Dans les cartons des Dé-Managers : #50
Bas Dost sur le toit du monde, David Silva face au Barça, Lionel Messi par Paul Scholes, Xavi, Jamie Carragher vs. Thierry Henry et un noir buteur au Pays basque pour une semaine très espagnole.
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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All about that Bas (Dost)
Christophe Kuchly – En ce moment, il réussit à peu près tout ce qu’il tente. Bas Dost – et non pas Das Bost, qui ferait ceci dit un joli mot allemand – est sur une improbable série de buts: depuis début décembre, il a marqué treize fois. En Bundesliga, il est à un but toutes les soixante-six minutes cette saison, un chiffre quasiment impossible à tenir toute une année, mais qui rappelle son exercice 2011/12, terminé avec trente-deux buts en trente-quatre matches avec Heerenveen. Comme la formation néerlandaise en son temps, Wolfsbourg est l’une des équipes les plus offensives d’un championnat qui l’est tout autant. Mais comment Dost marque-t-il et pourquoi autant?
Le premier but de sa saison arrive face à Hanovre: seul au deuxième poteau sur un contre, sans avoir trop besoin de se démarquer, il profite d’un centre de Perisic pour marquer de près de la tête. Face à Cologne, sur un centre de Jung dans la surface, il passe devant son défenseur et conclut encore de la tête. Après la trêve, c’est l’explosion, avec un doublé contre le Bayern comme déclencheur. Sur le premier but, seul en pointe, il profite d’une perte de balle adverse, ajuste son déplacement pour ne pas être hors-jeu (il n’y a plus de défense) et remporte son duel d’un plat du pied. Puis, sur un coup franc repoussé, il refait la lucarne d’une volée de l’extér' à l’orée de la surface. Beau mais un peu chanceux.
Vient ensuite Hoffenheim, où il feinte son défenseur sur un centre de Schürrle, passe dans son dos et tend son pied à propos, puis le fameux quadruplé contre Leverkusen: abandonné, il commence d’une tête sur un centre de Vieirinha, dévie ensuite de l’extérieur celui à ras de terre de De Bruyne, avant de couper au sol puis en l’air ceux de Rodriguez et Vierinha, en extension comme le premier. Deux ballons qui traînent dans la surface gonflent finalement son total contre le Herta.
L’improbable but contre le Bayern écarté, tous les autres se ressemblent. Hormis face au Sporting en Ligue Europa, où il ouvre le score en prenant la profondeur avant de faire un pointu, il ne contrôle pas. Et s’il est grand, son mètre quatre-vingt-seize lui sert surtout au moment de tendre la jambe (le deuxième contre le Sporting sera un autre “tacle offensif”), une seule réalisation venant d’un duel aérien gagné. Tout est dans le déplacement pour se dégager du défenseur ou surgir devant lui, la proximité avec la cage rendant le geste final assez facile pour un bon attaquant.
Depuis plusieurs années, on annonce la mort du renard des surfaces. Bas Dost est pourtant la preuve que ce style perdurera tant qu’il sera mis dans le bon environnement. Wolfsbourg, qui n’a rien à envier à beaucoup de clubs encore en lice en Ligue des champions, a surtout une spécificité, outre beaucoup tenter sa chance: savoir entourer son seul attaquant de pointe de ce qui est peut-être le meilleur assemblage de centreurs au monde. Les nombreux noms cités plus haut – ce qui montre qu’il n’existe pas de circuit unique même si De Bruyne distribue le caviar en grande quantité – en envoient dix-sept par match, record de Bundesliga… mais chiffre qui les placerait relégable partout ailleurs. L’arrivée de Schürrle confirme la volonté d’insister dans la veine actuelle. Tant qu’il fera les bons appels, Bas Dost devrait donc continuer à marquer.
David Silva, renard d’espaces
Raphaël Cosmidis – Discrètement, dans l’ombre médiatique de Sergio Agüero et de Yaya Touré, David Silva est toujours le meilleur footballeur de Manchester City. À la veille d’affronter les Citizens, Gérard Piqué, redevenu le grand Gérard Piqué, a prévenu ses partenaires: “C’est le joueur qui les fait avancer. Quand il était à Valence, on pouvait déjà se rendre compte de son incroyable qualité technique.” Sergio Busquets, qui devra gérer les déplacements de son compatriote mardi soir, est du même avis: “Manchester City est dangereux, surtout quand le ballon parvient à Silva, avec sa liberté de mouvement et sa dernière passe.”
Aujourd’hui, alors que l’on a un peu trop tendance à annoncer la disparition des numéros dix (sans jamais les définir vraiment), David Silva joue à contre-courant. Il n’est pas spécialement rapide, réalise peu de ces fameux “sprints à haute intensité” et récupère deux fois moins de ballons qu’Oscar, modèle du meneur de jeu aussi utile en possession que sans. Tandis que les responsabilités de création, éparpillées sur la pelouse entre les ailiers et les relayeurs du XXIe siècle, échappent à l’axe, trop bien gardé, David Silva résiste en se baladant. Parfois derrière l’attaquant, de temps à autres sur l’aile gauche, l’Espagnol ne reste jamais longtemps dans sa zone de départ.
D’une certaine façon, David Silva ressemble à Thomas Müller. S’il touche bien plus de ballons que l’Allemand (soixante-cinq passes par match contre trente-deux), l’Ibère les reçoit avec le même confort. Les deux hommes, qui partagent également le don d’invisibilité, n’apparaissant que très rarement sur les Unes des journaux et remportant peu de récompenses individuelles, profitent du moindre espace abandonné par l’adversaire. Ils l’exploitent, l’usent, jusqu’à ce que la cavalerie arrive. Alors ils s’en vont trouver de l’air et du temps ailleurs. Müller, qui refuse de nous dire s’il est un buteur ou un créateur, est le meilleur passeur du Bayern Munich cette saison (sept passes décisives). Et personne ne semble être au courant.
Dans une interview accordée au Guardian en septembre dernier, le champion du monde allemand expliquait comment il était devenu ce joueur indéfinissable: “J’ai toujours su que je n’aurais aucune chance dans un duel avec un défenseur d’un mètre quatre-vingt-dix et de quatre-vingt-dix kilos. La clé, c’est d’éviter cette situation. Il faut choisir son endroit et son moment.” Face à un Barça au bloc plus étiré cette saison que par le passé, David Silva trouvera peut-être une situation propice à son art de la prise d’espace.
On a aimé
Le match d’Oliver Torres contre le FC Bâle en Ligue des champions. Le jeune milieu de terrain du FC Porto, prêté par l’Atlético Madrid, a fait briller sa conduite de balle et sa créativité en terre suisse. Les Portistas sont repartis avec un nul 1-1 de bon augure avant le retour à domicile.
La prestation de Jordy Clasie et du Feyenoord Rotterdam dans son ensemble au Stadio Olimpico. Certes opposés à une AS Roma en petite forme, les Néerlandais ont néanmoins pris le jeu à leur compte et montré beaucoup de contrôle au milieu. Au final, le fameux Colin Kazim-Richards, ancien Toulousain, offre le match nul (1-1) aux troisièmes du championnat batave.
Le missile de Philippe Coutinho contre Southampton. Le meneur de jeu de Liverpool, décisif ces derniers mois, a lancé le match d’une frappe brutale, venue taper la transversale de Fraser Forster avant de rebondir du bon côté de la ligne pour les Reds. Le reste de la rencontre fut moins emballant. Liverpool, vainqueur 2-0, revient à deux points de la quatrième place.
Isco, une nouvelle fois, lumière au milieu de terrain côté madrilène dans une rencontre délicate (2-0 à Elche). Dans une forme étincelante, le milieu de terrain espagnol est l’un de ceux qui tiennent la baraque cette saison.
La performance très sereine, comme toujours, d’Abel Aguilar face au Paris Saint-Germain samedi (3-1). Le milieu toulousain n’a jamais paniqué, réussissant ses transmissions et se présentant même devant Salvatore Sirigu, forçant l’Italien à une parade photogénique. Et tant pis si le Colombien ressemble au personnage du Boucher dans American Sniper.
On s'en fout
La signature d'Alou Diarra à Charlton, en deuxième division anglaise. Rassurez-vous, vous ne le verrez pas trop souvent sur vos écrans puisque Charlton, 14e du Championship, n'est pas près de monter en Premier League.
On n'a pas aimé
Une fois de plus, le match pauvre de Lucas Digne face au TFC, fait de centres bloqués et de passes courtes ratées. C’est désormais dans l’indifférence que l’ancien Lillois déçoit, comme si on ne croyait plus vraiment à son talent.
Les quatre-vingt-dix minutes maladroites de Graziano Pellè (70% de passes réussies, aucun tir cadré) à la pointe de l’attaque de Southampton face à Liverpool (0-2). L’Italien, qui avait inscrit dix buts et donné deux passes décisives toutes compétitions confondues entre le 30 août et le 20 décembre, n’a trouvé le chemin des filets qu’une seule fois depuis, soit un but en près de 1.000 minutes.
Le match complètement raté d’Ismaël Bangoura à Lyon (1-0). L’attaquant nantais a gaspillé les quelques ballons de contre qui auraient pu permettre à son équipe de réaliser le coup parfait à Gerland. Alors que l’ancien-vendeur-de-la-boutique-du-PSG Yacine Bammou marque également le pas, Nantes ne peut que s’en remettre aux joueurs plus reculés pour faire la différence.
Voir une nouvelle fois Andrés Iniesta sans idées face à Malaga (0-1), loin de ses exploits passés. Et comme on a très peu vu Neymar et que Lionel Messi a dû affronter un double rideau permanent, Barcelone n’a jamais trop su quoi faire pour percer la défense adverse. Quant à cette passe du fantôme de Dani Alves…
Le forfait de Parme, ville riche mais club pauvre, contre l’Udinese. Un seul match pour l’instant mais la perspective d’un arrêt en cours de saison est bien réelle…
L'infographie de la semaine
Où ont été formés le plus de joueurs des grands championnats européens? La réponse du CIES. Indice (la réponse en cliquant sur l'image pour l'agrandir): Amsterdam.
Les déclas
“Lionel Messi ne parle jamais sur le terrain. En fait, je crois que je ne l’ai jamais entendu dire un seul mot. Et vous n’imaginez pas à quel point il est costaud pour un petit gars. Je n’ai pas honte de dire qu’à chaque fois que l’on jouait contre Barcelone, je passais beaucoup de temps à espérer qu’il se positionne le plus loin possible de moi. Insaisissable est le mot qui vient immédiatement à l’esprit quand je pense au style de jeu de Messi. Vous pensez que vous l’avez sous contrôle et boum, il est parti, et réapparaît ailleurs, avec le ballon. Quand vous essayez de le confronter et de le tacler, vous savez ce qu’il va faire avec la balle. Le problème est de rester avec lui.”
Paul Scholes, dans sa chronique à The Independant.
“Messi évite les hauts et les bas du football. Vous le voyez rarement en rajouter dans une célébration de but, et il n’est jamais trop découragé non plus. C’est une qualité que je pense avoir partagée en tant que joueur. Le jeu change tellement rapidement, et vous devez être dans un état mental pour pouvoir gérer tout ce qui va se passer.”
Paul Scholes, suite.
“Le football anglais est plutôt axé sur l'intensité, l'aspect physique. Ici, en Espagne, c'est plus tactique. Le pivot (numéro 6 seul devant la défense) doit plus être malin tactiquement que dominant physiquement: penser, calculer, offrir des solutions, défensivement et offensivement. Tout contrôler. Le positionnement est la clé. Le style de Barcelone signifie que, défensivement, vous devez surtout gérer les contre-attaques – pas les stopper, les empêcher. Si vous défendez haut, il y a beaucoup d'espace vers le but dans votre dos, donc vous devez les éviter.”
Sergio Busquets, dans une intéressante discussion avec Sid Lowe dans le Guardian.
La vidéo de la semaine
Le jeu de Xavi disséqué. Toujours un régal.
L'anecdote
Iñaki Williams est entré dans l’histoire de l’Athletic Bilbao en milieu de semaine, en étant le premier joueur noir à inscrire un but pour le club basque (face au Torino, 2-2 score final). Né d’un père ghanéen et d’une mère libérienne, Williams a rejoint Bilbao en 2012. Il était semble-t-il destiné à évoluer à San Mamés. En 2011, Ramalho avait été le premier joueur noir à jouer pour Los Leones.
Le bonus analyse
Thierry Henry et Jamie Carragher analysent Everton et John Stones. Au bout, une vraie divergence d’opinion, et une nouvelle belle séquence de Sky Sports.
La revue de presse anglophone
La révolution statistique dans le football, qui a commencé au Danemark, se poursuit à Brentford. Ou pourquoi il ne faut pas virer son coach selon les résultats bruts.
C’est à l’AS Monaco qu’Arsène Wenger a bâti sa philosophie de jeu. Le match de Ligue des champions mercredi lui rappellera quelques souvenirs.
Le 4-4-2 est-il en passe de faire son retour au premier plan?
Pour Gary Neville, l’ère du football champagne made by Ferguson est belle et bien finie à Manchester United.
Au Barça, Pedro est l’incarnation de la réussite par l’effort.
Focus sur Franco Vasquez, qui explose avec Palerme cette saison.
Marcelo Bielsa, le génie obsédé.