La révolution d'Hervé Penot
Tribune – Dans une chronique sur lequipe.fr et dans un élan d’originalité, "L'expert" Hervé Penot aborde l'arbitrage vidéo. Observons sa façon de procéder. Bonus: le faux jumeau de Penot.
Auteur : Barnabé la plume
le 6 Juil 2010
NDLR : l'auteur collabore à Horsjeu.net, pour qui il a notamment écrit une "Coupe du monde parallèle" ou un autre commentaire de texte sur une note du même "expert".
Dès le titre, les choses sont claires: un point d’exclamation, un verbe à valeur impérative. Fait exceptionnel pour un employé de L'Équipe: l’absence du mot "symbole" dans le titre et même dans tout le texte.
"Ce samedi matin, au petit déjeuner, je discutais avec le propriétaire de ma Guest House."
Deux informations de taille dès la première phrase. D’abord, Hervé Penot petit-déjeune. Ensuite, il ne loge pas dans un hôtel de riches, au cas où Rama Yade aurait des remarques.
"Il ne comprenait pas pourquoi la vidéo n'était pas un recours en football, sport qu'il découvre."
Nous sommes ici en présence d’une introduction où le narrateur se cache derrière un de ses personnages pour énoncer sa principale thèse. Cela permet à Penot, pour les besoins de la suite, de bien nous enfoncer dans le crâne: "Hé oh, z’avez vu, même pas c’est moi qui le dis, le premier Sud-Africain venu est capable de comprendre qu’on a besoin de la vidéo!"
"Lui, c'est le rugby et même les grandes compétitions d'écoles secondaires, me disait-il, l'utilisent."
Malheureusement, les capacités littéraires de notre "expert" se situant légèrement en dessous de celles de Luis Fernandez, il est inévitable de trouver ça et là ce type de phrase déconstruite au sens incertain. L’important, c’est ce message éternel: ça marche dans le rugby, pourquoi pas dans le foot? Le procédé est toujours le même: affirmer sans argumenter. Ainsi le succès de la vidéo dans le rugby n’est-il jamais discuté. La question de l’adaptabilité au football n’est même pas effleurée.
"Le bon sens est parfois utile quand les élites des instances dirigeantes, si réactionnaires, s'enferment dans leur tour d'Ivoire, se terrent dans leur certitude de fin de siècle."
Leçon numéro 1 du populisme: plutôt que de vous emmerder à développer un argumentaire qui pourrait finalement s’avérer périlleux, emballez le tout sous une seule expression bien parlante et totalement inattaquable: "le bon sens". Personne ne sait ce que c’est mais tout le monde se sent rassuré. Le bon sens, c’est un truc tu l’as ou tu l’as pas, pas besoin d’argumenter.
Leçon numéro 2: opposez les élites à la masse à grands renforts de clichés. Les "instances dirigeantes" sont un passe-partout absolu dans les médias sportifs lorsque l’on veut désigner des coupables d’en haut. Ça fait très officiel. Accolez-y "élites" et le tour est joué, vous avez monté la France d’en bas contre la France d’en haut. Vous achèverez cette dernière en l’enfermant dans une "tour d’ivoire", lieu commun s’il en est, même si l’on ne voit pas très bien pourquoi Hervé Penot a choisi de mettre une majuscule à Ivoire.
Leçon numéro 3: employer des mots savants, si possible à connotation à la fois politique et accusatrice. On apprend donc que les instances dirigeantes sont…réactionnaires. Certes, tout dépend de la définition que l’on donne au terme "réactionnaire", mais on imagine aisément qu’Hervé voulait dire "conservatrices" par opposition aux progressistes dont il se réclamerait s’il avait la moindre idée de la signification de ces termes.
Leçon numéro 4 (made in L'Équipe): si vous n’avez pas réussi à placer le mot "symbole", assurez-vous au moins de caser "siècle". "Fin de siècle", c’est encore mieux. Ca ne veut strictement rien dire mais ça sonne bien, ça fait moderne contre vieux, bien envoyé. Comme un symbole. Hervé Penot est désormais prêt à prendre la parole lui-même pour exprimer ses convictions révoltées.
"Fini. Arrêtons le massacre. Cette Coupe du monde doit marquer la fin de l'aveuglement."
Oui, organisons un Grenelle de l’arbitrage. Pas plus tard qu’à partir de maintenant là tout de suite.
"On pourrait citer tant de témoins à charge ici, parler de la Côte d'Ivoire (main de Luis Fabiano), du Mexique (hors jeu de Tevez), de l'Angleterre (but refusé à Lampard) ou du Brésil (penalty non sifflé sur Kaka contre les Pays-Bas), évoquer tant de larmes coulées sur l'autel des décisions erronées ou, plus graves, suspectes."
D’abord, nous voyons ici comment la paresse intellectuelle conduit à remplacer la puissance d’analyse par la puissance d’énumération. Les exemples cités présentent pourtant un éventail très large de situations très différentes. En cela, notre "expert" cherche par l’empilement d’incidents de jeu à obtenir un effet "ras-le-bol de ces arbitres, quand on voit tout ça, on se dit que c’est plus possible". Détailler la façon dont la vidéo serait appliquée ne l’intéresse pas. Lorsque le ballon franchit la ligne? Les fautes de main? Hors-jeu? Peu importe. La vidéo, tout de suite et n’importe comment. Ensuite et étant scientifiquement établi que le ridicule ne tue pas, il est indispensable de dramatiser. Sans raisonnement structuré, il n’est d’autre recours que l’émotion à coup de "larmes coulées" et d’images difficiles à saisir (qu’est-ce qu’un tel autel et qui pleure où finalement?).
"Jean-Marc Guillou me disait récemment son incompréhension et ajoutait un argument révolutionnaire : la vidéo diminuerait in fine la corruption. 'On doit nommer les arbitres vidéo cinq minutes avant le match. C'est le seul moyen d'enrayer la tricherie, explique-t-il. Car comment savoir si un arbitre s'est trompé sciemment ou non?' Les idées souvent novatrices de Guillou méritent une attention particulière."
Dans un risible souci d’originalité, Penot ajoute la corruption des arbitres à son fourre-tout révolutionnaire. Cela devient surréaliste car Guillou (lire ici) est encore plus fort que Penot avec le concept d’arbitre "vidéo":
"On supprime le central, que l'on remplace par un arbitre 'vidéo', situé à des kilomètres du lieu de la rencontre et désigné par tirage au sort cinq minutes auparavant (et donc dégagé de toutes influences, limitant ainsi le risque de corruption). Deux assistants (un de chaque côté du terrain), reliés par radio à l'arbitre " vidéo " signalent aux joueurs les décisions de l'arbitre principal." No comment.
"Au temps d'Internet, des images passées et repassées à foison, l'arbitre est aujourd'hui abandonné dans la fosse aux lions. On n'est pas loin d'un cas de non assistance à personne en danger."
Internet, images à foison, la fosse aux lions: Penot élève au rang d’art la construction de phrases à base d'empilement de clichés. Se rend-il seulement compte qu’il fait partie des lions de la fosse?
"Imaginez une erreur gravissime lors du barrage Egypte-Algérie de novembre dernier, dans cette ambiance surchauffée, électrique, propice à tous les débordements..."
L’odeur du sang, rien de tel. Ce match de barrage n’ayant manifestement pas été assez sanglant au goût de Penot, il a besoin de faire appel à son imagination pour compléter le tableau.
"Une autre règle vient de péter au yeux des édiles du ballon."
Pour un "expert", le style est essentiel. Il ne suffit pas d’émettre du gaz, il faut le parfumer avec une référence aux magistrats de la Rome antique (si, si , Hervé, "édile" vient de là) que l’on veut péjorative pour les élites. Il est toutefois conseillé, dans ce genre d’entreprise, de s’adjoindre les services d’un stagiaire lettré, pour la relecture.
"La main sur la ligne de but. Suarez est aujourd'hui un héros et personne en Uruguay ne discute, comme pour Thierry Henry, du bien-fondé de son geste. Le tricheur a gagné, il aurait pu être ghanéen ou français, cela n'aurait rien changé au fond du raisonnement. Le réflexe est humain, le règlement est totalement dépassé, inique."
Admettons. Mais que vient faire là-dedans la main d’Henry, bien loin de la ligne de but? Est-ce une dénonciation de la tricherie en général ou bien parle-t-on d’une règle précise? Parle-t-on de l’application d’une règle ou du "bien-fondé" d’un geste – notion bien différente car glissant vers la valeur morale du geste?
"Pourquoi ne pas sanctionner d'une expulsion et d'un but ce type de situation? En une fois, le cas serait réglé. Suarez expulsé et le Ghana vainqueur? On en aurait terminé avec un geste qui dénature ce sport."
Emporté par le tourbillon de l’énumération, Hervé Penot délaisse soudainement ce qu’on croyait être le sujet de sa missive – l’arbitrage vidéo – pour entreprendre une révision des règlements, oubliant au passage que les Ghanéens ont raté un pénalty.
"La dramaturgie, l'émotion poussée à l'extrême ne doivent pas être les seuls vecteurs d'analyse d'une soirée de football. L'Afrique du Sud, espérons-le, servira de point de départ à un véritable séisme."
Penot finit par s’auto-dénoncer involontairement. Car il est bien "l’expert" qui fonde ses "analyses" sur l’émotion extrême.
"D'accord, ce n'est pas gagné. Mais Blatter, après avoir tant fustigé la vidéo le lundi, s'est dit prêt à y recourir dans des cas particulier, le mardi... C'était évidemment après l'échec de l'Angleterre, pas après la faute de main de Luis Fabiano contre les Eléphants. Le président de la FIFA a d'ailleurs présenté ses excuses au Mexique et à l'Angleterre, grand pourvoyeur de droits télé. Pas à la Côte d'Ivoire. Tiens, l'ami de l'Afrique a-t-il perdu la mémoire ?"
En conclusion, on se surprend à lire un petit paragraphe plutôt mesuré, citant des faits avérés (les excuses) et mettant le doigt sur une communication en effet risible de la FIFA. Mesuré, mais gâché par ce nouveau mélange de concepts, consistant à parler d’un futur arbitrage vidéo tout en concluant sur une Afrique oubliée par les dirigeants occidentaux. Hélas, il en va ainsi des chroniques vides des faiseurs d’opinion.
Bonus : le faux jumeau d'Hervé Penot
La ressemblance avec Charmant, le prince dans Shrek, était tellement frappante que le journaliste a finalement préféré changer de coupe de cheveux.
Regarder aussi le Replay 6, où il tenait la vedette dans une inoubliable séquence finale.