Top Jürgen
Jürgen Klopp, l’entraîneur de Dortmund, est sous la lumière de la prochaine finale de la Ligue des champions. Mais ce n’est pas à Dortmund que tout a démarré…
Sa carrière de joueur pro, c’est au 1. FSV Mainz 05 que le natif de Stuttgart la vit. Une décennie en 2. Bundesliga passable – pas d’accès à l’élite, pas de trophée, pas de Coupe d’Europe ni de Nationalelf – et passée à différents postes: en attaque d’abord, où il se montre peu prolifique, puis au milieu, comme défenseur latéral droit enfin. De sa fidélité à Mayence, où il a signé en 1990, "Kloppo" en tire un record de matches joués avec les Null-Fünfer. Sa retraite sportive début 2001 n’est pas un départ: le taulier Klopp, en fin de carrière, accepte d’assurer l’intérim au poste d’entraîneur d’un FSV relégable et à court d’idées après avoir déjà usé quatre coaches en un an. Pour un match d’abord, puis deux… et enfin pour le reste de la saison: lors de ses sept premiers matches avec son ancien numéro 4 sur le banc, le FSV glane dix-neuf points, et s’assure dès l’avant-dernière journée un maintien presque inespéré. "Kloppo" devient le "Harry Potter de Mayence".
La revanche de l'entraîneur sur le joueur
La saison 2001/02 est meilleure: entraîneur du club à part entière, Klopp amène le FSV dans le trio de tête de 2. BL. de la 6e à la 33e journée. Mais Mayence rate la montée pour un point, perdu dans les dix dernières minutes de la saison. En 2003, le dénouement est encore plus rageant: Mayence perd son duel à distance avec Francfort pour la troisième place pour un but, celui marqué par l’Eintracht dans les arrêts de jeu chez un mal-classé, qui fait tomber le FSV au quatrième rang. À Mayence, la fête est à nouveau reportée. L’apprentissage de l’échec se fait dans la douleur. "Kloppo" a-t-il perdu sa baguette magique? Qu’importe: il n’est pas du genre à abandonner. En 2004, après la trêve, le FSV est délogé du podium, dont il est encore à six points à quatre journées de la fin! Mais il conclut sa saison en boulet de canon, et profite de circonstances favorables pour obtenir son premier ticket en 1. Bundesliga. Ce que le joueur n’a pas eu, Klopp l’entraîneur l’a enfin, paradoxalement au cours d’une saison qui n’est pas la plus aboutie: le FSV monte avec un minimum de 54 points au compteur, là où il a échoué avec 62 en 2003 et un record de 64 en 2002! Et ce sans stars [1].
Le FSV Mainz évolue au plus haut niveau durant trois saisons. Il en profite pour découvrir l’Europe [2], passant deux tours contre des clubs arménien et islandais, avant d’être sorti par le futur vainqueur sévillan. En BL., Klopp conduit deux fois le club au onzième rang avant une descente en 2007, résultat d’une phase aller catastrophique: un succès en 17 matches… à la première journée. Klopp reste sur le banc de son club malgré la relégation, mais Mayence finit encore quatrième de 2. BL. en 2008, derrière notamment le néo-parvenu Hoffenheim. Faute d’être remonté, Klopp, très courtisé [3], quitte Mayence et part à Dortmund retrouver l’élite pour relever le défi proposé, et progresser. Chez les Null-Fünfer, Kloppo a participé à environ 600 matches, dont 270 comme entraîneur, et assisté aux premiers pas du FSV tant en 1. BL. que sur la scène européenne: pas si mal, pour un joueur au talent limité… comme Klopp le reconnaît lui-même.
Dans le wagon de Dortmund
À Mayence, Klopp était le chouchou du public du FSV. Mais les moyens et l’effectif du FSV étaient limités: Klopp ne pouvait viser mieux qu’un maintien dans l’élite. Conséquence, la priorité a été souvent donnée à la défense, pas au collectif. Conscient d’avoir eu un peu de chance [4], Klopp entend bien saisir l’occasion qui lui est offerte à Dortmund. Là, le cadre est différent: s’il est habitué au haut niveau, le BVB se redresse progressivement d’une situation financière fâcheuse, et les deux dernières saisons ont été sportivement médiocres – avec même un flirt avec la zone rouge en 2007. Mais le club a toujours de l’ambition: à Klopp de jouer.
Dans son nouveau club, Klopp s’épanouit vite. Encadré par quelques anciens du BVB comme Michael Zorc, le directeur sportif qui l’a fait venir, ou Lars Ricken, le coordinateur des équipes de jeunes au club, Klopp donne la priorité aux espoirs. Formés au club (Sahin), promus de la réserve (Schmelzer), ou transférés (Blaszczykowski, Hummels, Subotic) mais pour pas trop cher – loin des montants astronomiques qui ont plombé les finances voici peu – ces jeunes font régulièrement leurs apparitions sur le terrain, aux dépens d’anciens tels Wörns poussé à la retraite et Kovac reparti en Croatie. Le BVB rajeuni version Klopp 1.0 finit à la sixième place: insuffisant pour un ticket européen, mais assez pour montrer que ça va mieux. Avec quelques bons moments, tel ce derby de septembre 2008 où les Jaune et Noir remontent en vingt-cinq minutes un retard de trois buts face à Schalke. Les fans se réveillent, le stade revit: l’équipe est bonne, la marge de progression intéressante. Les bases sont posées.
Au fil des ans, Dortmund continue sa politique en faveur des jeunes: S. Bender et Grosskreutz arrivent dès 2009, suivis par des Kagawa, Lewandowski, et plus récemment Gündogan, tandis qu’un Götze est promu dans l’élite et que des Hornschuh, Sobiech et Stiepermann ne sont pas oubliés, mais prêtés dans d’autres clubs pour obtenir du temps de jeu et s’aguerrir – en tout, une douzaine de jeunes joueurs effectuent leurs premiers pas en 1. BL. en trois ans, dont la moitié sont encore au BVB actuellement. Klopp passerait presque pour l’entraîneur idéal: proche de ses joueurs pour être à leur écoute, il sait leur donner leur chance. Les problèmes individuel se règlent en tête-à-tête et non devant les médias [5]: priorité au collectif. "Kloppo" le joueur n’avait pas le niveau pour la 1. Bundesliga, mais "Kloppo" l’entraîneur montre qu’il a un bon feeling pour gérer un groupe qui y évolue.
40.000 euros d'amendes
Cool avec ses joueurs, Klopp l’est aussi avec les médias. Depuis sa venue à Dortmund, Klopp est sous le feu des projecteurs, surtout depuis que le BVB a retrouvé le chemin de la gloire en 2011. Mais même (sur)médiatisé, il reste abordable et assez humble, et se montre toujours aussi farceur et facétieux. Une belle illustration en est sa vraie-fausse interview de novembre 2010, où il indiquait ne pas savoir s’il était le mieux placé pour entraîner son club et où il disait que son équipe avait mal joué… alors qu’elle venait de gagner (4-0) son sixième match de suite à l’extérieur en championnat. Il faut rappeler que Klopp n’est pas un novice: il a ainsi tenu un rôle apprécié de consultant – notamment lors des Coupes du monde 2006 (avec la ZDF) et 2010 (sur RTL) – pour lequel il a reçu deux récompenses. Côté décalé, il répondait déjà en 2005 au "détecteur de mensonges" du magazine RUND.
Capable de gérer au mieux un effectif, proche mais respecté des joueurs, taquin avec les médias: le tableau est parfait… à un détail près. Klopp est un passionné de foot, et il lui arrive, parfois, de s’énerver contre un arbitre. Ceci lui a valu un tacle de leur chef Lutz Michael Fröhlich fin 2012, après un nouvel accès de colère. Hans-Joachim Watzke, un des patrons du BVB, décrit Klopp comme "impulsif mais pas agressif". Le Dr. Klopp pourrait quand même rappeler à Mr. Jürgen que si son équipe parvient à être une des plus fair-play de la Bundesliga [6], son entraîneur pourrait l’imiter. Cela plairait aussi à son portefeuille: à Mayence en 2007, il avait dû payer 12.500 euros pour avoir traité un arbitre d’"idiot". Depuis 2001, les cinq amendes qu’il a reçues en tant qu’entraîneur lui ont coûté presque 40.000 euros…
Pourtant, Klopp sait reconnaître ses erreurs – il s’excuse après coup envers les arbitres. Et il sait aussi admettre ses échecs. Ses deux montées ratées consécutivement à Mayence, dont il a su se remettre pour réussir en 2004, lui ont forgé le caractère. Ce qui compte pour Klopp n’est pas tant de réussir que surtout de savoir tout donner – même si cela peut ne pas suffire – pour n’avoir aucun regret. Dans les faits, cela se traduit par une volonté d’aller de l’avant tant dans la vie que sur le terrain (demandez aux joueurs de Malaga ce qu’ils en pensent). D’où un jeu offensif qui a tôt fait de conquérir le public du Westfalenstadion, d’autant qu’il a conduit le club au doublé Coupe-Championnat l’an passé. Pour "Kloppo", le plus beau de son futur d’entraîneur avec Dortmund reste à écrire. Les Bavarois pourraient l’apprendre à leurs dépens à Wembley.
[1] Les "stars" du FSV 2003/04: le gardien Wache (qui battra plus tard le record de matches au FSV de Klopp), le défenseur et futur bref international Manuel Friedrich, l’attaquant espoir Benjamin Auer. L’Ukrainien Voronin est parti du FSV en 2003, le Suisse NKufo dès 2002.
[2] Le FSV a été qualifié en 2005 via le prix du fair-play UEFA.
[3] Si le FSV était remonté, Klopp aurait vu son contrat automatiquement prorogé et serait resté. Outre Hambourg et Leverkusen, Munich était intéressé par Klopp, mais hésitant – c’est Klinsmann qui a obtenu le job au Bayern au final, avec le résultat que l’on sait.
[4] Si en 2001 Klopp n’avait pas été promu entraîneur, rôle pour lequel il avait donné son accord à la condition de ne plus jouer, son niveau de joueur ne lui aurait pas garanti de trouver rapidement une place d’entraîneur dans un club pro. Idem si, à ses débuts sur le banc à Mayence, il n’avait pas obtenu le maintien.
[5] Cf. le cas Perisic: pour s’être plaint publiquement de son rôle de remplaçant, l’impatient Croate a dû payer une amende de 15.000 Euros. Mécontent, il a demandé – et obtenu – son transfert.
[6] Le BVB de Klopp a toujours figuré sur le podium du fair-play, finissant premier en 2011 (avec une moyenne de 1,03 avertissement par journée) et 2012.