Les footballeuses de Preston
En Angleterre, le football féminin a connu un très fort développement durant la Première Guerre Mondiale, où est apparue notamment une équipe de légende, les Dick, Kerr's Ladies.
L’entreprise Dick, Kerr and Co est une société écossaise spécialisée dans le rail. Elle construit des locomotives, des wagons, des tramways. Une de ses usines a été ouverte à Preston dans le Lancashire en 1893 sans que l’on puisse imaginer un instant qu’elle deviendrait le berceau d’une des plus belles aventures de l’histoire du sport féminin.
Le foot féminin sur les rails
Lorsque débute la guerre de 1914, de nombreuses usines situées en Angleterre sont réquisitionnées pour fabriquer des armes, des munitions et du matériel. La plupart des employés sont quand à eux envoyés sur le front, et ce sont des jeunes femmes qui sont embauchées en usine pour pallier le manque de main-d’oeuvre.
L’usine Dick, Kerr and Co de Preston n’échappe pas à l’effort de guerre. De nombreuses jeunes femmes ont rejoint ses ateliers dès 1914, travaillant plus de douze heures par jour dans des conditions souvent difficiles voire dangereuses. Au bout d’un an, constatant que leur souffrance nuit à la productivité, les dirigeants proposent aux jeunes femmes de profiter des pauses pour pratiquer des exercices physiques.
En octobre 1917, alors que l’usine connaît une baisse d’activité, les femmes bénéficient de pauses sportives plus longues et en profitent pour s’initier au foot avec les quelques hommes encore présents ou revenus au travail. Se prenant au jeu, elle se mettent à jouer non plus avec mais contre ces mêmes hommes. Un match aurait même vu leur victoire, un événement abondamment relaté dans la presse (bien qu’on n’ait jamais connu le score) qui encourage les joueuses à monter une véritable équipe. En 1917 est donc créé le Dick, Kerr's Ladies Football Club.
Naissance d’un club
Alfred Frankland, employé administratif, est nommé manager de cette équipe. D’autres usines ont suivi le mouvement et des matches sont organisés au profit des victimes de la guerre. Les filles de chez Dick, Kerr & Co jouent plutôt bien et attirent rapidement un public nombreux et d’autant plus fidèle que les compétitions d’hommes, coupes et championnats, sont toujours suspendues.
Le club masculin du Preston North End prête son stade de Deepdale aux Dick, Kerr's Ladies et celles-ci attirent la foule, notamment 10.000 spectateurs le jour de Noël pour un match remporté 4-0 contre la Arundel Coulthard Factory.
Lorsque la guerre prend fin, les usines retrouvent leurs activités initiales. Les hommes sont de retour et de nombreuses femmes perdent leur emploi. L’aventure des Dick, Kerr’s Ladies se poursuit toutefois à travers de multiples rencontres dans tout le pays, principalement pour recueillir de l’argent destiné aux victimes de la guerre. La curiosité de voir jouer une équipe de femmes laisse place à une sincère admiration pour le jeu pratiqué.
Premières rencontres internationales
Le 30 avril 1920, les Dick, Kerr’s Ladies reçoivent à Deepdale une sélection de joueuses françaises provenant principalement de Paris. Devant 25.000 spectateurs, l’équipe anglaise l’emporte 2-0 dans ce qui est souvent considéré comme le premier match international de l'histoire du foot féminin (déconsidèrant de facto les Écosse-Angleterre disputés dans les années 1890).
Les deux équipes se retrouvent en trois autres occasions: les Anglaises s’imposent (5-2) à Stockport, elles concèdent le nul (1-1) à Manchester puis s’inclinent (2-1) à Stamford Bridge. En octobre, les deux formations se retrouvent en France, d’abord à Paris au stade Pershing devant 12.000 spectateurs pour un match nul 1-1. Deux autres scores de parité suivront, à Roubaix et au Havre, avant que les Dick, Kerr's Ladies ne s’imposent pour le dernier match à Rouen.
Cette tournée en France, diffusée aux actualités dans les cinémas, bénéficie d’une forte couverture. Le public anglais s’entiche des Dick, Kerr's Ladies et des joueuses comme Lily Parr ou Alice Woods acquièrent une popularité égale à celle de leurs homologues masculins. En fin d’année, le jour du Boxing Day, pas moins de 53.000 spectateurs se rendent au Goodison Park de Liverpool pour une rencontre les opposant aux St Helen's Ladies.
Le coup d’arrêt de la FA
La plupart des rencontres des Dick, Kerr's Ladies attirent une affluence plus grande que celle de bien des matches masculins, et cela commence sérieusement à agacer ces messieurs de la FA, la fédération anglaise de foot, entièrement masculine. Le 5 décembre 1921, prétextant le fait que la pratique du football serait inappropriée aux femmes et émettant des soupçons sur la nature réellement caritative de la plupart des rencontres, la FA interdit aux équipes féminines l’accès aux installations de ses clubs.
C’est un coup dur pour le foot féminin, obligé de jouer sur des petits terrains échappant au contrôle de la FA. Moins de spectateurs, moins de recettes, moins de passion, la plupart des équipes féminines mettent la clé sous la porte.
Les Dick, Kerr's Ladies semblent trop fortes pour se laisser abattre. Puisque la vieille Angleterre ne veut pas du foot féminin, les joueuses s’en vont conquérir le monde. Une tournée au Canada est entreprise en fin d’année 1922 mais à leur arrivée, les joueuses apprennent que la fédération locale a appliqué la même interdiction que celle de sa consœur anglaise.
Les Dick, Kerr's Ladies se rendent alors aux États-Unis où il n’existe encore aucune formation féminine, mais où des équipes masculines de l'American Soccer League acceptent de les recevoir. Neuf rencontres peuvent être disputées devant des assistances pouvant aller jusqu’à 10.000 spectateurs, et où les Dick, Kerr's Ladies arrachent trois victoires et trois nuls.
Cette tournée triomphale amorcent pourtant le déclin des Dick, Kerr's Ladies. En 1926, le manager Alfred Frankland se retire de l’usine et emmène les joueuses avec lui. L’équipe est rebaptisée Preston Ladies FC et continue d’attirer un public nombreux là où elle joue. En 1937, elle est même officieusement sacrée championne du monde de football féminin pour avoir battu les Edinburgh Ladies, titrées en Écosse, sur le score de 5-1.
L’aventure prendra fin en... 1965, quarante-huit ans après la fondation de l’équipe dans l’usine de Preston. Avec un bilan de 828 matches, dont 758 victoires (pour 46 nuls et 24 défaites). Ce n’est qu’en 1971, soit cinquante ans après son application, que la FA mettra fin à son interdiction de la pratique du foot féminin.
Sources et inspiration:
Le livre “Une histoire populaire du football” de Mickaël Correia (2018 - La Découverte).
L’article de Mounir Mezouar sur pkfoot.com.