Coupes : des tirages arrangeants
Le tirage au sort des demi-finales des coupes de France et de la Ligue arrange les grands clubs avec une régularité troublante. Petite étude complotiste.
Cet article ne s’adresse qu’à deux types de lecteurs : les mathématiciens friands de probabilités improbables (parmi lesquels nous trouverons peut-être quelques parieurs attirés par l’appât du gain) et les amateurs de théories du complot. D’ailleurs, la qualification d’article est peut-être exagérée… un article n’est-il pas théoriquement –mais dans le champ sportif on s’en écarte souvent – censé traiter d’informations vérifiées, recoupées, et traitées sous un angle choisi par son auteur? Bref, cet article, que nous appellerons ainsi faute de mieux, ne traite que de suppositions qui ne contredisent pas forcément les faits.
Suppositions scabreuses
Supposons en premier lieu que les organisateurs des deux principales coupes nationales (la FFF pour la Coupe de France, et la LFP pour la Coupe de la Ligue) aient un intérêt à ce que les plus gros clubs du championnat accèdent aux derniers stades de la compétition, et en premier lieu à la finale, pour confirmer l’intérêt sportif de l’événement, et acceptent pour ce faire un bienveillant arrangement du destin.
Supposons dans le même temps que ces dits clubs "importants", eux-mêmes inscrits dans un nombre probablement excessif de compétitions nationales et continentales, aient un intérêt évident à s’épargner certains tirages au sort fâcheux et ardus au moment d’entrer dans la phase décisive de ces mêmes compétitions, et décident de laisser là aussi les choses s’arranger.
Supposons enfin que les diffuseurs de ces compétitions, préoccupés, on les comprend, par la rentabilité de leur investissement, aient intérêt à ce que les finales proposent les affiches les plus prestigieuses possibles de façon à attirer un maximum de téléspectateurs, et pensent eux aussi que le hasard, somme toute, est finalement bien hasardeux…
Supposons qu’au final, tout le monde y trouve son compte. Et ce d’autant que la victoire en coupe nationale vaut qualification pour la Coupe de l’UEFA l’année suivante, et que personne, vraiment personne, parmi ces différents interlocuteurs ne voit d’intérêt à y envoyer, au hasard, Châteauroux ou Gueugnon, tant les compétitions européennes jouent désormais, et de façon assumée, le rôle de révélateurs des niveaux relatifs des différents championnats nationaux.
Demies démêlées
Tout cela n’est donc que pures conjectures, certes, mais conjectures parlantes quand on les met en parallèle avec les tirages au sort des demi-finales de ces compétitions ces dernières années. Prenons la Coupe de France. En 2004, les demies opposent Nantes au PSG et Châteauroux à Dijon, alors en National. En finale, Paris remporte le match 1-0 mais comme Paris est déjà qualifié pour la Ligue des champions, Châteauroux est reversé en UEFA… pour y accomplir un parcours calamiteux. [1] À partir de cette année précisément, TOUS les tirages au sort des demies, soit sept tirages consécutifs, épargnent les gros clubs (en gras) et ménagent la possibilité d’un choc entre favoris en finale.
2012 : Quevilly (Nat.)-Rennes, Ajaccio GFCO (Nat.)-Lyon
2011 : Nice-Lille, Angers(L2)-Paris
2010 : Monaco-Lens, Quevilly (CFA)-Paris
2009 : Grenoble-Rennes, Toulouse-Guingamp(L2)
2008 : Amiens(L2)-Paris, Lyon-Sedan (L2)
2007 : FC Montceau Bourgogne- FC Sochaux (L1), Marseille-Nantes [2]
2006 : Nantes-Paris, Marseille-Rennes
2005 : Auxerre-Nimes (Nat.), Monaco-Sedan (L2)
Pure supposition, et simple histoire de probabilités, bien sûr. Tous les éléments qui tendraient à prouver le contraire restent extrêmement douteux (comme la suspicion qui entoure le tirage des demies de 2008, que l’on peut regarder ici), mais, tout de même, cette statistique étonnante devient vraiment à s’en raser les moustaches si l’on rajoute ce qu’il en est de l’autre coupe nationale.
Commander les demies
En ce qui concerne la Coupe de la Ligue, en effet, on est dans un autre contexte: celui d’une compétition récente et souvent décriée, qui a plusieurs fois changé de modes de tirages au sort (via des systèmes de têtes de séries et d’exemptions), toujours dans le but de favoriser les gros clubs qui, en définitive, en sont les organisateurs. Depuis la création de cette épreuve, en 1994, la Ligue a en effet décidé de procéder au tirage au sort en une seule fois d’un tableau éliminatoire qui, comme dans les phases finales de Coupe du monde, est ensuite soumis jusqu’à la finale à l’aléa plus décisif encore de la compétition sportive.
C’était du moins le cas jusqu’en 2009, où, dans le contexte d’un lendemain de renouvellement de droits TV particulièrement ardu (vente en dessous du prix de réserve, après de sérieuses menaces sur la pérennité de la compétition), le tableau éliminatoire débouche sur des demi-finales Paris-Bordeaux et Vannes-Nice… Bordeaux, champion de France cette année-là, bat le PSG, puis Vannes au terme d’une finale à sens unique (4-0), épilogue peu reluisant d’une compétition qui attire de plus en plus de critiques [3].
C’est alors que, dans son règlement pour la saison 2009-2010, la Ligue annonce qu’elle procédera désormais par un tirage au sort intégral à chaque tour de compétition, à l’image de ce qui est fait pour la Coupe de France (télécharger le règlement ici). Et depuis, le hasard frappe à nouveau, et toujours dans le bon sens.
2010 : Toulouse-Marseille, Lorient-Bordeaux
2011 : Montpellier-Paris, Auxerre-Marseille
2012 : Lorient-Lyon, Marseille-Nice
Bref, à chaque fois, la possibilité de l’affiche de prestige entre les deux favoris est gardée intacte, à l’image de l’alléchant "Olympico" Lyon-Marseille, selon l’expression consacrée par les besoins de la cause… télévisuelle, qui se profile en mai prochain.
Lorsque l’on intègre les archives des demi-finales des deux coupes, cela fait en tout onze tirages au sort où à chaque fois, les deux plus gros clubs s’évitent (soit environ 1,1% de chance). Mercredi dernier, le tirage des demies de la Coupe de France n’a pas dérogé à la tradition et il échoit à Lyon et Rennes de battre les "petits". Les télés seront allumées, et les demis déjà commandés.
[1] Élimination au 1er tour par le FC Bruges, 1-6 sur les deux rencontres.
[2] Année de la première descente de Nantes en L2, Sochaux fait en revanche une excellente saison cette année là.
[3] Parmi lesquelles celle d'un abaissement du niveau des vainqueurs des deux coupes (lire "La coupe sombre").