Paris et Marseille en leurs miroirs
Point d'orgue d'une saison qui accumule les contradictions en tout genre, cet OM-PSG a eu l'effet d'un coup de tonnerre, mais il souligne surtout les crises d'identité traversées par les deux clubs. Article livré avec un bréviaire de poche.
Auteur : Pierre Martini
le 11 Mars 2003
Nos deux équipes phares se tendent mutuellement un miroir qui les renvoie généralement à des stéréotypes dont chacun est lui-même pour moitié responsable. Mais cette fois, les cartes sont décidément brouillées, et comme de nombreux observateurs, on peut estimer que Paris bat son rival avec des qualités marseillaises. Personne ne s'attache à définir précisément ce que sont ces qualités, mais il est sous-entendu qu'il s'agit de la combativité, de la capacité à être présent dans les grandes occasions — voire à assumer une guerre psychologique. Et un personnage comme Heinze apporte de l'eau à ce moulin, tandis que la méthode Perrin, lisse et rationnelle, prend à revers les habitudes locales. Les bilans des deux équipes présentent cependant bien d'autres contradictions. Paris : des hauts et débats Homme de coups et de coups d'éclats, Fernandez a parfaitement joué celui-ci — à moins que la réussite de ce système de jeu inédit ne soit qu'une pure coïncidence (Perrin aurait alors perdu à la roulette russe). Que les hommes du match soient un Jérôme Leroy qu'il a défendu envers et contre tous et un Ronaldinho auquel il aura si souvent reproché de ne pas jouer à son niveau ajoute au caractère symbolique de ce paradoxal triomphe. L'entraîneur peut pourtant se voir reprocher son utilisation sporadique du Brésilien et sa propre incapacité à le responsabiliser ou à le motiver… Le manager du PSG renverse en tout cas la vapeur sur le terrain qu'il avait choisi et qui semblait se dérober sous ses pieds, celui des supporters (voir Divorce à la parisienne). La position de ses derniers à son égard va inévitablement s'infléchir à la suite de ce résultat improbable. S'il ne rattrape pas la situation sportive du club (les journaux ne se privent pas d'insister sur les légitimes regrets des Parisiens) et s'il n'exonère pas Fernandez de ses écrasantes responsabilités, il a au moins le mérite de lui offrir un nouveau sursis en replaçant le PSG dans la course à l'Europe… Le scénario d'une qualification en Ligue des champions et d'une victoire en Coupe de France (l'équipe a le profil) est moins improbable. Il constituerait le bilan le plus positif depuis 1998, et il rappellerait grandement les circonstances dans lesquelles Fernandez avait quitté le club au terme de son premier mandat. Son groupe avait implosé en championnat, laissant un titre qui lui tenait les bras à l'AJA du doublé, lui-même avait été placé sous tutelle, mais la Coupe d'Europe était au bout de la saison. Marseille à contre-emploi Le bilan est exactement inverse pour un OM qui réalise sa meilleure saison depuis bien longtemps. Mais les déroutes contre Paris donnent soudain un tour problématique au lifting opéré par Christophe Bouchet et Alain Perrin. Les supporters pouvaient s'arranger de la rigueur et de la froideur dégagées par ce duo dirigeant, compte tenu du club soulevait déjà quelques contradictions. "L'humiliation" du Vélodrome (nous ne faisons que reprendre le terme le plus décliné ce lundi dans la presse), se substituant à la revanche espérée, sera plus difficile à faire passer. Elle alimente les procès sur la difficulté de Perrin à "franchir un palier", comme un jeune joueur confronté à l'élite, et à muscler les ambitions de son équipe. Il mesure peut-être mieux que quiconque les limites de son groupe, et est parfaitement en droit de réclamer de la patience pour cette première saison, mais la très mauvaise gestion des sommets contre le Paris Saint-Germain le fragilise considérablement. Les comptes ne sont évidemment pas soldés aujourd'hui, et l'OM rénové a probablement de beaux jours devant lui. Mais les actuels dirigeants doivent prendre garde à ne pas creuser le fossé avec les supporters, l'histoire nous ayant appris qu'il faut soigneusement éviter de déformer ou de s'approprier l'image du club. Et ils ne doivent pas ignorer qu'ils ont encore beaucoup d'épreuves à affronter. Vers une normalisation? Dans leurs configurations "traditionnelles", c'est-à-dire depuis le temps récent ou le duel a pris tout à coup une importance démesurée, les deux équipes nous ont présenté certains des pires matches de l'histoire du football français, avec des haines savamment attisées, des déclarations sous la ceinture et des tacles au-dessus du genou, des tricheries, des rixes et des périls jusque dans les tribunes et alentour… et très peu de football. Ces dernières saisons, l'affrontement s'est banalisé sur le terrain, tandis que le contexte restait très dégradé, sa médiatisation culminant en janvier dernier lorsque notre ministre de l'intérieur s'empara bruyamment du dossier à l'approche du match de Coupe (voir Entre les hooligans et Sarkozy). Le caractère limité des incidents en marge de la rencontre constitue un signe positif de ce point de vue-là. Peut-être faut-il espérer que ce cuisant revers à domicile, mettant un terme à une série dont la longueur a peut-être alourdi l'enjeu, contribue finalement à ramener la rivalité à des proportions plus décentes. Les supporters de l'OM vont peut-être se rendre compte qu'une défaite fait moins mal qu'une victoire ne fait du bien, que la vie continue, que le titre est encore jouable et que Paris est à sept points. Ils ne sont malheureusement pas poussés dans cette voie par des médias qui en rajoutent sur le thème de "l'humiliation" et de la "honte". On ne souligne pourtant jamais assez le caractère artificiel de cet antagonisme né à une époque troublée, et on le relativise trop peu en regard d'autres rivalités historiques, elles aussi très datées. Cette dédramatisation n'est aujourd'hui qu'un vague espoir, mais après tout, on n'est jamais à l'abri d'un coup de bol. BRÉVIAIRE DE POCHE Le séisme Jérôme Leroy invente le tremblement de terre de zéro degré sur l'échelle de Richter. L'illumination C'est bien la première fois que Jérôme Leroy est le seul à comprendre ce qui s'est passé. L'anticipation malheureuse Runje sur la grossière feinte des yeux de Leroy. L'anticipation heureuse Ronaldinho sur la grossière bourde des pieds de Lebœuf. La déclaration tout en retenue Luis Fernandez (C+) : "Je crois que ce soir je suis content". Le mangefeuille Bartholomew Ogbeche. L'homme qui parle à l'oreille des poteaux Jérôme Alonzo.