015 à 17h51
    Vendredi soir, très tard, j'ai allumé la télé pour savoir ce qui se passait au Bataclan. Je crois que j'ai mis BFM. Un journaliste avait joint une dame par téléphone, qui témoignait. Elle expliquait qu'elle avait pu se sauver à temps puis qu'elle avait entendu des explosions, quelque chose comme ça. Le journaliste lui a alors demandé : « et vous êtes où, maintenant ? » Pendant que je me disais : il est fou de lui demander ça, elle lui a répondu sèchement « en sécurité ». Et j'ai aussitôt éteint. Ils sont incurables ! (Je n'ai pas retranscrit les mots exacts, mais je me souviens que sa question amenait une réponse précise, ce n'était pas la question de quelqu'un qui s'inquiète pour elle mais de quelqu'un qui veut savoir où elle est.)

    Bref, surtout ne vous informez pas avec la télé. C'est de la télé-poubelle, du voyeurisme, et l'article décrit très bien la dérive vers l'émotion au détriment de l'information. Malheureusement la télé offre ce qui fait de l'audience, donc ce que les gens semblent demander. Bien sûr, les gens n'auraient jamais demandé du voyeurisme si on ne leur avait pas offert. Ça suggère qu'à force de regarder cette télé-poubelle on peut en devenir accroc, qu'il est donc dangereux de suivre régulièrement ce genre d'émission.

  • JauneLierre le 17/11/2015 à 18h51
    Merci pour cet article qui permet de bien retranscrire un sentiment partagé. J'ai moi aussi regardé une de ces chaînes info pour suivre ce qui se passait, ou plutôt ce qui s'était passé tout en anticipant la teneur des reportages. Et ça n'a pas raté, en à peine dix minutes, j'ai eu droit à "l'émotion" au minimum trois fois, l'envoyée spéciale dans les rues de Paris qui ne parle qu'au conditionnel et même en l'absence de passant interviewé, nous dit que cette fameuse émotion est palpable. J'ai donc coupé et suis retourné aux sources radiophoniques habituelles.
    Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la propagation sur les réseaux dits sociaux où nous sommes otages de l'instantanéité. L'émotion déclenche la réaction; l'information suscite la réflexion.

La revue des Cahiers du football