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Andrew Jennings, l'homme qui fit tomber Sepp Blatter

Infatigable pourfendeur de la corruption au sein du CIO et de la FIFA, le Britannique Andrew Jennings est mort l'an dernier. Son confrère James Oliver lui avait rendu un hommage que nous traduisons ici. 

Auteur : James Oliver le 3 Mars 2023

 

Nécrologie parue dans le Guardian du 27 mars 2022. Auteur James Oliver, traduction Kevin Quigagne.

* * *

Le journaliste Andrew Jennings, décédé à 78 ans le 8 janvier 2022 d'un anévrisme aortique, a fait plus que quiconque pour mettre à jour la corruption systémique au sein des organisations qui régissent le sport mondial. Son travail a abouti aux réformes engagées par le Comité international olympique et à la chute des patrons de la FIFA, l'instance dirigeante du football.

Il a réussi ce tour de force en appliquant ce qu'il avait appris en enquêtant sur la criminalité et la corruption dans la police, lorsqu'il était reporter de presse et radio-télévision. Pour Andrew, le journalisme n'était pas un métier - c'était une mission. En 2000, le New York Times l'a décrit comme "généralement scandalisé et fréquemment scandaleux".

L'une de ses propres définitions du journalisme d'investigation était : "Identifier l'ennemi et le détruire." Mais chez lui, la traque sans relâche reposait sur une technique éprouvée. Des documents compromettants lui étaient remis par des sources avec lesquelles il avait forgé une longue relation de confiance, qui se muait parfois en amitié.

 

photo Agência Senado
photo Agência Senado

 

"Président Blatter, avez-vous déjà touché un pot-de-vin ?"

Au CIO, la figure clé était son président, Juan Antonio Samaranch. Le premier livre d'Andrew sur le mouvement olympique, The Lords of the Rings : Power, Money and Drugs in the Modern Olympics (1992), coécrit avec Vyv Simson [1], offensa tant Samaranch que ce dernier, en 1994, saisit la justice suisse via le CIO et fit condamner les deux hommes pour diffamation.

Andrew ignora le verdict ainsi que les cinq jours de prison avec sursis. Deux autres livres suivirent : The New Lords of the Rings (1996) et, avec sa compagne Clare Sambrook, The Great Olympic Swindle (2000) [2].

Le scandale d'attribution des Jeux olympiques à Salt Lake City établit spectaculairement la corruption et les abus qu'Andrew fit tant pour dévoiler, forçant Samaranch à réformer le CIO. Il rejeta les appels à la démission mais passa la main en 2001 après les Jeux olympiques de Sydney.

Andrew connaissait peu le football mais il savait en revanche comment provoquer une réaction. "Président Blatter, avez-vous déjà touché un pot-de-vin ?", demanda-t-il en guise d'introduction au président de la FIFA, Sepp Blatter, devant une assemblée médusée lors d'une conférence de presse au siège de Zurich en 2002. "Je suis incorruptible", répondit Blatter, qui nia toujours toute malversation.

La question d'Andrew était en réalité une invitation patente à toute personne voulant aider à dénoncer la corruption à la FIFA : il était l'homme à qui parler. Cela fonctionna et, bientôt, on lui remettait des sacs pleins de documents qui en firent un expert de la corruption liée à l'attribution des Coupes du monde et les paiements résultants des droits de diffusion, de sponsoring et merchandising.

 

 

Cette approche n'a pas toujours plu au Royaume-Uni. En 2010, une source remit une liste de dirigeants sportifs, dont trois membres du comité exécutif de la FIFA, ayant reçu 100 millions de dollars en pots-de-vin.

Le reportage de "Panorama" que je produisis avec Andrew fut diffusé en novembre de cette année-là, quelques jours seulement avant que le comité ne vote pour désigner les pays hôtes des Mondiaux 2018 et 2022. Le Sun qualifia la BBC "d'écervelée, de traître et crétine" et l'équipe de la candidature anglaise nous accusa d'être "antipatriotiques", ce qui fit bien rire Andrew.

Il s'avéra que les désignations avaient déjà été faites en amont. Trois jours plus tard, quand le comité exécutif de la FIFA "élut" la Russie et le Qatar, les protestations indignées s'élevèrent contre la FIFA. Des fonctionnaires du ministère de la Justice états-unien contactèrent alors Andrew. Il me fit suivre leur courriel à la BBC, observant avec jubilation qu'il était "peu judicieux de corrompre en dollars US".

Pour Andrew, la FIFA était une organisation criminelle et il remit au FBI et aux impôts américains des documents sur des délits de fraude fiscale commis par Chuck Blazer, membre du comité exécutif.

Après que Blazer est passé informateur infiltré en 2015, sept officiels de la FIFA furent mis en examen pour racket, association de malfaiteurs et corruption. Blatter fut banni par la FIFA de toute activité liée au football cette année-là et de nouveau en 2021.

"Je vous avais dit que c'était un escroc"

Andrew est né à Kirkcaldy, dans le comté de Fife en Écosse, fils d'Edith et Edward Jennings, qui servait alors dans la Royal Air Force. La Seconde Guerre mondiale terminée, la famille s'installa à Londres, où Edward était chef d'établissement.

Après des études aux lycées professionnels de Watford et South West Herts, puis au Lycée d'enseignement général de Bushey, Andrew fut admis à l'université de Hull. Mais au lieu de finir ses études en administration sociale, il enquêta sur le drame des naufrages de trois chalutiers qui frappa la ville en 1968, causant la mort de 58 membres d'équipage en trois semaines.

Les journaux nationaux le rémunérèrent pour ses conclusions de recherches, puis il intégra l'équipe Insight du Sunday Times [le pool d'investigation du journal, ndt], avant de rejoindre le Burnley Evening Star. Suivront le Daily Express et l'émission radio de consommation "Checkpoint" sur la BBC au début des années 1970. En 1982, il devint reporter télé pour " Watchdog ", célèbre rubrique de l'émission quotidienne d'actualité "Nationwide".

Deux ans plus tard, il rejoignit l'émission documentaire "Brass Tacks", mais sa carrière à la BBC s'arrêta net en 1986 quand, fidèle à lui-même, il démissionna à la suite du refus de la direction de diffuser son reportage sur la corruption dans la Metropolitan Police [la police du Grand Londres, ndt].

L'équipe de "World in Action" de la chaîne TV Granada l'accueillit alors, lui et son reportage, où il fut ensuite rejoint par Simson, son producteur à la BBC. Avec ce dernier et Paul Lashmar, il publia Scotland Yard's Cocaine Connection (1989).

 

 

C'est son collègue de "World In Action", Paul Greengrass, qui suggéra à Andrew de s'intéresser à la corruption dans les instances sportives internationales. Comme Andrew observa plus tard : "Paul a ensuite choisi Hollywood [3] et moi de fouiller dans les affaires du Comité olympique international."

En 2006, dans le cadre de son travail sur la FIFA, il publia FOUL ! The Secret World of FIFA : Bribes, Vote-Rigging and Ticket Scandals [4], qui détaille la corruption dans l'instance qui régit le sport planétaire le plus populaire.

C'est aussi le début de notre collaboration à "Panorama", qui produira cinq émissions sur le sujet. Ces documentaires montrent notamment ses tentatives, souvent cocasses, de questionner les pontes de la FIFA sur la corruption, en les abordant inopinément devant des hôtels de luxe, dans la rue ou à la descente d'un avion.

En arrivant à l'aéroport de Zurich, le Trinidadien Jack Warner, membre du comité exécutif de la FIFA, répondit aux questions poliment posées sur ses magouilles de revente de billets en disant, à la grande joie d'Andrew, qu'il "lui cracherait bien dessus".

Lors d'une autre rencontre à Trinidad, Warner lui envoya un "Va te faire enculer". Des instantanés télévisuels révélateurs, et Warner fut l'un des dirigeants inculpés la veille du Congrès de la FIFA en 2015. Pour Andrew, l'enquête des autorités suisses qui s'ensuivit sur Blatter fut "un moment d'intense justice".

 

 

Quelques semaines plus tard, Andrew fut victime d'un grave accident vasculaire cérébral alors qu'il filmait à New York. Chose inouïe, après avoir été transféré au Royaume-Uni, un mélange de thérapie à base de chant et de détermination lui permit d'enregistrer le commentaire et boucler le reportage.

Lequel s'achevait sur Andrew fixant du regard une grande photo de Blatter, l'homme sur lequel il avait tant travaillé. Se tournant vers la caméra, il s'adressait au téléspectateur avec une étincelle dans les yeux : "Je vous avais dit que c'était un escroc."

Andrew laisse derrière lui sa compagne, Clare, et leurs enfants, Henry et Rosie. Deux filles jumelles sont nées, et mortes, en 1998. Il laisse également sa fille, Sophie, issue de son mariage avec Janeen Weir, décédée en 1974, ainsi que ses beaux-enfants Belinda et Tim.

Edward Arthur Andrew Jennings, journaliste et réalisateur, né le 3 septembre 1943 et mort le 8 janvier 2022.

* * *

L'auteur de l'article, James Oliver, est un producteur de télévision britannique et journaliste d'investigation pour "Panorama", émission d'actualité phare de la BBC. Il a été plusieurs fois primé et a bien connu Andrew Jennings, notamment pour avoir travaillé avec lui dans le cadre de "Panorama". Il est également auteur et a été publié dans de nombreux quotidiens et magazines, dont The Guardian, The Independent, The Sunday Telegraph et Private Eye (l'équivalent britannique du Canard enchaîné). Voir ici pour plus de détails.

 

[1] Traduit en français par Main basse sur les Jeux olympiques, éd. Flammarion, 1992.

[2] La Face cachée des Jeux olympiques, éd. L'Archipel, 2000.

[3] Paul Greengrass a notamment réalisé Bloody Sunday, Vol 93, Green Zone et plusieurs films de la saga Jason Bourne.

[4] Carton rouge ! Les dessous troublants de la FIFA, éd. Presses de la cité, 2006.

Réactions

  • Mangeur Vasqué le 05/03/2023 à 17h05
    [1/2]

    Merci aux Cahiers et au tandem Guardian-James Oliver pour avoir gracieusement autorisé une traduction (sans thuner donc. Le Times, propriété des Murdoch, voulait presque 100 euros. Comme s’ils n’étaient pas assez blindés comme ça...).

    C’est à ma connaissance seulement la deuxième nécro sur Jennings publiée dans les médias francophones. Seul le quotidien “Le Temps” – de Genève – en a fait une lien. Faut dire que Jennings passait pas mal de temps chez nos amis helvètes.

    Je recommande les livres de Jennings sur la Fifa. D’autres Britanniques ont écrit sur le sujet, articles et bouquins. Citons David Conn du Guardian, Declan Hill et (feu) David Yallop. “How they stole the game”, de Yallop (1999), est un classique. Il porte sur la genèse des dérives de la Fifa. Il traite donc du “parrain” originel, le Belgo-Brésilien João Havelange, president de 1974 à 1998, “Jean-Marie Faustin Godefroid "João" de Havelange” exactement, sur lequel il faut dire un mot car c’est le géniteur suprême, le super mentor du sieur Blatter. Tout ça est documenté dans le bouquin de Jennings “Foul!: The Secret World of FIFA: Bribes, Vote Rigging and Ticket Scandals”, 2006 (“Carton Rouge, les dessous troublants de la FIFA”).

    Ce que j’écris ci-dessous est un résumé du début du bouquin (d’autres sources sont cependant utilisées, eg “How they stole the game” de Yallop), surtout un résumé du chapitre 2 intitulé “Goodbye Sir Stan – Hello to a New World of Sport” (le chapitre 3 s’intitulant “Sepp Blatter, made by Adidas – A new leader rolls off Dassler’s production line”).

    Le Sudam Havelange succéda au Britannique Stanley Rous, Entre les deux, c’était “chalk and cheese” comme disent les Anglais, le jour et la nuit. Rous, ancien instit et arbitre international, était rigide et old school. Il avait arbitré la finale CdM 1934 et participé à la réécriture de pas mal de “règles” du jeu comme on disait, aujourd’hui “lois”, y compris au niveau du système d’arbitrage. Beaucoup essayèrent évidemment de le corrompre mais en vain. Il est le dernier spécimen honnête et intègre qui dirigea la Fifa. Elevé dans un bled du Suffolk, la vieille Angleterre quoi (on voit ses descendants parfois dans les médias anglais, pas ses enfants car il n’en eut pas mais ses petits-neveux etc., nous dire en gros que leur oncle/grand-oncle ferait la toupie dans sa tombe s’il voyait le spectacle offert par la Fifa).

    Clean mais obsessivement euro-centré : 9 places sur 16 allaient à l’Europe/UEFA avec lui (10 UEFA en 1966, et 4 Conmebol), ce qui le perdra car Havelange draguera les Africains/CAF et le reste du monde, qui devait se contenter de 3 places (si on exclut bien sûr les 4 places pour l’Amsud/Conmebol, 3 en 1978, et re-4 en 1982 pour les Sudams, la première CdM à 24 pays. Pis Rous avait 79 ans en 1974, l'âge joua aussi donc).

    Rous soutenait la fédération sud-africaine, très pro-apartheid évidemment, et autorisa l’Afsud à aligner une équipe entièrement blanche. Il détestait “le terroriste” Nelson Mandela, membre du Parti communiste sudaf (la fédé sudaf sera exclue de la Fifa sous Havelange, en 1976). Il refusa de dialoguer avec la Chine sur une possible réintegration en douceur. La fédé chinoise entretenait alors des relations difficiles avec la Fifa. Fondée en 1924 puis affiliée en 1931, ça commença à bugger à la création de la République populaire de Chine en 1949, surtout d’abord à cause de la situation de Taïwan vis-à-vis de la Fifa, rupture avec la Fifa en 1958, puis ensuite la Révolution Culturelle n’arrangea pas les choses. Pour les détails voir ici lien. Rous interdit même, ou “déconseilla fortement”, à Arsenal d’y faire une tournée à la fin des années 1960 alors que y’avait une possibilité d’ouverture, etc. C’est globalement là-dessus qu’Havelange le battit aux élections de juin 1974, organisées à Francfort : son refus d’ouverture.

    Ces élections de 1974 sont les vraies premières élections Fifa. Avant, ils faisaient ça à la bonne franquette, en petit comité. A Francfort, on eut le droit à une vraie élection entre les 122 fédés affiliées Fifa, une élection ressemblant à une campagne politique, avec des lobbys, des intrigants, des coups tordus, des “influenceurs”, des journalistes-détectives, des réunions secrètes dans des hôtels, des liasses de billets...

    1974 constitue donc un tournant historique, voir lien. Historique et inévitable ?

    Le CIO suivra bientôt la même trajectoire véreuse, même si les campagnes de Jennings le forceront à engager des réformes au début des années 2000. Avant d’avoir la peau de Blatter, Jennings aura aussi eu celle de Samaranch.

  • Mangeur Vasqué le 05/03/2023 à 17h33
    (2/2)

    Havelange était à fond pour la commercialisation du football et l’expansion économique (tout ce que détestait Stanley Rous, en gros) et s’était rapproché du charismatique Horst Dassler (Adidas, fils du fondateur) et inversement.

    Dassler, 38 ans et déjà très influent, surtout en Afrique. Il plaçait ses pions un peu partout car il avait flairé la mondialisation du football (ainsi que sa sous-exploitation), souhaitée par Havelange qui, malgré ses origines belges, nourrissait une grosse rancœur contre les Européens. Et pis ça l’arrangeait bien car dans son envie de “prendre une revanche”, y'avait aussi celle de s'en mettre plein les fouilles.

    A partir de 1974, Dassler devint incontournable, jusqu'à sa mort soudaine (en 1987, cancer de l'œsophage. La famille voulut alors de débarrasser d’Adidas, Tapie reprendra l’affaire). Il est considéré comme le père du sponsoring et marketing sportif lien. L’un des fidèles alliés de Horst Dassler était un Français, Christian Jannette, que Dassler chargea de courtiser Havelange. La langue commune facilita l’opération charme.

    Jennings devait pas mal de sa connaissance intime du système (de ses débuts veux-je dire, 1974) à un journaliste du Sunday Times, Keith Botsford, présent à cette fameuse élection de Francfort du 11 juin 1974. Botsford observa tout ça, et se fit refiler des infos sur les louches coulisses de l'élection. Jennings détaille tout ça dans son bouquin “Foul!: The Secret World of FIFA: Bribes, Vote Rigging and Ticket Scandals”.

    Comment par exemple la veille de l’élection au Palais des congrès de Francfort (manoeuvres et lobbying dignes d’un film d’espionnage), quand Dassler apprit avant le vote que le vent tournait en faveur d’Havelange, mais que ça s’annonçait tout de même serré, Dassler et son équipe se rendirent dans les hôtels ou séjournait le gros des troupes, en particulier au Steigenberger Hotel de l’aéroport, et distribuèrent généreusement les enveloppes (chacune contenant plusieurs milliers de $) à des délégués ou hommes d’influence pour les persuader soit de voter Havelange soit de répandre la bonne parole Havelangienne. Ceux qui n’étaient pas dans leur chambre d’hôtel trouvèrent à leur retour une enveloppe dans leur casier à l’accueil. Arrosage qui s’avèrera crucial.

    Havelange soutenait le lobby anti-Apartheid, principalement africain, existant au sein de la Fifa. Blatter intégra la Fifa l’année suivante, en 1975 (comme directeur technique), et fut parrainé par le grand satrape Dassler qui le fit propulser Secrétaire Général en 1981.

    Dassler voulait absolument l’exclusivité des droits marketing Fifa, via ISL, International Sports and Leisure, un deal évidemment frauduleux lien, qui alertera le FIB et l’IRS, le fisc étasunien, et torpillera Blatter en 2015 lien, après 17 ans aux commandes. Un scandale qui éclaboussera aussi la paire Platini-Valcke.

    En 1974, la candidature d’Havelange était supérieure à celle de Stanley Rous. Vingt ans de moins que Rous (79 ans), énergique, ancien nageur de haut niveau, de l’entregent et beaucoup de relations. Havelange avait pigé que pour vaincre le solide bloc pro-Rous il ne fallait pas lésiner sur les promesses aux petites fédés qui, depuis des années, tentaient en vain de se rebeller contre l’Euro-centrisme. Ce bloc pro-Rous était composé de beaucoup d’Européens… sauf, dommage pour Rous et les Anglais, de l’influente France qui avait changé de bord (les raisons du revirement, très intéressantes, sont brièvement expliquées dans le bouquin de Jennings).

    Parmi les promesses : une CdM à 24 en 1982. Havelange s’était engagé à (enfin) réaliser une grosse ouverture sur le “Tiers monde”, contrairement à l’ultra-Européen Rous qui lui visait le statu quo. Clairement, Rous se battait pour conserver tout ça dans le formol et ne voulait pas voir la politique se mêler de football et vice-versa.

    Havelange faisait activement du lobby, et il le faisait en 4 langues. Alors que Rous, qui détestait les corvées de lobby et les opérations cirages de pompe, était monoglotte et ça le limitait dans ces exercices de séduction en campagne. Rous était à fond pour un Mondial “européen” (la Fifa avait toujours été aux mains des Européens, administrativement et culturellement), il ne concevait pas l’ouverture sur le reste du monde (hormis les 3 ou 4 places réservées à l’AmSud, 3 en 1970, 4 en 1974). Devant la pression des Non-Européens depuis les années 1960 qui demandaient l’ouverture, Rous avait même menacé de créer une “Coupe du monde européenne” (avec quelques invités sud-américains).

    Havelange parlait surtout beaucoup aux Africains (qui n’intéressaient absolument pas Rous), en français, sa langue maternelle dans son cas : père liégeois et mère belge également, Juliette. Parents arrivés au Brésil en 1913, et étant jeune Havelange ne parlait que français chez lui à Rio, ce que documente largement Yallop dans son livre.

    Haveland pouvait donc communiquer naturellement avec les Africains francophones, ce qui lui procurait un gros avantage. Rous contre-attaqua en engageant un Anglais polyglotte (ancien prof de langues) pour ce genre de besogne mais il subsistait toujours cette barrière de la langue. Et culturellement, Havelange était beaucoup plus proche de la Francosphère. Il avait été scolarisé à l’école française de Rio il me semble, et il avait grandi dans un milieu multiracial/multiculturel à Rio, il comprenait bien mieux les étrangers issus des 4 coins de la planète et savait bien mieux manipuler les codes internationaux que le rigide Rous. Ce qui n’empêcha pas Havelange de nourrir des sentiments très anti-européens (qu’explique un peu Yallop dans son livre), ce dont il sut jouer bien sûr pour courtiser les membres Fifa non-Européens.

    Gros élément linguistico-culturel dans le succès d’Havelange donc, au moins initialement pour mettre le pied dans la porte. Et il pouvait parler direct aux Français aussi. La délégation française, qui militait désormais pour Havelange, intensifia le lobby auprès des Africains et toutes les fédérations francophones ou vaguement francophones.

    Victoire d’Havelange après deux tours (68-52), et on connait le reste : la Fifa “moderne” était née. Havelange se fit réélire facilement 5 fois d’affilée jusqu’en 1998 où il raccrocha, à 82 ans, sans jamais connaître une quelconque opposition. Mort centenaire en 2016.

  • Mangeur Vasqué le 05/03/2023 à 20h02
    Ajoutons, à ma connaissance, que les Allemands ont été les premiers à écrire sur le sujet (articles et bouquins). En particulier le duo Jens Weinreich et Thomas Kistner, “Das Milliardenspiel: Fußball, Geld und Medien” 1998. Weinreich a aussi beaucoup écrit sur le CIO et la corruption dans le sport en général.

La revue des Cahiers du football