Boulevard des idées reçues
Premier exemple de ces opinions certifiées conformes qui se répandent très vite et finissent comme des évidences sur toutes bouches: à en croire tous les commentateurs avisés, il va sans dire que Bernard Lama a fait une saison extraordinaire cette année, qu'il est revenu au sommet de son art et qu'accessoirement le PSG est bien crétin de le laisser partir. Etrange, parce que pour en juger sérieusement, il faudrait avoir vu tous les matches du club parisien cette saison, ce qui n'est le cas d'à peu près aucun journaliste, et certainement pas de Jean-Michel Larqué qui ces derniers temps se pâme devant les performances du gardien et ne cesse à chaque match de glisser quelques mots sur cette dernière marotte (Larqué est un être hanté d'obsessions, comme la peur de perdre).
Car après enquête et recoupements de témoignages, il semble que Lama soit loin d'avoir sorti "l'une des meilleures saisons de sa carrière" ou d'avoir été absolument "impérial". En fait, sa fin de saison a été très brillante, mais avant il aura connu quelques passages à vide et buts demi-casquette, ce qui lui fait une moyenne très honorable, à l'image de ce match contre le Maroc où il effectua de belles interventions, mais commit aussi quelques approximations (comme sur le but marocain). Mais voilà, les esprits à courte vue ne mémorisent que de courtes périodes. Une fois la mèche allumée, l'opinion toute faite se répand comme une rumeur et s'affermit petit à petit. Ainsi, de match en match, Jean-Michel Larqué va s'auto-persuader et trouver la saison de Lama de plus en plus fabuleuse, jusqu'à perdre le sens de la mesure.
Pour trouver un autre exemple de ces idées standards, valeurs sûres du journaliste en quête de bonnes grosses certitudes, il suffit d'ailleurs d'attendre que Pascal Praud interroge Youri Djorkaeff à sa sortie du terrain. La première "question" est: "Deux matches, deux buts!". Peu importe qu'il s'agisse d'un penalty et d'un but que ma grand mère aurait mis, l'homme au micro se raccroche instinctivement à l'étiquette "buteur" et ignore tout autre question intéressante. Il n'est d'ailleurs pas le seul à perpétuer ce mythe du Youri-buteur-exceptionnel. Pourtant, 14 buts dont 4 penalties lors des 4 dernières saisons en bleu, pour un titulaire, c'est déjà moins spectaculaire que le total (remarquable) de 24 buts en 62 sélections... Djorkaeff est effectivement un buteur important et régulier, mais si l'on tient compte des penalties et de la baisse de son efficacité ces dernières années (1 but s.p. au Mondial 98), il faut bien relativiser cette mythologie du "Snake".
Restons sur ce terrain, en passant à un autre cliché, inverse et qui a la peau plus dure encore, bien que lui aussi soit malmené par les faits: Zidane n'est pas (du tout) un buteur, c'est même son gros défaut. Une phrase de notre ami Vincent Duluc dans L'Equipe du 05/06 trahit à la fois sa surprise et son refus de reconnaître l'évidence: "14è but en 53 sélections, moyenne et score étonnant pour un buteur de sa discrétion". Avec ces stats (1 but pour 4 matches) on ne peut plus parler de discrétion, il faut commencer à réviser son jugement, non? Mais les a priori résistent à tout, et nombreux sont ceux qui ne voient que ce qu'ils croient… En l'occurrence, sur le plan des buts, il y a un gouffre entre les opinions sur Zidane et Djorkaeff, alors qu'en fait leurs bilans pourraient être comparés (l'un étant un buteur plus "discret" que l'autre?).
Ces exemples montrent quelles distorsions peuvent exister entre l'image et la réalité, entretenues par des journalistes qui ont pourtant les moyens de dénoncer les fausses vérités et de relativiser les stéréotypes. Il pourrait y avoir débat entre des spécialistes aux opinions opposées, mais non, tout ce monde ronronne et annone les mêmes vérités obligées. Au travail messieurs, grattez un peu le vernis, caressez dans le mauvais sens du poil, retournez la médaille, apportez la contradiction!