Platini : la réforme à petits pas
Révélé en marge du tirage au sort de l’édition 2007/08, le projet de réforme de la Ligue des champions concocté en catimini par Michel Platini est un petit pas pour l’homme... et un petit pas pour le football aussi.
Auteur : Thibault Lécuyer
le 24 Sept 2007
C’était une promesse de campagne, le "gagner plus pour se qualifier plus" du candidat à la présidence de l’UEFA. Comme pour la plupart des promesses de ce genre, le choc avec la réalité a obligé le président fraîchement élu à mettre de l’eau dans son vin, pour un résultat mitigé.
VC : vainqueur de coupe nationale.
Qualif prélim A : réunit les quarante champions des pays classés entre la 13ème et la 53ème place (Liechtenstein excepté), qualifiant six équipes en trois tours.
Qualif prélim B : réunit les vainqueurs de coupe des seize pays les mieux classés, qualifiant quatre équipes en deux tours.
En rouge: les qualifiés qui ne le seraient plus.
E comme Europe
Le principe de la réforme est simple: plus de champions nationaux, et plus de vainqueurs de trophées, puisque les vainqueurs des coupes nationales sont invités à jouer leur revival de la C2 en compagnie des nouveaux riches de la Ligue des champions: de quoi réveiller des compétitions moribondes. Depuis qu’une qualification en C1 via le championnat est devenue une opération si attractive financièrement les clubs ne prennent plus le risque de perdre des forces dans une compétition qui n’intéresse plus que... les supporters.
En outre, la réforme permettrait d’augmenter le nombre de champions nationaux parmi les trente-deux qualifiés. Le système actuel autorise un minimum de neuf champions. Ce chiffre monterait à dix-huit, permettant au passage d’ouvrir la compétition à plus de pays: ils ne sont que treize, sur les cinquante-trois affiliés à l’UEFA, à être représentés en phase de poules cette saison. Il s’agit de se rappeler que le E dans UEFA signifie Europe, et que l’organisation n’est pas censée sur-représenter ses cinq plus grosses fédérations affiliées. Le G14 fait déjà ça très bien.
Autre point saillant de la réforme: l’exemption de tour préliminaire pour les troisièmes des championnats anglais, espagnol, et italien. L’idée est plutôt bonne: le troisième tour préliminaire ressemble plus à un jeu de massacre qu’à une compétition équitable. Quel intérêt de faire s’opposer Debrecen et Elfsborg début août avant de confronter le vainqueur à Valence, qui l’atomisera à coup sûr?
Entamer les certitudes
Si on ne peut que saluer toute initiative visant à remettre le football dans les mains du plus grand nombre, on se retrouve surtout déçu par le manque d’ambition du projet, et inquiet de quelques uns de ses travers.
Tout d’abord, c’est un coup de poignard supplémentaire dans le corps agonisant de la coupe de l’UEFA, qui se voit privée des quatre meilleurs vainqueurs de coupe. Ensuite, sur le papier, le système Platini vise à réduire la certitude pour certains clubs d’être systématiquement qualifiés. L’idée est louable, car plus que l’hégémonie de quelques pays sur la compétition, c’est la certitude absolue pour une poignée de clubs d’être parmi les trente-deux élus – et d’empocher les millions qui vont avec – qui est levier d'inégalité du football continental. C’est cette certitude qui permet d’avoir des effectifs à rallonge, de piller les clubs des pays voisins, d’avoir plus de vingt internationaux sous contrat – dont la moitié passera la saison sur le banc – et de leur payer des salaires mirobolants. S’attaquer véritablement à cette certitude permettrait d’amorcer un rééquilibrage salutaire.
Repêchage pour les gros
Donner de l’importance aux coupes nationales allait dans le bon sens. Mais Platini, prévoyant l’éventualité que le vainqueur de la coupe soit déjà qualifié par d’autres moyens, a préféré repêcher un club via le championnat plutôt que de choisir le finaliste de la coupe… rattrapant par la même occasion les mastodontes qui auraient vécu une saison difficile. Ainsi, si l’on prend l’exemple de la saison qui commence, Arsenal, Valence et le Milan AC, tous trois quatrièmes de leur championnat auraient été menacés de croupir en C3. Mais Arsenal se serait vu requalifié car le vainqueur de la Cup, Chelsea, a fini deuxième. Idem pour Valence, repêché grâce à la victoire du FC Séville (troisième du championnat) en Copa del Rey. Quant à Milan, il se serait qualifié en tant que tenant du titre.
Difficile, dans ces conditions, d’aérer la compétition, de créer plus d’incertitude. Il suffit de jeter un coup d’œil aux saisons précédentes pour s’apercevoir que la Ligue des champions est devenue un club de plus en plus fermé. En somme: plus on se qualifie, plus on a de chances de se qualifier dans le futur.
Ils sont neuf à s’être qualifiés sans interruption pour les quatre dernières éditions (Chelsea, Manchester, Arsenal, Liverpool, Madrid, Barcelone, Inter, Milan, Lyon), auxquels on pourrait rajouter la Juve qui ne doit ses absences qu’au Moggiopoli. Quant au Bayern, sa participation ininterrompue lors des dix années précédant sa non-qualification lui ont offert un matelas suffisant pour se payer une des plus belles équipes d’Europe, et s’assurer de retrouver la C1 dès la saison prochaine. Ce qu’il est désormais convenu d’appeler le pactole de la Ligue des champions crée progressivement des écarts insurmontables entre ces habitués et leurs rivaux nationaux, rendant encore plus certaines les qualifications futures.
Où est le mérite?
Il y a donc peu de chances que la réforme Platini, qui pourrait entrer en vigueur en 2009, modifie pour de bon la balance des pouvoirs au sein du foot européen. Pourtant, la levée de boucliers chez les principaux intéressés fut immédiate. Hors de question d’ôter une seule plume à la poule aux œufs d’or. Interrogé sur le sujet, Jean-Michel Aulas déclare: "À première vue, cette réforme ne parait pas aller dans le sens de l’amélioration de cette compétition, dont le niveau doit être élevé plutôt qu’élargi. Faut-il alors privilégier l’aspect politique par rapport à l’aspect qualitatif? Les représentants des clubs anglais notamment sont inquiets et m’ont demandé d’insister sur le risque, qui existe, de perdre des clubs huppés".
Toutes les réactions reprendront ce genre d’arguments: les "meilleurs" doivent être assurés de jouer la C1. En omettant bien évidemment de préciser l’énorme influence du format de la compétition sur la répartition des forces au sein du foot européen, et la dérive progressive qui a vu l’argent et les joueurs se concentrer dans un faible nombre de clubs. L’adjectif "huppé" est d’ailleurs révélateur de l’état d’esprit qui anime cette poignée de dirigeants: il faut aligner des noms, y compris quand les résultats sportifs ne suivent pas. On pourra toujours arguer qu’il y a de meilleurs joueurs chez le quatrième du championnat espagnol que chez le champion des Pays-Bas, en faisant semblant de ne pas savoir que c’est justement l’organisation du foot européen qui rend une telle incongruité possible.
La polémique aura au moins eu de mérite de nous permette de retrouver la trace de Holger Hieronymus, devenu depuis membre du conseil d'administration de la DFL. Opposé à la réforme, il affirme "Quand une équipe termine à la troisième place de la Bundesliga après 34 rencontres, cela a plus de valeur d'un point de vue sportif qu'un club qui remporte la Coupe d'Allemagne en battant sept équipes, dont certaines d'un niveau inférieur".
Pourquoi pas. Mais qu’on nous explique alors en quoi terminer troisième de la Bundesliga est plus méritoire que de terminer champion de République tchèque.