Dans un monde sans transferts...
Il y a douze ans, dans un univers parallèle, une action en justice de Marc Planus met fin à la possibilité pour les joueurs de changer de club. La hiérarchie du football en sort complètement bouleversée.
31 août 2003. L'histoire est connue. À quelques heures de la fin du mercato, les dirigeants des Girondins de Bordeaux trouvent un accord avec le FC Abingdon Town pour la vente de Marc Planus. Mais le jeune international espoir ne l'entend malheureusement pas de cette oreille (réticente à l'idée de s'immiscer sur les terres de Radiohead?). Il entame alors une action en justice contre son club, dans laquelle il dénonce la mainmise des dirigeants sur des joueurs considérés comme de simples marchandises. Pour Marc Planus, qui voulait surtout couler des jours heureux sur les bords de la Garonne et, à terme, passer pour le typique mec sympa attaché à son club de cœur, les conséquences de sa plainte sont inattendues. Certes, la Cour de justice de l'Union européenne invalide son départ dans l'Oxfordshire, mais ce sont même – sauf cas de force majeur – l'ensemble des transactions de joueurs qui deviennent illégales à cette date: le premier contrat professionnel d'un joueur est désormais irrévocable et définitif. C'est l'arrêt Planus.
"Je l'aurais bien vu dans un autre championnat"
On ne saura jamais ce que seraient devenus Anthony Le Tallec (410 matches, 75 buts) et Florent Sinama Pongolle (une sélection en bleu) dans un club plus huppé que Le Havre. On se souvient que les deux attaquants normands étaient très courtisés au début des années 2000, fraîchement auréolés de leur titre de champions du monde des moins de 17 ans. On les voyait déjà dans les meilleurs clubs d'Europe avant que l'arrêt Planus ne tombe. "Je crois bien que Gérard Houllier était à deux doigts de les faire signer à Liverpool. Avec leur talent, ils auraient facilement percé en Premier League", nous confie un peu amer Christophe Josse (journaliste pour Foot 3). Douze ans et une carrière en demi-teinte plus tard, on peut évidemment nourrir quelques regrets pour ces deux grands anciens espoirs du football français. Avec Guillaume Hoarau ils ont su former au Havre un trio solide qui se qualifie fréquemment pour la Ligue Europa... mais voilà, à quelques semaines près, ils se seraient sans doute bâti un palmarès bien plus important.
De manière générale, de très bons joueurs révélés dans des clubs modestes, et dont la carrière semble bouchée, sont aujourd'hui légion dans les deux premières divisions françaises. Peut-on dire que Ribéry, Koscielny, Giroud ou Matuidi sont à leur place à Metz, Guingamp, Grenoble et Troyes, où ils stagnent depuis maintenant une dizaine d'années? Il est permis d'en douter. On ne s'en plaindra cependant pas trop, l'arrêt Planus semblant avoir été plutôt bénéfique aux championnats un peu en perte de vitesse après la massive fuite de joueurs issue du non moins célèbre arrêt Bosman, comme c'était le cas en France. Côté spectateurs, on a ainsi pu constater ici une forte hausse des abonnements au détriment de la vente de maillots: "Une semaine sur deux je traverse la frontière pour aller admirer Ribéry et Pjanic à Saint-Symphorien, nous confie Andreas, un habitant de Rhénanie. Par contre je ne vais pas m'amuser à acheter un nouveau maillot d'Obraniak chaque saison sous prétexte que le sponsor a changé."
L'amour du maillot, toujours d'actualité?
On peut d'ailleurs se demander si cette ancienne lubie des supporters, l'amour du maillot, a encore un sens aujourd'hui. Certains joueurs argueront que oui; Romain Danzé à Rennes ou Nicolas Seube à Caen, pour ne citer qu'eux. D'autres, sans les nommer, semblent pourtant jouer au football sans manifester un réel intérêt pour leur club. "Je me souviens, en 2004, quand Fiorèse humilie Barthez au Vélodrome d'un magnifique coup du sombrero, avance vers le but vide puis laisse le ballon mourir sur la ligne. C'était clairement une provocation pour nous faire comprendre qu'il en avait rien à foutre de Paris et qu'il voulait venir à l'OM", se rappelle avec amusement José Anigo.
Aujourd'hui la LFP tente de sanctionner ce genre de comportements réfractaires, et les joueurs, bon gré mal gré, rentrent dans le rang. Dernièrement, la venue de la maman d'Adrien Rabiot au Camp des Loges pour distribuer des chocolats à l'ensemble du staff et les remercier de la bonne intégration de son fils dans l'effectif parisien (33 matches la saison passée) est révélatrice de ce climat qui s'apaise entre clubs et joueurs. On notera que la France n'est de surcroît pas une fatalité pour nos espoirs éclos très tôt. Paul Pogba ou Antoine Griezmann ont fait le choix de l'étranger, ce qui semble plutôt bien leur réussir pour l'instant.
Les cartes redistribuées en Europe
On l'aura compris: de nos jours, les clés du succès sont un excellent centre de formation et un bon recruteur dans les divisions amateur*. Bien sûr que cela nous attriste de voir le Real Madrid ou Arsenal condamnés à faire l'ascenseur faute de générations de joueurs toujours performantes, mais le dicton "le malheur des uns fait le bonheur des autres" est aussi valable pour le football. Et ce ne sont pas les deux dernières finales européennes qui vont nous démentir avec la présence de clubs inhabituels à ce niveau de la compétition. Pour rappel, en Ligue Europa, le Sporting Portugal s'était imposé 5-4 face à Everton (C. Ronaldo: 1', 3', 89', 90'+2, 90'+7 ; Rooney: 2', 4', 90', 90'+5). Quant à la Ligue des champions, c'est le club italien de Pescara qui y a été sacré – pour sa première participation! – face au KRC Genk de Kevin De Bruyne et Thibaut Courtois. Pour le coup, même sans l'arrêt Planus, nous n'aurions sûrement pas été capables d'imaginer un tel scénario de consécration précoce pour l'incroyable Marco Verratti. Un vainqueur surprise qui aura amené un vent de fraîcheur bienvenu au palmarès de la coupe aux grandes oreilles, et un exemple que seraient bien avisés de suivre les clubs français s'ils veulent un jour offrir un successeur à l'Olympique de Marseille (ah cette finale perdue il y a deux ans par le RC Lens de Kondogbia et Varane, on en tremble encore!).
En France justement, Lyon, grande victime de l'arrêt Planus, semble armé pour conquérir son premier titre depuis 2003 sur la scène hexagonale grâce une génération Lacazette/Fékir arrivée à maturité. Mais ça serait sans compter le champion sortant parisien, qui devrait encore être dans la course cette année: "Je crois que bon il faut espérer que notre trio offensif Jean-Eudes, Jean-Christophe et Jean-Kévin sera aussi prolifique que par le passé... Et tout dépendra aussi de la capacité de Clément [Chantôme] à tenir le rythme sur toute la saison. On sait qu'il est en grande forme puisqu'il vient d'être élu meilleur espoir du championnat pour la neuvième fois consécutive", nous expliquait l'entraîneur du PSG, Laurent Blanc. D'autant que de son côté, l'Olympique lyonnais aurait émis quelques doutes au sujet de la motivation actuelle de Karim Benzema, visiblement mal remis de sa courte idylle avec la chanteuse Shy'm. Malgré tout, à la question de Vincent Duluc dans L’Équipe, "Benzema parti pour rester?", nous serions quand même tentés de répondre par l'affirmative.
*On ne tarira d'ailleurs jamais assez d'éloges à propos de cette belle initiative de l'UEFA qui a tenu à financer la reconversion professionnelle des agents de joueurs (métier devenu obsolète avec l'arrêt Planus) en superviseurs de jeunes talents.