Nouveaux stades : aux trois quarts pleins, ou au quart vides?
Inaugurés dans l'enthousiasme il y a quelques mois, les nouveaux stades de Lille et Nice connaissent une affluence en demi-teinte. Analyse en chiffres et en infographies.
Présenté comme la clé de la progression économique du football français, le renouvellement du parc de stades, dans la perspective de l'Euro 2016, est bien avancé. Cependant, à deux ans de la compétition, seuls deux des nouveaux stades retenus sont achevés: le stade Pierre-Mauroy de Lille et l'Allianz Riviera de Nice, inaugurés respectivement en août 2012 et en septembre dernier. S'il est évidemment trop tôt pour dresser un bilan, ces dix-huit et six mois d'exploitation de part et d'autres livrent des indications intéressantes, en particulier concernant la fréquentation des deux enceintes.
On a donc compilé ici les données de leurs affluences. Les chiffres expriment des caractéristiques qui, sans être alarmantes, pointent les limites de ce que l'on peut attendre de nos enceintes flambant neuves.
Au-delà de l'effet de nouveauté
Avec 24.350 spectateurs de moyenne, Nice enregistre un gain de 14.000 spectateurs par rapport au Stade du Ray la saison passée. Ce bilan très positif est toutefois à pondérer dans la mesure où, si le taux de remplissage est passé de 55% à 71%, il se situe exactement dans la moyenne de la Ligue 1. Par ailleurs, l'effet de nouveauté ne semble pas avoir été durable: sur les six matches de la 18e à la 27e journée, le taux de remplissage est descendu à hauteur de 60% (pour le détail, voir sur le site de la LFP).
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On observe à Lille une progression "brute" encore plus spectaculaire, de 17.000 spectateurs de moyenne au Stadium Nord en 2011/12 à 40.600 pour la première saison au grand stade. Le taux de remplissage a cependant perdu près de 6 points cette saison (à parcours comparable en championnat), correspondant à un déficit de 2.200 spectateurs en moyenne. Avec ses 75,8%, le LOSC ne figure plus qu'au 8e rang national, quatre places en dessous de la saison précédente. Pour Boris Helleu, maître de conférences à l’université de Caen et spécialiste de l'économie des stades, "un nouveau stade bénéficie d'un effet de nouveauté au-delà duquel il faut fidéliser le public. Le risque est de considérer qu'il constitue un outil suffisant, alors qu'il ne sert à rien s'il n'y a pas la stratégie de marketing et de fidélisation qui va avec."
Pour les deux stades, la fréquentation apparaît très liée à l'affiche proposée, avec des variations très importantes – à hauteur de 12.000 spectateurs à Lille, 15.000 à Nice, cette saison. À Nice, la fréquentation traduit une certaine corrélation avec le classement de l'équipe: 4e à la 7e journée, l'OGCN est ensuite retourné à l'anonymat du milieu de tableau. Boris Helleu confirme que "la consommation du spectacle sportif est en France très axée sur la dimension sportive du 'produit' – l'affiche, l'enjeu, la qualité de la compétition." De ce dernier point de vue, la Ligue 1 n'a pas les arguments de la Premier League, malgré le regain d'attractivité proposé par le Paris Saint-Germain ou l'AS Monaco. Pourtant, "un nouveau stade peut permettre de déconnecter la consommation du spectacle de l'enjeu sportif pour proposer une expérience qui n'en dépende plus seulement. Mais c'est un travail de longue haleine." Travail qui échoit au stadium manager, dont sont justement pourvus les deux arènes du Nord et des Alpes-Maritimes.
Des affluences fragiles
Différents facteurs ont pu jouer sur cette série assez courte de données, comme les conditions météorologiques, l'hiver étant moins favorable au déplacement des spectateurs. Même si les coûts d'utilisation augmentent, les recettes des deux clubs ont progressé significativement. Il reste que ces chiffres témoignent d'une certaine fragilité des affluences en France, et posent la question d'un éventuel surdimensionnement. Systématiquement invoqués pour inviter la France à combler son "retard", les modèles allemands et anglais ne sont pas transposables ici, pour la raison qu'ils reposent sur une culture du supportariat et un attachement aux clubs qui n'existe en France ni dans son ampleur, ni dans sa profondeur. En Premier League cette saison, 17 clubs présentent un taux de remplissage supérieur à 93%. En Bundesliga, 14 stades ne descendent pas en dessous de 90%, et les scores les moins bons ne sont pas le fait des mal classés (voir aussi notre infographie interactive sur la fréquentation dans les cinq "grands" championnats européens depuis 1980).
"Le manque de culture sportive est un facteur, mais l'offre en est un autre", selon Boris Helleu, qui estime qu'en France – au-delà de la qualité du championnat – la marge de progression est importante: "L'exploitation commerciale ne consiste pas seulement à fixer la tarification des loges ou à compter le nombre de sandwiches vendus dans les buvettes. Il faut faire revenir les fans et cela va au-delà de la seule stratégie marketing: il s'agit aussi d'instaurer un dialogue, un relationnel avec les fans. Les clubs ne se préoccupent que depuis peu de savoir qui est leur public, qui sont leurs clients." Au vu du traitement réservé aux Ultras, on mesure le chemin à parcourir…
Pas de places pour tout le monde ?
Pour le seul compte de l'Euro 2016, il y aura, en ajoutant Lyon et Bordeaux à Lille et Nice, quatre stades parfaitement modernes, deux stades significativement transformés (Saint-Étienne, Marseille), trois stades rénovés (Bollaert à Lens, le Stadium à Toulouse, le Parc des Princes à Paris). S'ajoutent d'autres projets de rénovations ailleurs (Montpellier) et un nombre important de "petits" stades récents (Reims, Valenciennes, Le Havre, Le Mans, Grenoble). Si des désastres restent possibles comme pour les deux dernières enceintes citées, pour la plupart elles vont servir les intérêts de leurs clubs utilisateurs qui, à l'exception de Lyon, sont peu engagés financièrement. Du moins si les performances sportives suscitent suffisamment d'engouement pour que les effets de levier opèrent vraiment. Or, on peut craindre qu'il n'y ait pas assez de places pour tout le monde dans les bons wagons, d'autant que deux sont déjà préemptées par le PSG et l'AS Monaco.
On mesurera, dans les mois et les années suivant l'Euro (dont la réussite elle-même sera un facteur important), le bénéfice réel d'une rénovation du parc de stades français qui ne sera, en tout cas, pas la panacée annoncée, et sur laquelle de nombreuses incertitudes s'étendent. Comme unité de mesure, le taux de fréquentation rapporté aux dépenses publiques consenties s'imposera. Avant la consultation du classement UEFA.