Fair-play financier : une efficacité piégée
Le système de régulation financière de l'UEFA divise ses commentateurs entre "pro" et "anti". La synthèse de leurs arguments montre que si le FPF limite bien les dérives, il ferme aussi à double tour les portes de l'élite économique.
L’Association européenne des clubs (ECA) s’est récemment prononcée en faveur du maintien en l’état du fair-play financier de l'UEFA par la voix de son président Karl-Heinz Rummenigge. Pourtant, l’écrasante majorité des économistes et consultants pointent du doigt ses méfaits sur l’état du football européen, sans jamais rentrer dans les détails. Pour comprendre l’importance du FPF et l’origine de chaque opinion, il faut donc tenter d’analyser ces deux positions contraires en exposant leurs arguments respectifs.
Si la règle de base du FPF est l’équilibre entre les dépenses et les recettes "déterminantes" dont la liste est établie limitativement par l’UEFA (lire "Fair-play financier: la frappe cadrée de l'UEFA"), son aspect central réside plutôt dans l’absence des contributions d’actionnaire de cette dernière. Le raisonnement est à la fois simple et essentiel: comme il est interdit qu’une contribution d’actionnaire finance une dépense relative à l’équipe première (achats de joueurs et masse salariale le plus souvent), alors il est totalement inutile de considérer la fortune de l’actionnaire de tel ou tel club dans l’analyse que l’on fait de son économie. C’est sur cette interdiction que repose la volonté de l’UEFA d'interdire le "mécénat" dans le football européen. À cet égard, le FPF est d’une grande efficacité. Un exemple simple permet d’illustrer ce qu'il entend (et parvient à) combattre.
Obligation de développement, "protection" contre les actionnaires
Prenons comme hypothèse le rachat d’un club de moitié de tableau de L1 par une grande fortune qui entend renforcer lourdement l’équipe pour parvenir rapidement à des résultats. Sans FPF, le club présenterait à la DCNG un budget qui inclurait des contributions d’actionnaire permettant de financer l’augmentation des dépenses du club en transfert et en masse salariale. Budget qui serait validé par l’instance. Il est très vraisemblable qu’au terme des deux saisons suivant le rachat, le club n’aura pas vu ses revenus augmenter aussi rapidement que ses dépenses, ce qui le placerait dans une situation de dépendance totale vis à vis de son actionnaire. Sans ce dernier, le budget ne pourrait être équilibré.
Imaginons maintenant que pour la troisième saison, l’actionnaire du club ne souhaite plus, ou ne soit plus en capacité d’apporter les fonds permettant au club de présenter des comptes à l’équilibre. Le club ne générant pas assez de revenus pour financer sa masse salariale (fortement augmentée depuis deux saisons), la continuité de l’exploitation du club serait dès lors en péril et l’on se trouverait dans la même situation que celle que redoute le RC Lens. Si les difficultés poussent la DNCG à rétrograder le club en division inférieure, l’actionnaire laisse ainsi le club dans une situation catastrophique.
Si l’on reprend la même hypothèse mais avec le FPF, le scénario catastrophe précité n’est pas envisageable puisque le nouvel actionnariat du club ne pourra investir que dans le développement du centre de formation et/ou d’un stade. En effet, il sait que si le club se qualifie pour une compétition européenne à laquelle il entend participer lors des prochaines saisons, ce dernier devra présenter des comptes respectant la règle de l’équilibre financier. Ainsi, les dépenses qui rendent le club dépendant de son actionnariat sont prohibées, à savoir celles faites en transferts ou masse salariale et financées par des contributions d’actionnaires. Si l’actionnaire voulait se retirer, la continuité de l’exploitation du club ne serait en aucun cas remise en cause.
La régulation introduite par le FPF accorde donc aux clubs une véritable "protection" vis à vis de leur actionnariat et renforce leur pérennité. Les objectifs du dispositif étant entre autres d’introduire plus de rationalité dans la gestion des clubs et de privilégier les investissements à long terme, on comprend qu’ils sont remplis. Les dépenses relatives au stade et au centre de formation ne figurant volontairement pas dans la liste des dépenses déterminantes, l’UEFA pose ainsi dans le FPF les bases d’un mode de développement qu’elle rend obligatoire: celui suivi par Arsenal.
Des barrières aux portes de l'élite économique
Le FPF est donc, malgré les critiques, tout à fait efficace de ce point de vue. Cependant, l'UEFA fait en quelque sorte abstraction du fait qu’Arsenal faisait déjà partie des clubs européens les plus riches avant de lancer son projet de développement basé sur son stade… L’UEFA part en effet du principe que l’augmentation des revenus – et par suite des dépenses – est la résultante de bons résultats sportifs (ce qui parait logique et souhaitable). Or de nombreux économistes ont établi l’existence d’une causalité rigoureusement inverse: c’est l’investissement préalable pour le renforcement de l’équipe première qui enclenche l’obtention de meilleurs résultats, qui ensuite engendreront une hausse des revenus. C’est sur ce constat que se fonde l’argumentaire des "anti FPF", que personne ne développe pour autant.
L’exemple du championnat anglais est à ce titre intéressant. On y remarque qu’entre 1994 et 2012, aucun club hors Big Four n’a remporté la Premier League. En 2008, Manchester City était racheté par des mécènes d’Abu Dhabi qui ont alors investi 695 millions d’euros dans le club entre 2008 et 2012, année du premier titre de "l’autre club de Manchester" depuis 1968. De là à dire que cette somme représente le prix à payer pour prétendre à remporter un championnat aussi concurrentiel que le championnat anglais, il y a un pas qu’il ne faut sans doute pas franchir. Mais on peut tout de même y voir une segmentation du marché du football européen, caractérisé par l’existence de "barrières à l’entrée". Ainsi, au sein d’un même championnat, les équipes appartiendraient à des catégories différentes – schématiquement, certaines jouant uniquement pour se maintenir, d’autres le milieu de tableau et les plus riches les premières places. Dans ce cadre, si un club moyen souhaite disputer durablement les premières places de son championnat, il apparaît avec les exemples de Manchester City et du PSG que la solution la plus sûre – la seule? – est d’investir massivement pour renforcer l’équipe.
Pour les "anti", l’impossibilité pour un club "moyen" de réaliser de tels investissements depuis la mise en place du FPF implique qu'il sera très difficile, pour une telle formation, de s'installer durablement dans l'élite de son championnat – et donc dans celle du football européen.
Condamnation à l'exploit
Si un club de milieu de tableau arrivait, par l’entremise de la glorieuse incertitude du sport, à remporter le championnat, le FPF rendrait quasiment impossible la réitération de tels résultats la saison suivante. Et ce à moins de réaliser des exploits permanents. Ce phénomène tient à l’augmentation de la masse salariale que le club doit consentir s’il veut conserver ses meilleurs éléments. Deux hypothèses sont dès lors envisageables: soit ils sont transférés, soit ils restent dans leur club en demandant une augmentation salariale. Dans le premier cas, s’ils sont transférés, les revenus en transfert doivent être intégralement réinvestis pour remplacer les joueurs partants et même dans ce cas, il est improbable que dès la première année, les nouveaux joueurs aient le même rendement que les anciens. Soit le club ne réinvestit pas en totalité les revenus issus des transferts et dans ce cas, il est encore plus improbable qu'il obtienne des résultats équivalents, la qualité de l’équipe diminuant nécessairement.
Dans l’autre cas, les revenus du club n’augmentent pas suffisamment d’une année sur l’autre pour compenser l’augmentation de la masse salariale qu’il devrait consentir pour conserver ses meilleurs éléments. De plus, l'augmentation des salaires est risquée car elle grève les comptes des clubs pour plusieurs années. Le plus souvent donc, le club n’a pas le choix et se trouve dans une situation mixte, augmentant certains salaires et cédant certains joueurs. C’est exactement la situation observée au Montpellier HSC en 2012 après sa première place en championnat de France. Le club ayant financé les dépenses de la saison suivante uniquement par les revenus générés – conformément aux principes du FPF –, il n’a pas tenu sa position la saison suivante. L’incertitude du sport a permis à Montpellier de s’inviter une année dans le haut de tableau, le manque d’investissement l’a empêché de s'installer dans le segment supérieur de notre L1.
On le voit, malgré la noblesse des objectifs poursuivis par l’UEFA et l’atteinte de ces objectifs, il est improbable que les effets du FPF sur le football européen soient globalement bénéfiques. L’équilibre financier voulu par l’UEFA, ne prenant pas en compte les investissements d’actionnaire pour l’équipe première, ne laisse pas d'autre voie aux clubs moyens, sans investissement initial massif, que celui d'accomplir des exploits sportifs plusieurs saisons de suite. Le Fair-play financier, en renforçant les "barrières à l’entrée" de l'élite économique, ne propose en définitive qu'une régulation partielle, sans restaurer une réelle équité sportive.
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