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Le football est-il rilkéen ?

Personne ne s’est jamais demandé publiquement si le football est en bonne entente avec l'un des plus grands poètes de langue allemande, Rainer Maria Rilke. Remédions-y sans plus tarder.

Auteur : Antoine Seignez le 1 Avr 2015

 

 

On n’a peut-être employé, travaillé, puisé dans aucune figure plus que dans celle d’Orphée, sans jamais l’épuiser. Ce chantre qui, par sa lyre, émeut jusqu’au dieu des enfers pour en ramener finalement en vain son Eurydice, empoisonnée par un serpent, a fasciné peintres, cinéastes et poètes, parmi lesquels Rainer Maria Rilke, un Austro-hongrois germanophone et voyageur, à cheval sur le XIXe et le XXe. Celui-ci s’en distingue par sa vision particulière: tandis que les autres voient surtout dans l’aède mythique l’absolu poétique, Rilke le comprend dans les cinquante-cinq Sonnets qu’il lui dédie comme l’homme qui a percé le mystère de la vie et de la mort.

 

Puisque le football est dit beaucoup plus important qu’une histoire de vie ou de mort, il apparaît essentiel de se demander s’il est conforme aux leçons prodiguées dans les Sonnets à Orphée. Pour cela, imaginons une partie de foot "rilkéenne", puis jugeons si elle a trait à une partie classique. Les extraits que nous reproduisons de ce recueil, séparé en parties I et II, publié en 1922, sont de la traduction de Joseph-François Angelloz parue chez Flammarion [1].

 

 

 

 

Une partie de football ?

Selon l’esprit des Sonnets à Orphée, une partie de football peut bien avoir lieu, réunissant des hommes qui ne sont pas omniscients, qui ne comprennent pas les arcanes de ce qui les environne, n’en perçoivent qu’une facette, et de façon biaisée. Des hommes qui, à la fois dans et en parallèle de ce monde dont l’essence leur échappe (“à petits pas les montres vont leur chemin à côté de notre jour véritable”, I-12), n’ont, grâce à leur esprit, que la faculté de se représenter des figures, comme les constellations ou des animaux imaginaires, qu’ils savent factices mais qui les font s’épanouir (“réjouissons-nous un instant de croire à la figure. Cela suffit”, I-11; “nous ne vivons véritablement que par figures”, I-12).

 

La délimitation d’un terrain de jeu, l’instauration de buts et de règles, bref: le football fait partie de ces activités reposant sur l’esprit, au même titre que la fondation de villes ou le chant, qui ensemble composent “le tapis glorieux” de l’être (II-21), par lesquelles l’homme s’accomplit. Et même rivalise avec la nature (“ces danses dans lesquelles la nature, ordonnatrice inconsciente, par nous, les éphémères, est surpassée”, II-28).

 

C’est bien un arbitre humain qui donne le coup de sifflet d’envoi car, si Rilke ne se prononce pas contre l’arbitrage vidéo, il éprouve la nostalgie d’un genre de romantisme passé au milieu de son époque grouillante de machines, qu’il ne considère pas nécessairement mauvaises, à condition que l’homme les domine (“que, sans passion, elle meuve et serve”, I-18; “un but pur assigné à des appareils grandissants”, I-23), car “la machine menace tout ce qui est acquis, aussi longtemps qu’elle a la prétention d’être dans l’esprit, non dans l’obéissance” (II-10).

 

 

Le jeu

Les joueurs sont nonchalants. Non dans le sens de la désinvolture; ils ne connaissent pas la hâte. L’essentiel n’est pas dans la hâte (“tout est reposé: obscurité et clarté, fleur et livre”, I-22; “la frénésie passe sans laisser de trace”, II-22). En dépit de sa brève existence, la fleur immobile, tranquille, accueille davantage le soleil que l’homme. Ce qui ne veut pas dire que les joueurs baissent pavillon devant tout effort ou évitent les contacts (“ne redoutez pas de souffrir”, I-4). Ils sont engagés, s’exposant à la douleur d’un mauvais coup et à la souffrance d’une défaite qui servira à l’expérience future du joueur (“l’allégresse sait, la nostalgie avoue, seule la Lamentation apprend encore”, I-8).

 

Mais ils sont lents, sciemment, et, comme souvent dans ce cas-là, ils sont artistes (“le chant est existence”, I-3); c’est même le plus important pour eux: faire vivre le ballon, chanter la gloire de ce simple objet (“qu’il célèbre la bague et l’agrafe et la cruche”, I-6). Puissent-ils faire poteau rentrant, ils le font, pour le joli bruit de l’impact, la belle trajectoire de la balle, et simplement pour jouer avec une chose. Les choses ne partagent pas leur destin, la peur de la mort, leur rappelant ainsi le bonheur de l’enfance.

 

Au cours de la partie, les joueurs changent de fonction, ou plutôt la fonction des joueurs est de changer au cours de la partie. Non seulement il est souhaitable qu’ils puissent défendre quand l’adversaire monopolise le ballon, et attaquer quand la défaite se profile (“dis à la terre immobile: Je coule, à l’eau rapide dis: Je suis”, II-29); mais c’est la consigne des joueurs de se métamorphoser afin de passer les épreuves (“si boire t’est amer, deviens vin”, II-29).

 

 

Temps additionnel

Ainsi, ils ont du répondant face à une équipe agressive, ils avalent les espaces face à une équipe étirée, ils forment un bloc cohérent face à une équipe offensive, ils jouent au sol face à une équipe de géants... Les joueurs ont cette philosophie de la métamorphose ("veuille la transformation", II-12). Un attaquant cherche souvent à éprouver la satisfaction d’éloigner le danger par un tacle, et il n’est pas étonnant de voir un gardien marquer d’une bicyclette. Le changement ne tétanise pas les joueurs, il est au contraire préféré à tout car vu comme une promesse de bonheur (“tout espace heureux est fils ou petit-fils de la séparation”, II-12), ne serait-ce que parce qu’il enrichit la connaissance.

 

Dans la même idée, il y a beaucoup de changements. Les onze joueurs sont remplacés, et les remplaçants ne se vexent pas s’ils le sont à leur tour. Cela fait partie du jeu. Rilke comprend la vie (il pense à la chasse, aux délices des fruits, aux fleurs coupées et assemblées en bouquet) comme une sorte de deuil permanent nourricier. Comme le banc de touche, le royaume de la mort est très poreux avec celui de la vie, en ce sens qu’il reçoit d’elle mais aussi lui donne (“de l’ombre monte une révélation diaprée”, I-14). Les joueurs ne rechignent pas à sortir. L’idée de ne plus être sur le terrain (“le fantôme de la caducité”, II-27) ne les angoisse pas: c’est une métamorphose de plus; c’est une expérience de plus à goûter, elle aussi promesse d’enrichissement (“le mort boit à la source qu’ici nous entendons seulement”, II-15).

 

Rilke voit en Orphée l’homme qui a révélé aux êtres sensibles qu’exister est célébrer (“tu leur créas dans l’ouïe des temples”, I-1), et, en tant que seul vivant à connaître le royaume des vivants et le royaume des morts, le symbole des intrications fécondes entre eux deux. Cette dualité est résumée dans le mot “Dieu chanteur” (II-26). À l’image de cette continuité entre la vie et la mort, Rilke ne conçoit jamais de rupture. Le monde est cyclique: ainsi l’eau et les saisons – quand l’homme, lui, est capable d’évolution au fil des générations. Le football étant une activité humaine, un match risque d’évoluer mais de ne jamais finir, incessamment nourri de remplaçants; c’est en tout cas la perception de Rilke: il y a beaucoup de tournants mais pas de terme.

 

 

Verdict

Le football a du sens, selon Rilke. Notre ébauche de match “rilkéen” a pu réveiller en nous différents souvenirs de football, entre les seizièmes de Coupe de la Ligue dont on ne voit jamais la fin, les artistes brésiliens des années Telê Santana, les matches amicaux à six remplacements par équipe, le football total de Rinus Michels, les joueurs atypiques comme René Higuita, nonchalants comme Riquelme et Zidane, les déclarations d’après-défaite promettant que l’équipe engrangeait de l’expérience, les vaillants martyrs comme Jonquet en 1958 et Beckenbauer en 1970…

 

Toutefois, beaucoup de comportements courants sur les pelouses vont à l’encontre: les simulations, la rigidité tactique, la force athlétique, le jeu direct [1], qui peuvent aussi bien porter leurs fruits. Le football n’est pas "rilkéen" par essence, mais permet l’application de cette philosophie en son sein. Nous pourrions ainsi diviser les joueurs et entraîneurs en "rilkéens" et "anti-rilkéens", de même que, selon notre jugement, notre inclination, nous-mêmes pouvons adhérer ou non aux préceptes des Sonnets à Orphée dans la vie.

 

[1] Cette traduction n'est pas disponible en ligne. Nous vous en proposons deux autres, légèrement différentes, ici et ici
[2] Dans son autre chef-d’œuvre poétique, Élégies de Duino, Rilke déplore que l’homme mette tant de temps à fleurir alors qu’il devrait s’employer à fructifier. Mais cette nuance invite davantage à savoir concrétiser ses occasions efficacement qu’à adopter un jeu direct fait de longs ballons sans phase de construction.

 

Réactions

  • Pascal Amateur le 01/04/2015 à 09h23
    Je suppose que c'est en honneur de ce 1er avril, jour des poissons et de la déconne, que Rilke est présenté comme tchèque dans le chapeau ? C'est du lol haut de gamme, dites donc.

  • Milan de solitude le 01/04/2015 à 09h58
    Il est né à Prague dans l'Empire austro-hongrois, mosaïque de territoires. Ça peut paraître étonnant de le qualifier de tchèque puisque ce pays n'existait pas à l'époque, mais dans une phrase qui fait le bilan ("le plus grand poète..."), je pense qu'il n'est pas anormal de considérer les frontières actuelles.

  • Pascal Amateur le 01/04/2015 à 10h08
    Bon, voilà, à cause de moi, on dit maintenant que sa mère s'appelait Germaine et était aphone. Bon.

  • José-Mickaël le 01/04/2015 à 11h33
    Puisqu'il est né à Prague, il est tchèque. S'il était né à Roscoff, il serait breton. Il n'y a pas de problème.

  • Ba Zenga le 01/04/2015 à 16h09
    Si les rilkéens n'étaient pas là, nous serions tous en Germanie de toute manière.

    (cela m'étonne que tu ne l'aies pas faite avant, Pascal!)

  • Pascal Amateur le 01/04/2015 à 17h56
    Hum, ce jeu de mots n'était pas assez pourri pour moi, j'en suis bien désolé.

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