Pas de fusées sans boeufs
Le tir de fusées sur les tribunes adverses se banalise-t-il? Une manifestation particulièrement grave de crétinisme: un mort au Pérou et des incidents déplorables à St-Etienne. De notre envoyé spécial (à St-Etienne, pas au Pérou).
Auteur : Jamel Attal
le 11 Avr 2000
Le mal n'est pas nouveau, mais sa permanence est très inquiétante. Bien au-delà des provocations verbales, le tir de fusées éclairantes implique une volonté délibérée de nuire et de porter atteinte physiquement à l'"ennemi". Les incidents de Geoffroy Guichard ne sont qu'un exemple d'une pratique très répandue, qui a vu cette fois les supporters parisiens travailler à leur cote de sympathie dans le Forez.
En préliminaires, des éléments non encadrés du PSG (environ 150) ont cherché et obtenu des affrontements avec des supporters stéphanois avant le match aux abords du stade, nécessitant l'intervention des CRS et détruisant quelques abribus (qu'est-ce qu'un abribus peut bien déclencher dans le cerveau atrophié d'un hooligan?).
La rencontre commence donc avec dix minutes de retard et après positionnement des gardes mobiles le long du bloc 30, suite à l'envoi de fusées et de divers projectiles droit sur la tribune Nord, en provenance du carré parisien. Certains excités avaient visiblement pour objectif de pénétrer sur le terrain, l'un deux y parvint et y gagna une arrestation piteuse. La première mi-temps fut ensuite rythmée par un tir d'artillerie très régulier, jusqu'à épuisement des munitions parisiennes. Passons sur la pertinence de placer les visiteurs à proximité directe du kop le plus chaud (ici, côté Magic Fans), la question essentielle est de savoir comment on peut introduire un tel arsenal en toute impunité. Les fouilles sont-elles réservées aux spectateurs locaux? Si des feux d'artifices peuvent passer au travers des mailles, que retient donc le filet? Des lance-roquettes? Des pains de haschich de 6 kilos?
Le danger est pourtant réel. Au Pérou, un spectateur de 17 ans a été tué par une fusée éclairante très banale chez nous aussi, son voisin grièvement brûlé (AFP 03/04/00). La tolérance et l'impuissance mêlées qui prévalent permettent à cette pratique de se ritualiser, laissant des pulsions criminelles s'exprimer dans les stades. Evidemment, il y aura toujours un camp pour tirer en premier, mais la réplique est tout aussi inexcusable: la simple capacité à commettre un acte aussi stupide devrait conduire à des interdictions de stade systématiques et à des condamnations pénales.
Dans son édition de dimanche, Le Progrès se montrait optimiste sur les suites disciplinaires et judiciaires des incidents, parfaitement filmés par la vidéosurveillance et dont les auteurs seront facilement identifiables. Encadrés par une cinquantaine de stewarts détachés par le club parisien et qui les connaissent donc parfaitement, les guérilleros de l'absurde ne devraient logiquement pas échapper à leurs responsabilités. Par ailleurs, les dirigeants du PSG —qui ont pris des initiatives marquantes contre la violence raciste de certains de leurs supporters— se doivent d'être aussi intransigeants avec la violence ordinaire de certains autres. Les nombreux autres clubs concernés peuvent tout autant se déterminer à lutter contre des pratiques qui font dégénérer les matches en affrontements et soulèvent la haine dans les tribunes (sans mentionner la triste image donnée à leurs couleurs).
Devant un tel florilège d'agissements lamentables et prémédités, on peut s'interroger sur la nécessité d'interdire purement et simplement les déplacements de supporters. Cette mesure certes répressive aurait pour mérite de mettre un terme à ces dérapages, mais surtout de responsabiliser les groupes en leur rappelant clairement les règles du jeu. S'ils ne peuvent en déplacement s'astreindre à un code de conduite élémentaire, cette solution, aussi attristante soit-elle, ramènera au moins la paix dans les stades.
Quant aux joueurs, on les souhaite exemplaires, avec autant de respect pour l'adversaire et le jeu qu'en ont eu les Parisiens et les Stéphanois sur le terrain...