Une mi-temps pour l'histoire, une autre pour l'avenir
Samedi soir au stade de France se déroulera le premier match de football opposant la France et l'Algérie. Les relations sportives entre les deux pays ont pourtant été riches, particulièrement dans cette discipline. Les articles de presse sur les grands joueurs algériens sont d'ailleurs un régal en ce moment, dont les évocations ravissent la mémoire de nombreux supporters (qui son Dahleb, qui son Mekhloufi…).
Les 40 prochaines années
De toutes les lectures que l'on peut faire de cette affiche inédite, celle qui se rapporte à la guerre d'indépendance est la plus rapide à se présenter, par la seule force de ces deux noms apposés: France-Algérie, que quatre décennies d'une paix compliquée n'avaient pas réussi à rapprocher autour d'un ballon. 40 ans qui ont aussi vu d'autres liens se reconstituer au sein même de la société française, au travers d'une autre histoire, celle de l'immigration, qui donne à ce pays une intimité particulière avec l'Algérie, souvent problématique, mais qui peut avancer vers un avenir apaisé, en même temps que des générations de plus en plus libérées du fardeau des souvenirs et des réflexes xénophobes.
Vigipirate qui se dilate
L'actualité récente et ses conséquences sur la perception des risques d'attentats (sans parler de l'éventuelle résurgence de la bêtise identitaire), ont fait craindre un moment l'annulation du match, prévu de longue date. Les craintes sécuritaires ne l'ont pas emporté, et l'on peut se réjouir qu'elles n'ont pas conduit à cette victoire de la peur et du repli sur soi qu'aurait constitué un report sine die. La décision des pouvoirs publics doit maintenant être assumée, car la France et l'Algérie sont, pour des raisons différentes, des nations considérées comme des ennemis par les réseaux terroristes islamistes. Les mesures de sécurité seront donc justifiées, espérons qu'elles seront strictement observées, dans le calme et le respect des personnes.
Quant aux journalistes qui grossissent des "menaces de mort" contre Zidane envoyées dans un commissariat de banlieue parisienne, on mesure bien l'importance qu'ils peuvent donner à des élucubrations de déséquilibré.
Zidane, un symbole muet
Dans ce contexte hautement symbolique, Zinédine Zidane retrouve toute la dimension symbolique que son parcours exemplaire lui a conféré. Né en France de parents algériens, il est devenu l'incarnation d'une "intégration" idéale. Il n'endosse pas cette seule identité (sa personnalité empreinte de gentillesse et de discrétion, ses qualités sportives extraordinaires font de lui un personnage consensuel), mais à la veille du match, c'est elle qui focalise l'attention. On peut discuter de ce caractère trop exceptionnel, miraculeux, de l'exemple, mais il a le mérite — comme la victoire d'une équipe de France à l'image de sa population — de donner une image forte et positive, qui contribue à faire évoluer les mentalités.
Au-delà de la dimension franco-algérienne ou franco-française, il faut aussi considérer la situation algérienne contemporaine elle-même. Sans surprise, Zidane a refusé de s'exprimer sur ce sujet, affirmant que ce n'était "pas son rôle". On sait pourtant combien la guerre civile appelle des engagements de la part de telles figures, combien manque en France même un vrai débat sur elle. Mais la situation algérienne est tellement inextricable que toute déclaration un peu forte ou simplement directe de la part d'une personnalité médiatique l'impliquerait dangereusement. Personne ne peut raisonnablement demander à Zidane de créer un tel précédent, surtout en regard de la profonde apathie politique de sa profession.
Un enjeu politique
On peut alors voir l'autre versant de cet événement, encouragé par les gouvernants et les diplomates, qui concerne les relations entre nos deux pays. Etant donnée la nature du régime algérien, le symbole de réconciliation et de fraternité se double d'une reconnaissance implicite du pouvoir actuel. On se demande alors si le plus beau des symboles n'aurait pas consisté à attendre le retour de la paix et de la démocratie en Algérie pour célébrer un bonheur bien plus grand qu'un match de football. Bien sûr, il aurait fallu patienter longtemps, alors qu'il est déjà assez invraisemblable que ce soit une première.
Plus ennuyeux est le message dispensé par les autorités, qui voudraient dissuader toute expression politique "opportuniste". Des militants kabyles pourraient en effet se manifester, car il est bien difficile de nier une réalité, ou de faire taire des opprimés. Comme à l'habitude, le spectacle sportif ne doit exprimer que des images abstraites, absolument consensuelles, sans aucun contenu problématique. Peut-être cependant que la rencontre contient assez de charge symbolique pour ne pas en rajouter.
Il reste donc à espérer la fête dans les tribunes et du jeu sur la pelouse, pour au moins donner à l'événement toutes les vertus positives qu'il peut avoir aujourd'hui.
Et allez la JSK !