Moldavie, le bazar permanent
Un promu qui refuse de monter, un club racheté pour disparaître, un leader qui se saborde, une lanterne rouge bloquée à zéro point: bienvenue dans le championnat moldave, où le n’importe quoi est roi.
La Moldavie a rarement l’occasion d’être en une des journaux sportifs à l’ouest de l’Europe. La dernière fois que ce pays coincé entre Roumanie et Ukraine a été évoqué côté sports date de la mi-novembre 2014, après un 0-1 contre le Liechtenstein. Stérile en attaque malgré sa forte domination, la Moldavie avait cédé sur un coup franc et offert au petit poucet germanophone la deuxième victoire à l’extérieur en éliminatoires de son histoire. Il faudrait une série de miracles pour que la Moldavie, actuelle 121e au classement FIFA et bonne dernière du groupe G avec un point en quatre matches, puisse participer à son premier grand tournoi en France.
La technique du retrait
Si l’équipe nationale moldave navigue loin de son 38e rang mondial d’il y a six ans, elle le doit notamment à un championnat on ne peut plus instable. Depuis que cette ex-république soviétique a acquis son indépendance en 1992, la compétition locale a changé de formule déjà une dizaine de fois! Si le nombre de clubs participants a pu fluctuer entre huit et seize par le passé, il aurait dû être de douze cet été. Mais le Victoria Bardar, promu, a refusé la montée pour raisons financières, et aucun club, relégué ou de D2, n’a pu ni voulu le remplacer. Pire, pour la troisième fois depuis 2008, l’élite moldave a perdu un membre en cours de saison.
Le FC Costuleni a en effet demandé à sa fédération… le droit de se retirer. La raison? Son nouveau propriétaire, Andrei Grigor, avait annoncé en début de saison viser une place européenne. Mais après dix journées, le club de cette ville de l’Ouest du pays était déjà loin du podium espéré, avec cinq défaites.
Pour stopper les frais, quoi de mieux que de repartir à un échelon plus bas? Le 20 novembre dernier, la fédération de football moldave (FMF) a validé cette singulière requête, et ainsi annulé tous les résultats obtenus par le FC Costuleni – au grand dam des équipes qui avaient réussi à gagner contre lui, comme le Milsami Orhei, qui avait gagné six points, et dont le seul motif de satisfaction aura été d’avoir gagné sans jouer contre Costuleni un quart de finale de la Coupe nationale.
Bis repetita
Costuleni n’est pas un cas isolé. Deux semaines plus tard, un club de la capitale Chisinau, le Veris, fait la même demande à la FMF. Officiellement, par dépit: Vladimir Niculaita, président de ce club fondé en 2011 – champion 2012 de D3, champion 2013 de D2, européen la saison dernière – n’a en effet pas toléré l’arbitrage jugé orienté d’un quart de finale en Coupe entre son équipe, alors première en championnat, et l’ogre local, le Sheriff Tiraspol, qui s’est conclu la veille par la défaite du Veris sur un but en fin de prolongations. Le 5 décembre, la FMF autorise le retrait du Veris, ce qui se traduit, comme pour Costuleni, par l’annulation de tous ses résultats et son exclusion de toute compétition moldave pour trois ans.
L’arbitrage n’est qu’un prétexte pour expliquer le sabordage du leader de la Divizia Nationala. Derrière ce choix, le Veris Chisinau voulait frapper un grand coup contre le Sheriff Tiraspol, dont l’influence est jugée envahissante au sein des instances du foot moldave. Surtout, il y avait un problème d’argent pour son président qui ne voulait plus dépenser autant – d’autant que le versement des salaires connaissait quelques retards dernièrement… Sans parler de l’affaire Alexandr Cucerenco: suspecté d’être en possession de faux papiers [1], ce défenseur du Veris a été suspendu.
De onze participants, la Divizia Nationala est ainsi passée à neuf, avec des journées à trois matches seulement au lieu de cinq. Et un classement illisible, puisque les clubs restants n’ont pas disputé le même nombre de matches. Et on ne parle pas du casse-tête de la saison prochaine, où un format à dix clubs était prévu: comment y parvenir sans promouvoir des clubs trop fragiles économiquement ou à la merci de l’humeur de leurs propriétaires, quand même ceux déjà présents dans l’élite ne sont pas fiables? En outre, une vingtaine de joueurs, pour la plupart du pays, se retrouvent maintenant sans employeur – dont plusieurs internationaux.
Jamais deux sans trois?
Fin du feuilleton moldave? Que nenni. Le retrait du Veris à peine entériné, le Zimbru Chisinau annonce à son tour son départ. En cause: l’arbitrage lors du derby de la capitale face au Dacia, vainqueur le 7 décembre 1-0 chez le Zimbru. Le Zimbru est un club particulier: il a une histoire, un palmarès, ayant été le grand club des années post-indépendance, avec huit titres sur les neuf premières saisons. Il reste un des rivaux les plus sérieux du Sheriff Tiraspol, il est surtout la principale source actuelle d’internationaux du pays. Imagine-t-on seulement une équipe nationale à majorité de chômeurs?
Après une rencontre entre les présidents du Zimbru et de la FMF, ce club est finalement revenu sur sa décision… qui apparaît comme opportuniste. Si le Zimbru reste mal classé – il compte moitié moins de points que le Dacia, leader avec 30 – nul doute qu’il a obtenu, au moins officieusement, quelque(s) contrepartie(s). Du reste, il peut aussi miser sur le mercato hivernal, où les laissés-pour-compte de Costuleni et du Veris vont être disponibles pour un renforcement de son effectif.
Réduite à huit clubs, la Divizia Nationala aurait pu imploser et donner lieu à une scission en trois, avec à l’Ouest la Bessarabie roumanophone et pro-européenne de Chisinau, à l’Est la Transnistrie soviético-nostalgique de Tiraspol et ses chars russes, et au Sud la Gagaouzie turcophone et pro-russe (où joue le club du Saxan Ceadîr-Lunga), qui a voté début 2014 à 98 % en faveur d’une union douanière avec la Russie. Cela aurait pu poser un nouveau problème à l’UEFA, déjà encombrée par le cas des clubs de Crimée, dernièrement interdits de participer aux compétitions russes à la suite de l’annexion de la région.
Le foot moldave a-t-il un avenir?
De fait, le championnat moldave paraît copier le pire de ses deux voisins. Comme en Roumanie, le "folklore" local est bien présent, avec un leader qui phagocyte les instances et cumule les titres (treize sacres du Sheriff Tiraspol sur les quatorze dernières saisons), des forfaits pas si rares, des renommages de clubs à foison, des clubs qui montent très rapidement pour redescendre et être aussitôt oubliés. Comme en Ukraine, le top-club moldave est issu de la capitale sécessionniste de l’Est du pays, dont l’effectif abrite toute une légion brésilienne, et dont les moyennes et les scores délirants engendrent un écart gigantesque avec les mal-classés au sein d’un championnat grandement déséquilibré.
La Divizia Nationala semble sauvée… mais jusqu’à quand? Il va falloir la réformer pour la énième fois en 2015, et l’état économico-politico-sportif de plusieurs clubs – tel le Dinamo-Auto Tiraspol, auteur d’un joli grand chelem à l’envers en championnat malgré le renfort cet automne de huit joueurs prêtés par le Dacia Chisinau – risque de ne pas faciliter la réalisation de cette tâche. Sans oublier les complots dans les coulisses, fomentés par les deux oligarques russes Serghei Chiseliov et Adlan Sishanov, impliqués dans le foot l’un à Balti et l’autre à Chisinau, qui via le torpillage du championnat visent à faire tomber leur adversaire qu’est Pavel Cebanu, le président de la FMF depuis 1997, considéré comme l’âme damnée du Sheriff Tiraspol.
À se demander si l’implosion du championnat conjuguée à un choix "à la liechtensteinoise", qui se traduirait par une participation des clubs moldaves de l’Ouest au championnat de Roumanie voisin, ne serait pas une moins mauvaise solution…
[1] Si les papiers de Cucerenco indiquent qu’il est né en Ukraine le 01/10/1994, la fédération ukrainienne lui donne 1991 comme année de naissance.
Photo Aleksandr Mysyakin / Soccer.ru