Résurrection express
La rédaction des Cahiers a l'air un peu con, avec ses deux articles sur le retour de Tapie avant même son retour. Maintenant, comment rivaliser avec les 25 dépêches en 5 heures et avec les innombrables articles qui vont se multiplier dans la presse? L'ironie veut que l'annonce en soit faite le jour où paraît le France Football dans lequel Louis-Dreyfus dément catégoriquement toute volonté sérieuse de s'associer avec son prédécesseur. En trois jours et avec une habilité qui prouve que l'animal est en pleine forme, Tapie a imposé le story-board de sa rédemption et de sa réintégration dans le saint des saints.
Il semble même qu'il ait obtenu gain de cause concernant son statut au sein du club. Directeur sportif certes, mais non pas employé de RLD: "actionnaire associé", pour sauvegarder sa dignité. N'en doutons pas: l'actionnaire majoritaire ne veut plus gérer l'OM, et ce sont des boulevards qui s'ouvrent au "numéro 2", lequel reçoit déjà l'onction de Gaudin, Bourgoin et des associations de supporters. Pierre Dubiton, putschiste un peu ridicule à l'automne dernier, avance son ambition de futur directeur financier, à ses conditions de "transparence complète et de rigueur absolue" dans les comptes. Robert Louis-Dreyfus doit être suffisamment raisonnable pour coller un chien de garde comptable aux basques du nouveau maître des lieux. Pour le reste, c'est à une vraie prise de pouvoir que l'on devrait assister.
Comme nous le disions tout récemment, il n'y a pas de raison d'excommunier un homme qui a été jugé par les justices civiles et sportives et de l'empêcher de travailler. Le problème moral que pose cet homme est qu'il n'a jamais reconnu ses fautes, qu'il a entraîné dans ses tripotages une foule et des médias peu regardants sur les moyens employés. Son retour apparaîtra nécessairement comme une légitimation de ses méthodes d'antan, une absolution plus qu'une réhabilitation.
La qualification de "populisme" pour Bernard Tapie n'est en rien galvaudée, comme le soutenait récemment un lecteur des Cahiers. Il incarne même un populisme à la française assez rare, mais dont les ravages avaient été suffisamment évidents il y a une dizaine d'années. Idole de ceux qui pensent "tous pourris" et qui célèbrent le corrupteur, il a préféré mentir aux supporters, entretenir le victimisme d'une partie d'entre eux plutôt que leur faire admettre la vérité. Il a voulu construire une carrière politique à coups d'exploits sportifs, engloutir ses nombreuses malversations dans la gloire nationale. Adversaire de Le Pen plus par opportunisme que par conviction (ces deux larrons ne s'étaient-ils pas entendus pour orchestrer un tête-à-tête télévisé?), ministre socialiste par pur calcul mitterrandien, maire de Marseille putatif, puis déchu de ses mandats électifs, condamné, emprisonné, recyclé en acteur et en animateur, Tapie est-il toujours aussi maladivement ambitieux? Est-il animé d'un esprit de revanche, de quoi est-il capable?
Car il semble intact, inchangé. Faut-il comprendre que ses méthodes non plus? Le football a changé, en tout cas. L'arrêt Bosman a bouleversé le paysage, et l'on doute aujourd'hui qu'une grenouille puisse se faire aussi gros que les bœufs, que Berlusconi puisse encore être battu par un imitateur, qu'un joueur de poker ait toutes les cartes en main pour forcer les portes de l'Europe. Les règles aussi ont changé, et les fuites en avant financières ne sont plus tolérées (quoique au Real, Tapie serait crédible).
Alors peut-il encore réussir? On peut le croire si l'on pense que ses succès footballistiques tenaient avant tout à son charisme, à sa capacité à surmotiver ses joueurs, voire à son génie d'entraîneur occulte. Ainsi l'attendent les supporters marseillais, dont certains vont voir en l'archange noir le messie qui va rétablir l'ordre et les ramener au paradis. Ceux qui estiment que son ère est révolue et que comme manager sportif il ne retrouvera pas son pouvoir d'autrefois seront plus circonspects. De plus, la malveillance et les diffamations vont s'abattre de toutes parts sur le nouvel OM de Tapie. Le club aura-t-il les épaules assez larges pour supporter cette hostilité sans verser dans la paranoïa? Surtout, Tapie renoncera-t-il à utiliser cette arme-là pour fédérer des supporters qui en ont bien besoin?
Et nous, amoureux transis du football, comment devons-nous prendre le retour de celui qui a failli nous en écœurer définitivement? Certains sont prêts à tout avaler pour sacrifier au "rêve" que les charlatans trafiquent. Tapie n'a pas été le premier, mais il n'est pas plus excusable que ses prédécesseurs.
On peut enfin se demander comment la "famille du football", à laquelle il fait déjà peur, va l'accueillir, au moment où la Ligue vacille et se prépare à des remaniements.
Tous les gens de bonne volonté espéraient que l'OM renouerait avec sa grandeur sur des bases nouvelles et que RLD serait celui qui rendrait possible cette restauration. La persistance de certaines dérives, les dramatiques erreurs de management et la répétition des échecs sportifs ont conduit à cette situation incroyable, en laquelle il est difficile de voir l'ouverture d'une ère nouvelle. Advienne que pourra.
PS : pour un rappel des condamnations judiciaires de BT, voir la dépêche AFP du 03/04.