Feuilles de match et feuilles de maîtres
Qui a dit que football et littérature étaient incompatibles ? Voici le forum où vous pourrez parler de vos lectures récentes et anciennes, liées ou non avec le ballon rond.
Un conseil de lecture ? Une bonne librairie ? =>> "You'll never read alone", le Gogol Doc: http://bit.ly/11R7xEJ.
Dino Dini
29/10/2018 à 21h34
Octobre sous la pluie, lecture au fond du lit:
*[AUTOBIOGRAPHIE] *"Mémoires d'un lutteur de Sumo" de Kirishima Kazuhiro:
Je sais que la plupart d'entre vous avez une culture sumo des plus limitées. J'étais moi aussi un ignorant concernant ce vénérable sport dont chaque affrontement dure entre 4 et 10 secondes. L'ami Kazuhiro fut Ozeki, c'est à dire un champion du plus haut niveau (celui juste en dessous de Yokozuna qui est le rang suprême mais dont l'accession diffère du classement "classique"). Après une instructive explication de ce qu'est ce sport sur le plan historique, social et technique, on attaque l'autobiographie à proprement parlé. Dans un style très simple, le combattant nous raconte ses rêves de gloire malgré un poids très inférieur à la moyenne (il pèsera à son max "seulement" 130 kilo, certains combattants dépassant les 230...) et surtout les efforts insensés qu'il devra produire pour survivre dans ce sport ultra-compétitif qu'est le sumo. Entrainements d'une rare intensité, régime alimentaire d'une prodigieuse richesse (5 énormes casses-dalle par jour plus des litres de boissons protéinées), tentations et sollicitations en tout genre qui ont vite fait de vous faire perdre, c'est avec délectation en même temps que fascination que l'on dévore ces mémoires sur un monde que l'on ne connait qu'en surface.
*[SCIENCE-FICTION] *"La sixième colonne" de Robert Heinlein:
On ne parle pas assez de science-fiction raciste en ces pages. Après l'excellent et incompris "Etoile, garde à vous" ("Starship Troopers"), une oeuvre de jeunesse de Heinlein qui voit les panasiates, une confédération de peuples asiatiques forcément intelligents et fourbes, envahir et asservir les Etats-Unis d'Amérique. Mais la naissance d'une nouvelle religion -et accessoirement l'usage d'une arme révolutionnaire sa race- vont donner un espoir aux concitoyens de Donald Trompe. Difficile de lire ce roman sans subir la plupart des clichés sur les "jaunes" au lendemain de la guerre du Pacifique et en ce sens, l'ensemble est trop ancré dans son époque. Néanmoins, le récit est mené tambour-battant avec quelques belles idées liées à cette nouvelle religion. Dommage que l'arme secrète américaine gâche une partie des enjeux, mais je n'en dis pas plus. Un bouquin étrange, malaisant parfois mais loin d'être mauvais.
*[ROMAN] *"La défense Loujine" de Vladimir Nabokov:
conseillé par un cédéfiste dont je préfère taire le nom en raison de son appartenance à l'EVECT, ce Nabokov raconte l'histoire d'un gamin puis d'un homme, Loujine, qui fera du jeu d'échecs le centre de sa vie, au point de devenir une créature inadaptée au monde des humains. Ceux qui attendent un bouquin avec des rois, des cavaliers et des fous en seront un peu pour leurs frais même si l'auteur de "Lolita" décrit de très belles parties. Le coeur du roman reste ce drôle de personnage qu'est Loujine, homme sans prénom, incapable d'accepter un monde qui ne ressemble pas à un plateau d'échecs. Les descriptions de son addiction, celles de son inexorable déclin mental, les portraits que Loujine fait lui même de son entourage sont souvent de sacrés morceaux de bravoure. Alors oui, quelques longueurs hachent le récit mais elle n'empêchent guère "la défense Loujine" d'être un fort bel ouvrage.
*[ROMAN] *"Tropique de la violence" de Natacha Appanah:
Bouquin multi-récompensé qui nous plonge dans le quotidien morose et violent d'une jeunesse perdue de la République sur l'Ile qui aurait pu être paradisiaque de Mayotte. Loin des images de cartes postales pour touristes, Appanah nous embarque dans un futur sombre même pour les plus attachants de ses personnages. Ne se contentant pas de raconter, elle balance avec conviction sur les manquements d'une France qui délaisse ces gamins de l'Océan Indien comme elle délaisse ces mômes de Bondy ou de Sarcelles. Plume évocatrice, style fluide qui ne s'éparpille pas une seconde et thématiques percutantes, Madame Natacha cogne fort et son uppercut est précis. A lire, évidemment.
*[ESSAI] *"King-Kong Théorie" de Virginie Despentes:
J'avais beaucoup aimé le premier tome de Vernon Subbutex, j'avais trouvé son film "Baise-moi" aussi imparfait qu'intéressant, j'ai donc testé autre chose de l'ex keuponne à chien (une probable amie de Vieux pré). Ce manifeste, ou plutôt ce brulot féministe, permet à Virginie Despentes de se lâcher sur la question des rapports homme-femme dans nos sociétés occidentales. En quelques chapitres traitant tour à tour du viol (elle part de sa propre expérience), de la prostitution (qu'elle a vécu là aussi) et de la pornographie (à l'exemple de sa co-réalisatrice hardeuse Corinne Trinh Tih) et avec un langage cru mais jamais vulgaire ainsi qu'une plume acérée, elle balance beaucoup sur les hommes, mais aussi sur celles qui acceptent, formatées par leur éducation, ces états de fait. La pensée est structurée, l'argumentation incisive et la réflexion qu'elle entraine tout à fait passionnante sauf si, évidemment, vous êtes Dodo la Saumure, Bill Cosby ou Pierre Woodman.
*[NOUVELLES] *"Mademoiselle Fifi" de Guy de Maupassant:
Peut-être connaissez-vous la plus importante de mes règles de vie: lire du Maupass' au moins une fois par an, afin de dire merci à la littérature, à la beauté et à la vie. "Mademoiselle Fifi" est un recueil de nouvelles, genre loin d'être mineur quand Guy de' s'y attelle. 18 courts récits au total, certains agréables à lire sans plus, sous la forme de petites fables grinçantes mais comme toujours chez l'auteur, un petit paquet de nouvelles absolument injouables tant elle respire le génie à plein nez. Si "Mademoiselle Fifi" reprend avec bonheur le contexte prostitution et Allemagne de "Boule de suif", c'est surtout "Madame Baptiste", chef d'oeuvre de noirceur sur une fillette violée qui deviendra une femme rejetée qui vous marque au fer rouge. Vingt pages si puissantes qu'elles mettent mal à l'aise et interpellent tout à la fois. Merci encore Guy 2 et à l'année prochaine.
*[ROMAN ABANDONNE] *"Les zinzins d'Olive Oued" de Terrt Pratchett:
Ayé, j'ai tenté malgré mes craintes et mes réticences et j'ai attaqué le fameux cycle des Annales du Disque Monde, oeuvre cultissime s'il en est. Après m'être multi-renseigné, et sachant que l'ordre importait peu, j'ai attaqué par le volume causant de la naissance du cinéma dans le bled perdu d'Olive Oued (attention jeu de mot violent). Et comme dans les 5 tomes du "guide du voyageur galactique" de Douglas Adams, j'ai flanché.
Des personnages à foison, la plupart avec des noms affreux tel que "Planteur j'me-tranche-la-gorge" ou, ma hantise culturelle, un animal qui cause, ici un chien prénommé Gaspode. Déjà, rien que cela, c'en était trop pour moi. Mais les innombrables digressions de Pratchett, ses dialogues interminables et débouchant sur une chute qui n'est pas mon humour (malgré quelques saillies délicieuses, je vous l'accorde, mais c'est la moindre des choses avec un tel débit de vannes) ainsi que des références cinéphiliques peu intéressantes me font dire une chose: je ne suis pas fait pour ce genre de littérature et ni Adams, ni Pratchett n'auront désormais mon temps et mon argent. Vous remarquerez qu'a aucun moment, je n'ai dit que c'était nul. C'est bien, hein?
Merci, je retourne au pieu et au chaud.