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Le Robert des Tartares

Tandis que l'OM célèbre son titre de champion de France, rendons un double hommage à Robert Louis-Dreyfus et à Dino Buzzati.
Auteur : Adaptation par Ilf-Eddine alias Raspou le 19 Mai 2010

 

icone_buzzati.jpgCe fut un matin de décembre que Roberto Luigi-Dreffo quitta sa ville de Zurich pour rejoindre le lointain fort de La Commanderie, une place de deuxième catégorie, à la lisière d'une frontière morte.
C'était là le jour qu'il attendait depuis des années, le commencement de sa vraie vie. Maintenant qu'il était milliardaire, qu'il avait épousé une jolie femme, il allait pouvoir faire comme ceux de sa caste: dépenser sans compter, pour rien, pour n'importe quoi... Pourtant, au milieu de ce bonheur, et sans qu'il pût se l'expliquer, il était étreint par une pensée tenace, comme le vague pressentiment de choses irrévocables, comme s'il eût été sur le point d'entreprendre un voyage sans retour.

Après deux jours de chevauchée, alors qu'il gravissait la traverse des Caillols, la Commanderie lui apparut, silencieuse, noyée dans le plein soleil de midi, sans un seul coin d'ombre. Tout le long des terrains d'entrainement, on apercevait des dizaines de joueurs, portant chasubles, qui couraient méthodiquement de long en large, à rythme régulier. Tel le mouvement d'un pendule, ils scandaient le cours du temps, sans rompre l'enchantement de cette solitude qui semblait infinie.


Partir ?
Sitôt arrivé, Roberto se sentit mal à l'aise. Les gens ici parlaient bizarrement, il ne comprenait pas la moitié de ce qu'ils racontaient. Et la cuisinière n'y allait pas de main morte sur l'ail, ce qui était mauvais pour ses aigreurs d'estomac. Déjà, Roberto avait hâte de partir, mais un départ immédiat pouvait équivaloir à un aveu d'infériorité. De la sorte son amour-propre luttait contre le désir de retrouver sa vieille existence familière, ses soirées poker à Zurich, ses week-ends à Paris, ses vacances au ski à Zermatt.

desert_tartares_2.jpg

Un jour, Roberto discuta avec le gardien de la Commanderie, un petit vieillard qui lui dit:
- Monsieur Roberto, faites attention de vous en aller dès que vous le pourrez, attention de ne pas attraper leur folie!
- Je suis ici pour peu de temps, dit Roberto, je n'ai pas la moindre intention de rester.
- Faites tout de même attention, dit le petit vieux. Tous disent comme vous, au début, et puis ils se prennent au jeu... Ils se mettent en tête que la Commanderie est très importante et que quelque chose doit arriver... Un titre, ou quelque chose comme ça, probablement. Aucun titre ne viendra, bien entendu, mais ils veulent tous y croire... Faites attention, ajouta-t-il presque suppliant, c'est moi qui vous le dis, vous vous laisserez piéger: il n'y a qu'à regarder vos yeux.


Rester
Le vieux gardien avait vu juste: passée sa déception initiale, Roberto rechignait à quitter la Commanderie. Il continuait de se répéter que c'était pourtant la chose à faire, qu'une vie facile l'attendait chez lui, une vie amusante et peut-être heureuse, et pourtant il n'était pas content. Le souvenir de Zurich passait dans son esprit, une image pâle, rues bruyantes sous la pluie, statues de plâtre, lugubres cloches, visages las et défaits, après-midi sans fin, plafonds gris de poussière.

Ici, en revanche, s'avançait la grande nuit sur la mer, avec ses nuages en fuite au-dessus du fort, miraculeux présages... Un pressentiment de choses nobles et grandes, de trophées brandis à bout de bras, de champagne coulant dans les vestiaires, le fit demeurer à son poste.... Il avait tellement de temps devant lui, pensait-il... Quel besoin avait-il de se hâter? Tenace illusion des hommes: la vie lui semblait inépuisable.


Attendre
Des années s'étaient écoulées et rien, absolument rien, n'était arrivé. Les jours s'étaient enfuis l'un après l'autre; des joueurs étaient venus, des joueurs étaient partis, et des entraineurs, et des présidents, et tout était resté semblable... A vrai dire, rien ne laissait présager que l'existence pût changer. Saison après saison, inlassablement, l'hiver s'avançait et le souffle du mistral dissipait les espoirs conçus lors de l'été.
Pourtant, Roberto s'obstinait dans l'illusion que ce qui était important n'était pas encore commencé: il attendait patiemment le titre, la gloire, le succès tardif venant prouver qu'il avait vu juste. Il doutait, pourtant, une angoisse le saisissait parfois: il avait l'impression qu'il n'arriverait pas à temps, l'impression que ce qui allait se produire le prendrait à l'improviste.

D'être ainsi immobile, figé dans son obsession, Roberto ne se sentit pas vieillir – ne voulut pas se sentir vieillir. Néanmoins, le temps passa pour lui aussi, travaillant son corps, éprouvant sa santé... Son visage était devenu d'une triste couleur jaune, ses muscles s'étaient amollis, il s'était enfoncé dans la maladie, et une attente supplémentaire s'était greffée de la sorte sur sa vie: l'espoir de guérir, de guérir enfin.


Partir, cette fois
Un soir, Roberto était étendu dans sa chambre, luttant contre son mal, lorsque Giovanni Anigo, son fidèle secrétaire, fit irruption:
- Cette fois-ci, c'est la bonne! Le commandant Deicampi a accepté votre proposition, et a amené avec lui des troupes d'élite! Nul doute qu'il nous mènera au triomphe!
- Et moi qui suis cloué à ce maudit lit! pesta Roberto, qui entra dans une colère terrible: lui qui avait renoncé aux plus belles choses de l'existence pour attendre ce titre, lui qui depuis quinze ans s'était nourri de cette unique espérance... Allait-il partir maintenant, au moment où la victoire, peut-être, enfin, arrivait ? Des larmes amères coulèrent lentement sur sa peau ridée comme Giovanni Anigo se retirait, le laissant seul.

Et puis d'un coup, du puits amer des choses passées, des désirs inachevés, des méchancetés souffertes, monta une force qu'il n'eût jamais osé espérer avoir: avec une joie inexprimable, Roberto Luigi-Dreffo s'aperçut, tout d'un coup, qu'il était parfaitement calme. La mort perdit son visage glaçant, se changeant en une chose simple et conforme à la nature. Faisant un ultime effort, il redressa un peu le buste, arrangea d'une main le col de son maillot floqué du numéro 10, jeta un coup d'œil à ses tongs placées au pied du lit, et, dans l'obscurité, bien que personne ne le vît, il sourit une dernière fois.


Bientôt : l'adaptation au cinéma
desert_tartare_3.jpg

Réactions

  • M.Meuble le 19/05/2010 à 01h31
    Dominique Pinon en Dede. Pas mieux!

  • Cantona rien à dire le 19/05/2010 à 02h11
    Respect Mr Raspou.

  • gimlifilsdegloin le 19/05/2010 à 06h57
    Bravo. Simplement, bravo.

  • Croco le 19/05/2010 à 07h56
    Jolie analogie. Très bon article. Le clin d'oeil final aux tongs m'a bien fait marrer.

  • Monsieur Jo le 19/05/2010 à 08h53
    En tant que fan de l'Om et de Buzzati je vous dit bravo monsieur Raspou!

  • Tonton Danijel le 19/05/2010 à 09h06
    Par contre, comparer Clovis Cornillac à José Anigo... C'est vache pour le jeu d'acteur de José Anigo...

  • Et Micoud, c'est du poulet ? le 19/05/2010 à 09h36
    M.Meuble
    mercredi 19 mai 2010 - 01h31
    Dominique Pinon en Dede. Pas mieux!

    -----------

    Ne sois pas si sûr de toi jeune homme.
    Dédé c'est Philippe Duquesne de la troupe des Deschiens (ou je sais c'est ma marotte).

  • nikoselstokos le 19/05/2010 à 11h53
    Mon livre préféré ! Emu je suis...

  • manuFoU le 19/05/2010 à 12h10
    c'était beau, peuchère, j'en aurais presque la larme à l'oeil.

  • Troglodyt le 19/05/2010 à 12h45
    Parfois, les félicitations s'imposent.
    Ton article m'apaise vis-à-vis d'un livre que je n'ai pas su aimer ; merci, et bravo !

La revue des Cahiers du football