Monsieur Thiriez, sifflez le premier
Test – Prenant au mot le président de la Ligue, nous l'invitons à enfiler l'habit d'arbitre vidéo et à juger les actions litigieuses du week-end. Et nous lui garantissons qu'au terme de cet exercice, il verra la lumière!
Auteur : Pierre Martini
le 1 Avr 2008
Réagissant aux polémiques du week-end (lire "Lynchage en famille") et évoquant la task force mise en place avec la Fédération pour "essayer de trouver des solutions" aux maux de l'arbitrage, le président de la Ligue a conclu sa déclaration par ces mots: "De toute façon, tant qu'on n'en arrivera pas à la vidéo, on ne mettra pas fin aux polémiques" (L'Équipe du 31 mars).
Nous tendant une perche rêvée le jour même où il commémorait mai 68 avec un vibrant "Nous sommes tous des Ch'tis!", Frédéric Thiriez a peut-être rendu ce 30 mars aussi historique qu'un 22 mars d'il y a quarante ans. Une révélation n'étant pas plus à exclure qu'une révolution en ce mois pascal, notre ami va peut-être comprendre que la vidéo ne mettrait pas du tout fin aux polémiques.
Frédéric, accomplis ton rêve. À toi de jouer !
Corner pour Bordeaux (Nancy-Bordeaux)
C'est facile, et tu as trouvé la bonne réponse: il y avait sortie de but pour Nancy... Mais c'était un piège! Car tu assures sans cesse qu'on limitera drastiquement l'usage de la vidéo à des cas très précis comme les fautes dans la surface... et donc qu'elle ne servira pas à vérifier la validité de chaque corner ou chaque touche. Pourtant, ce corner a amené un but bordelais et a suscité la polémique...
Morale. Il est impossible de promettre que l'on va limiter les cas de recours à la vidéo. Dès qu'elle sera en œuvre, on ne comprendra plus que des "injustices" lui échappent encore. Bienvenue dans le téléfootball, le football en petits morceaux qui annihilera près de vingt ans d'efforts pour améliorer la fluidité et la continuité du jeu (interdiction de la passe au gardien, règle des six secondes pour dégager, cadrage du décompte officiel du temps additionnel, évacuation des blessés sur civière, ramasseurs de balle autour du terrain, etc.).
Notre alternative. La scène montre à quel point un autre regard que celui d'un arbitre mal placé et d'un assistant qui a d'autres tâches serait salutaire. Un arbitre ou un assistant supplémentaire aurait toutes les chances de corriger instantanément une décision erronée s'il est situé face au jeu. Actuellement, cet "angle mort" du jeu est à l'origine de nombreuses appréciations fausses.
Penalty pour Bordeaux (Nancy-Bordeaux)
Bingo encore, sans piège. Ici, les images sont également parlantes et on est dans la surface – même si dans des cas analogues, il est arrivé qu'un plan en angle opposé montre que le défenseur est le premier à "jouer" l'accrochage. Tu jubiles, Fred: l'arbitrage vidéo servirait à quelque chose en pareil cas. Mais en a-t-on vraiment besoin pour "lire" cet acte d'antijeu de Micoud?
Notre alternative. Là encore, l'assistant étant concentré sur la surveillance des hors-jeu et l'arbitre devant couvrir une zone surpeuplée sous un seul angle, l'ajout d'un arbitre (ou d'un assistant) placé angle opposé prend tout son sens. L'essentiel des tricheries sera sanctionné et les autres seront progressivement dissuadées par la présence d'une paire d'yeux supplémentaires (et par les sanctions rétroactives dans les cas où l'acte d'antijeu aurait échappé aux arbitres). Si cette solution implique une petite révolution culturelle pour les arbitres, celle-ci n'a rien de rédhibitoire et aurait un mérite immense: ne pas dénaturer le jeu, préserver sa continuité et améliorer la "justice" des matches.
Morale. Presque tous les problèmes que résoudrait la vidéo peuvent être résolus par d'autres moyens moins brutaux et qui ont plus à voir avec le football qu'avec la télévision. Et puis tu as compris que c'est Micoud qu'il faut gronder, pas celui qu'il a abusé.
Penalty pour Paris (Lens-PSG)
Ah, te voilà bien ennuyé. Au moment d'affirmer que tu refuses le penalty, bien entendu, tu commences à douter en regardant les images. Maintenant, tu vois Hilton accrocher Luyindula. Tu imagines le "scandale" provoqué, non seulement chez les supporters du PSG, mais aussi chez la majorité des journalistes et autres experts qui, cette fois, trouveront tous qu'il était anormal de ne pas prendre ses responsabilités pour ordonner le penalty qui s'imposait de toute évidence au vu des images. Et tu commences à comprendre que ce scandale serait en outre alourdi de soupçons sur ta probité d'arbitre vidéo qui tranche, à froid et avec les images dont tout le monde dispose, dans un sens particulier alors que l'action était ambiguë. Tu vois déjà les images des supporters parisiens ulcérés faire le siège de la Ligue.
Ça y est Frédéric, tu saisis la morale de cette fable: la vidéo éviterait certaines polémiques, mais elles aggraverait les autres, ouvrant une ère de suspicion généralisée. L'indignation des uns et la colère des autres seront décuplées. Oh la la! C'est même une épiphanie dans ta tête, Frédéric! Tu comprends enfin que parfois, siffler ou ne pas siffler se justifie tout autant, qu'une part incompressible des actions ne peut pas être jugée de manière catégorique, qu'il vaut mieux les laisser à une appréciation subjective. Tu saisis le principe de l'arbitrage! Tu touches du doigt la quintessence du football! Alléluia! Hosannah! Ton doigt, après ton bras tout entier, sort de ton œil et tu vois la lumière!
Notre alternative. Améliorer la formation des arbitres. Arrêter de les vilipender. Mener une politique ambitieuse de recrutement. Augmenter leur nombre sur le terrain pour mieux en couvrir l'étendue. Les laisser prendre des décisions en leur âme et conscience, selon leur instinct, dans le feu de l'action. Accepter les aléas, les erreurs des arbitres ou leurs divergences d'interprétation avec chacun d'entre nous. Recommencer à regarder le jeu.