Ce que le football est devenu
Qu'est-il arrivé à notre sport préféré ces trente dernières années ? Une révolution qui n'a même pas été nommée, et dont un livre retrace l'histoire.
En filigrane de ce livre, un questionnement : pourquoi ce qui est arrivé au football durant les trente dernières années n'a fait l'objet de quasiment aucune analyse, aucun débat, aucune exposition médiatique, pourquoi les bouleversements qu'il a connus n'ont pas été reliés entre eux, reconnus comme un phénomène global ?
Pour le désigner, j'ai retenu l'expression "révolution libérale", cela aurait pu être "révolution élitiste" ou une autre appellation : peu importe le contenant, le contenu, lui, fait l'objet d'un consensus chez tous ceux - économistes du sport, institutions sportives et publiques, cabinets de consultants, etc. - qui ont étudié les métamorphoses du football professionnel.

Accompagnant la croissance phénoménale de l'économie du football, impulsée par l'augmentation des droits de diffusion, des mécanismes d'accroissement des inégalités économiques et sportives ont été méthodiquement empilés. Les uns, sinon "naturels", du moins logiques, les autres parfaitement artificiels, délibérés. Tous très puissants et, surtout, sans opposition consistante.
D'abord, justement, parce que le débat n'a jamais eu lieu. Ensuite parce que les pouvoirs sportifs et publics ont capitulé, ne leur opposant aucune politique de régulation suffisante. Enfin, parce que le football qui en est issu, outre qu'il génère des richesses qui profitent à presque tous ses acteurs, est puissamment séduisant et que son expansion se poursuit, malgré de criantes fragilités.
Il en a résulté une corrélation toujours plus étroite entre puissance économique et résultats sportifs, au mépris de l'équité qui devrait présider aux compétitions, et la formation d'une petite oligarchie de clubs. La suprématie politique, économique et sportive acquise par ceux-ci les a conduits au lancement d'une "Super Ligue" privée et fermée en avril 2021.
Si le fiasco de ce lancement et la large opposition qu'il a suscitée ont semblé indiquer le désaveu de ce football-là, rien n'a changé par la suite. La Super Ligue ne semble qu'ajournée et la fuite en avant se poursuit. Le football s'appartient de moins en moins, livré à des intérêts qui lui sont toujours plus étrangers, il devient de plus en plus une industrie du spectacle et de moins en moins... un sport.
C'est d'abord cette histoire jamais relatée dans sa globalité [1] que raconte Ce que le football est devenu, en rappelant ses prémisses, puis en reconstituant ses différentes étapes : transformation des clubs en "entreprises comme les autres", financiarisation qui dégénère dans le trading joueurs et la multipropriété, systèmes inégalitaires de répartition des ressources, formats de compétition à l'avantage des grands clubs, dérégulation du marché des footballeurs et autres dispositifs d'enrichissement des plus riches et de démantèlement de l'aléa sportif.
Le livre s'interroge aussi, pour tenter de répondre à la question posée en début de texte, sur les responsabilités - actives et passives - des différents acteurs : gouvernements du football qui ont cessé de le gouverner, sinon pour s'enrichir eux-mêmes ; représentants politiques qui ont cautionné l'opiumisation de ce sport et/ou le fustigent selon leur propre agenda ; intellectuels qui le méprisent ; médias spécialisés qui ont occulté, hors indignations sporadiques, sa dérive oligarchique.
Il est également question de cette prospérité paradoxale d'une industrie du football en état de crise permanente, des supporters utilisés comme cobayes des dispositifs de surveillance, de répression et de privation de libertés, de la gentrification des tribunes, de la corruption institutionnelle de la FIFA, de l'instrumentalisation géopolitique par des régimes indignes, et autres maux.
Enfin, parce qu'il faut combattre le fatalisme qui aura été le meilleur allié de ces évolutions, on s'interroge sur les conditions de possibilité d'un " autre football ", au travers des réformes dont il devrait être l'objet, des alternatives et contre-modèles qui peuvent être opposés au football libéralisé.
Car si ce livre poursuit un but, c'est d'abord celui de contribuer à lancer enfin un vrai débat sur le football et ses évolutions. À en faire enfin un objet politique, histoire d'avoir prise sur ce que le football deviendra.
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Ce que le football est devenu. Trois décennies de révolution libérale, éd. Divergences, 200 p., 15 euros. Sortie le 6 octobre.
Disponible dans toutes les excellentes librairies, commandable dans toutes les librairies, chez Divergences ou dans notre boutique.
Rencontres en librairie
11 octobre Le Monte-en-l'air, Paris 20 (avec Mickaël Correia)
14 octobre Nordest, Paris 10 (partycrashing Ciné illimité)
19 Octobre Chez Josette, Charleville-Mézières
8 novembre Albertine, Concarneau
9 novembre L'Angle Rouge, Douarnenez
10 novembre Libertalia, Montreuil (avec Nicolas Ksiss)
23 novembre La Cavale, Montpellier

[1] En France du moins, même si l'on n'a identifié qu'un seul ouvrage abordant le sujet, en Allemagne : Um jeden Preis. Die wahre Geschichte des modernen Fussballs von 1992 bis Heute de Christoph Biermann, Kiepenheuer & Witsch 2022.