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Récit – Comment joue-t-on au football sur le terrain d’une maison de correction en Lettonie?

Auteur : Troglodyt le 28 Juin 2013

 


La commune de Naukšeni, au nord de la Lettonie, est dominée par l’imposant manoir qui abrite depuis quinze ans une maison de correction pour mineurs délinquants. Ici vivent jusqu’à quarante mineurs, filles et garçons âgés de onze à dix-huit ans, placés judiciairement pour des durées allant de un à trois ans, ainsi que les professionnels qui les encadrent. Le fonctionnement diffère grandement de celui que l'on connaît en France dans les structures de la PJJ [1]. Pourtant, nous avons en commun ce média éducatif universel qu’est le football.
 


Un maillot de l'OM au milieu des chasubles

Le soir, après leur journée d’école et d’activités de socialisation, une fois le maigre dîner englouti, à 19h00, les mineurs se retrouvent, avec un éducateur, sur le terrain de football de la structure, pour une heure de jeu. Selon les éducateurs, c’est le sport collectif le plus facile à pratiquer – surtout dans un établissement est équipé d’un joli terrain de football à sept en surface synthétique. Ils reconnaissent, accessoirement, qu’il n’est pas inutile de fatiguer un peu les mineurs avant la nuit…
 

 


 

L’éducateur m’invite à me joindre à eux. Je ne résiste pas longtemps, d'autant que j’ai conservé l’habitude de toujours voyager, même à titre professionnel, avec mes crampons. Sur le terrain, il n’y a aucun maillot de Maris Verpakovskis, l’icône locale, qui avait porté à bout de buts la campagne de la sélection lettone jusqu’à l’Euro 2004 (mais le nouveau Michael Owen annoncé s’avère finalement être un énième Cédric Bardon). J’essaie d’évoquer Marians Pahars. J’en prononce sans doute mal le nom… Pas de maillot du FC Skonto Riga, meilleur club de l’histoire du championnat letton, ni du FK Ventspils, qui a dominé la fin de la dernière décennie, pas plus du FC Daugava Daugavpils [2], champion en titre, ou de la sélection nationale. Mon maillot de l’OM erre donc au milieu des débardeurs dépareillés et des gilets fluorescents de signalisation routière qui font office de chasubles dignes de maillots third.
 

Le lendemain, l’équipe de la maison de correction, composée de mineurs et d’un éducateur, doit rencontrer l’équipe d’une association d’aide aux jeunes en difficulté qui traverse le pays en bus, à titre de voyage de fin d’année. Il me propose de jouer sous les couleurs de l’Établissement d’enseignement et de correction sociale de Naukšeni.
 


Socialas korekcijas izglitibas iestade Naukšeni vs. Asociacija Dzivesprieks Aizupe

Le grand soir arrivé, un équipement neuf m’est donné, aux couleurs de l’établissement: une tenue intégralement rouge, sponsorisée par un équipementier allemand. Le directeur de la structure me dit qu’il compte sur moi, y compris pour tempérer les mineurs: l’année passée, ils ont subi une défaite sévère contre ces jeunes un peu plus âgés qu’eux. L’association que nous rencontrons est rattachée à une ONG suédoise, Stiftelsen Livslust, fondée en 1993, dont l’objet est l’accompagnement d’adolescents en difficulté vers l’insertion et l’autonomie. En 1994, l’association Dzivesprieks a été créée en Lettonie et a établi une école à Aizupe, à l’ouest du pays, pour quarante adolescents de quinze à dix-huit ans. [3]
 

L’équipe adverse joue dans une tenue à rayures jaunes et bleues et ses joueurs sont effectivement plus âgés que les Rouge. Dès les premiers contacts, ils essayent de s’imposer physiquement. Le match commence mal: un télescopage entre notre gardien de but et un défenseur permet au grand attaquant adverse de marquer – en revenant dans son camp, il me dit en souriant "I’m the white Balotelli". Ce match a attiré, des rives de la Rija qui borde le domaine, une nuée de moustiques qui semble particulièrement goûter mon sang, peut-être parce que c'est le seul sur le terrain qui ne soit pas encore totalement empreint du goût des pommes de terre et du porc servis à chaque repas.
 

Progressivement, notre jeu collectif plus incisif nous permet d’égaliser puis, juste après la mi-temps, de prendre l’avantage trop vite perdu après un cafouillage de notre gardien de but puis d'un rebond malencontreux sur la main d’un défenseur rouge qui engendre un penalty, transformé. 2-3. Avec plus de vigilance en défense et moins de ballons précipités lors des dernières minutes, nous aurions pu gagner. À la fin de la rencontre, les poignées de mains sont chaleureuses. Je m’arrête quelques instants avec la représentante de l’association pour échanger brièvement sur nos quotidiens professionnels respectifs. Lorsque je me retourne, les mineurs ont tous regagné leurs chambres, la porte du bâtiment correctionnel est déjà close.
 


Le football sans les mots

L'instant aura été formidable. En premier lieu parce que j’ai joué au football avec un réel plaisir. Ce filet d’air frais sur fond tiède, cette atmosphère moite, ce terrain synthétique mal drainé, autant de madeleines qui m’attiraient vers le ballon. L’ambiance était très bonne, sur le terrain comme en dehors: les jeunes de l’association de réinsertion encourageaient les Jaune et Bleu, les mineurs de l’établissement correctionnel poussaient les Rouge.
 

C’était la première fois que je jouais un match en ne partageant la langue d’aucun coéquipier. L’expérience est particulière. Les gestes universels permettent de féliciter, de remercier, de motiver. Mais comment construire quelque chose, partager une consigne? Aucun de mes jeunes coéquipiers ne parlait l’anglais, uniquement le letton ou le russe. Pendant le match, j’ai essayé d’expliquer par des gestes à l’un des attaquants de mon équipe qu’il peut presser le latéral adverse qui déborde dès lors que je suis en couverture. Mais le temps qu’il comprenne, le jeu avait repris et un ballon nous avait survolés. Durant la pause, j’écoute indifférent la mélodie lettone des échanges de mes coéquipiers, me contentant de leur taper dans les mains.
 

Finalement, sur le terrain, j’éprouve une double sensation étrangement paradoxale. D’une part, celle d’un sport réduit à quelque chose que le football n’est pas, un sport d’équipe sans communication entre les coéquipiers. D’autre part, celle d’être contraint à une forme de pureté du jeu, ne pouvant communiquer que par les passes que j’adresse, les appels que j’effectue, la manière dont je me démarque ou dont je me replace – la communication d’équipe limitée à l’essence du jeu: se déplacer et déplacer le ballon. Durant mon séjour, j’ai pu rejouer avec les mineurs. J’ai presque réussi à leur faire comprendre qu’il n’est pas possible pour le gardien de but de se saisir d’un ballon passé par un coéquipier, même lors d’une touche. Lors de la prochaine Ligue des champions, ils promettent de supporter l’OM.
 

Le jour de mon départ, je m’arrête à Riga boire une dernière Valmiermuiža entouré de nombreux supporteurs bosniens, déjà ivres de bonne humeur [4]. Je pense aux jeunes de Naukšeni et à l’avenir qui les attend. Puisse-t-il être meilleur que celui promis au football letton.
 


Sur le sujet, lire aussi :
"Entre le mur et les poteaux, le gardien"
"Une lucarne de liberté"
 


[1] La Protection judiciaire de la jeunesse est la direction du ministère de la Justice français qui assure la prise en charge éducative des mineurs auteurs d’actes de délinquance.
[2] Il y a sans doute une étude à faire sur les clubs de football nommés à partir d’un fleuve. La Dagauva a d’ailleurs également inspiré le FK Daugava R?ga, lui aussi résident du championnat letton de première division, la Latvijas futbola Virsl?ga.
[3] www.livslust.comwww.dzivesprieks.lv. Comme "livslust" en suédois, "dz?vesprieks" signifie, en letton, "joie de vivre".
[4] Ce 7 juin 2013, la Lettonie s’inclinera 0-5 à Riga contre la Bosnie-Herzégovine.

 

Réactions

  • Nadine Zamorano le 28/06/2013 à 11h00
    Chouette témoignage, sans fioritures et très agréable à lire. Bravo à l'auteur.

  • arnaldo01 le 28/06/2013 à 11h06
    Merci Troglo !

  • Loscoff-Plage le 28/06/2013 à 11h39
    Très bel article. Effectivement, ça fait toujours bizarre d'être le seul à ne pas comprendre la langue de son équipe. Surtout quand y'a corner...

  • richard le 28/06/2013 à 12h00
    Merci pour ce très beau CR, coach_trogloskis.

  • La vie de Laudrup le 28/06/2013 à 12h31
    Super article, fraîcheur du matin.

  • AKK, rends tes sets le 28/06/2013 à 13h24
    Très très bon, bravo !
    Je lis les deux suggestions en bas d'article maintenant.

  • Marius T le 28/06/2013 à 13h34
    C'est toi avec tes chaussures blanches ?

    Tu aimes les terrains synthétiques avec rivière et moustiques !!!

  • le Bleu le 28/06/2013 à 13h39
    Troglo s'est juré qu'un jour, l'Europe parlerait marseillais.

  • prime le 28/06/2013 à 15h29
    Très chouette article/témoignage. Merci Troglo.

  • Kireg le 28/06/2013 à 15h31
    Un article qui me parle.
    Merci Troglodyt.

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