Contre leur camp
Incapables de lire sa situation sportive, cédant au défaitisme, aux intrigues et aux réflexes imbéciles, les dirigeants de l'AS Saint-Étienne ont joué (et perdu) contre leur club.
Auteur : Pierre Martini
le 3 Mars 2008
La crise hivernale de l'AS Saint-Étienne, sans avoir le potentiel médiatique de ses équivalents à Paris ou Marseille, a tout de même bien occupé le Landerneau. Elle avait quelques ingrédients de choix: l'incompétence suspectée de l'entraîneur (ah, son coaching à Lens, qui a transformé tout auditeur de RMC en expert de la chose tactique), la campagne menée par le présentateur de France 2 Foot (certifiant à ses téléspectateurs cette même incompétence), les petites phrases plus ou moins codées des uns et des autres (Roussey en clair après la défaite à Strasbourg), une réunion de crise (qui a permis d'apprendre que Bruno Gaccio, déjà défenseur de la thèse du coup de bol pour la victoire de 1998, était aussi un partisan du limogeage d'entraîneur en cas de panne de résultats) et une "lutte des clans" à peu près illisible.
Il faut dire que la coprésidence – un système unique qui présente l'avantage de laisser la faute échoir à l'autre, dans l'incapacité des observateurs extérieurs à démêler les responsabilités – s'est très bien prêté à l'agitation. En l'occurrence, pour analyser la situation en évitant de passer par la case "décryptage des intrigues de palais", rien ne sert de savoir qui a la palme de l'intrigue et qui celle de la bêtise... Le constat des résultats suffit.
Souviens-toi, l'été dernier
Dans un milieu aussi amnésique que celui du football, il peut sembler impensable de remonter le temps de quelques mois. C'est pourtant à l'intersaison que les dirigeants stéphanois ont assumé le net renouvellement de l'équipe – impliquant les départs de joueurs cadres, comme Hognon, Camara, Ilunga ou Sablé – en affichant fièrement leur projet: la construction d'une équipe autour de jeunes prometteurs, à échéance de plusieurs saisons, en privilégiant un football offensif de nature à satisfaire l'exigeant public de Geoffroy-Guichard. Laurent Roussey était l'homme idoine auquel étaient confiées les clés de ce programme.
L'objectif ne pouvait donc décemment pas être de court terme, puisqu'il s'agissait d'amener à maturité des joueurs prometteurs en les encadrant par des footballeurs d'expérience. Et il impliquait une prise de risque: avec des "espoirs", une certaine irrégularité était à craindre, voire des difficultés à gérer des situations délicates, sur le terrain ou en dehors. La saison stéphanoise a confirmé ces craintes: si Dabo ou Sall se sont épanouis, certains éléments ont patiné (Payet, Matuidi) ou déçu (Guarin, Gigliotti), d'autres ont peiné à confirmer (Gomis) ou à retrouver leur niveau théorique (Perrin). La faiblesse des résultats à l'extérieur étaye aussi la thèse d'un manque de maturité.
La crise, quelle crise ?
Les dirigeants et les suiveurs des Verts ne connaissent peut-être pas le classement en relief des Cahiers. Dommage, car il aurait permis de relativiser leur alarme en constatant que l'équipe n'a jamais été décrochée, dans une compétition fortement resserrée. Ils auraient également pu se rassurer en regardant de plus près les rencontres de leur équipe. On l'a ainsi souvent vue peiner à concrétiser au tableau d'affichage une supériorité technique souvent manifeste, au terme de ce que l'on peut appeler, au sens originel, des contre-performances: des défaites contre moins fort que soi.
La vraie débâcle de Strasbourg (3-0) n'avait pas, non plus, marqué une dégradation inquiétante des performances: bien que défaits à Bordeaux deux semaines plus tôt, puis mis en échec dans les dernières minutes du derby, les Stéphanois avaient à ces deux occasions affiché une intéressante qualité de jeu. Bref, d'évidence et sans minimiser les risques d'une déliquescence en fin de saison, les Verts ont toujours montré qu'ils avaient largement les moyens de s'en sortir – là où d'autres "concurrents pour le maintien" manifestaient une tout autre impuissance. Pourtant, Roussey n'a sauvé sa tête qu'à la faveur de deux victoires providentielles à Geoffroy-Guichard, le 19 janvier contre Rennes (2-0) et le 16 février contre Nancy (4-0).
La politique du pire
Évidemment, ce qu'il allait éviter dans un tel contexte, c'était d'accréditer la crise et de s'agiter en coulisses pour fragiliser l'entraîneur et un groupe jeune, donc potentiellement plus fragile (1). Un contrat parfaitement rempli, mais qui semble en passe d'échouer en dépit des efforts fournis. Peut-être parce que, contrairement au scénario usuel, cette "crise" a finalement raffermi la solidarité entre les joueurs et l'entraîneur, au lieu de miner l'autorité de ce dernier (2). Les hommages rendus par les premiers au second vont dans ce sens, et contribuent à renforcer le ridicule de dirigeants qui ont objectivement joué contre leur camp et se trouvent aujourd'hui contraints de surjouer leur affection pour Lolo après lui avoir miné le terrain (3). Et même si l'équipe s'est durablement remise sur les bons rails sportifs, la confiance n'est-elle pas durablement compromise entre Laurent Roussey et ses employeurs?
Avant la défaite à Strasbourg, Bernard Caïazzo avait assuré que c'en serait fini de la présidence bicéphale la saison prochaine, et que le club opterait pour un organigramme à l'anglaise comportant à son sommet un "directeur général technique et un directeur général gestion" (4)... Ce qui promet de nouvelles spéculations sur les attributaires de ces postes et un peu plus d'incertitudes sur le projet sportif.
Au lieu de réaliser quelque exploit cette saison, pour saluer notre numéro spécial d'octobre, les Verts n'ont fait que confirmer un des diagnostics alors établi: en bon "grand club" certifié à la française, l'ASSE n'a que des souvenirs et de pauvres intrigues pour faire diversion à son éclipse sportive.
(1) N'ignorons pas le rôle d'associations de supporters qui ont multiplié les banderoles assassines, d'abord en fustigeant les dirigeants ("Coprésidents: on peut changer de fusibles tous les ans, mais le court-circuit c’est vous!") avant de se retourner aussi contre l'entraîneur ("Roussey, Da Fonseca, vous êtes égaux dans la médiocrité, cassez-vous"), leur "grève" des encouragements survenant... à l'occasion du 4-0 infligé à Nancy.
(2) On avait justement reproché à Roussey et à son allié Philippe Lyonnet (directeur de la communication et coordinateur sportif) d'avoir "bunkerisé" le groupe pro en le coupant du reste du club. Ils avaient peut-être quelques motifs pour le faire.
(3) Les observateurs font de Roland Romeyer un soutien de Roussey, tandis que Bernard Caïazzo, peut-être pour renforcer les doutes sur sa compétence, aurait une nouvelle fois pressenti Luis Fernandez pour reprendre l'équipe. Tant qu'à embaucher un animateur de radio populiste, autant prendre Jean-Jacques Bourdin.
(4) Il avait aussi été question de la nomination d'un "directeur sportif" en janvier. Bruno Gaccio, en tant qu'actionnaire minoritaire, a été chargé d'un audit sur la communication déficiente du club.
Une pensée pour Piquionne
Il y a un peu plus d'un an, l'affaire Piquionne défrayait la chronique: envoûté par de supposées velléités de recrutement de la part de l'OL, l'attaquant – auteur d'une excellente demi-saison – entrait en conflit ouvert avec des dirigeants qui montraient alors leur grande difficulté à gérer des situations sensibles. Finalement, le joueur ne partait "qu'à" Monaco, tandis que son ancien club, en dépit des bonnes performances de son successeur Bafetimbi Gomis, s'embourbait dans une fin de saison déliquescente.
La trajectoire de l'ex-Rennais, elle, s'est également infléchie, avec un bilan plutôt terne (1) dans une équipe incapable de sortir d'un marasme ancien en dépit de l'arrivée de Ricardo. Rien de déshonorant, mais on ne peut pas s'empêcher de penser que s'il avait privilégié la logique sportive en restant au moins six mois de plus dans le club qui l'avait amené au niveau d'international, le bénéfice aurait été réciproque. Au lieu de quoi, le choix du psychodrame et l'opportunité offerte par cette aberration sportive qu'est le mercato d'hiver ont conduit Piquionne au seul accomplissement d'un bon contrat sur le Rocher. On parierait volontiers que plus aucun club du standing de l'OL ne lui fera désormais la moindre offre.
(1) 7 buts en 27 matches tout de même, mais une influence limitée, loin de son rayonnement stéphanois.