Faut-il dire : "Qu’ils la fassent, leur Super Ligue !" ?
Minichro – La ligue européenne fermée est (enfin) lancée. Beaucoup veulent envoyer ses instigateurs au diable, mais c'est tout le football qui risque l'enfer.
La minichronique pose une question, elle n'y répond pas toujours et, à la fin, elle en pose une autre.
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Cette fois, c'est la "bonne", la vraie sécession dans cette Super Ligue fermée? Le coup de force dévoilé par le New York Times puis confirmé par ses instigateurs a suscité, dès dimanche après-midi, une vague de protestations, des menaces de l'UEFA et de plusieurs fédérations nationales, des avertissements gouvernementaux.
Si c'était un ballon d'essai, il est réduit en charpie. Si c'est un nouveau chantage, on le saura vite. Si c'est le franchissement du Rubicon, les "12" ne peuvent pas ignorer qu'ils vont essuyer une vaste colère. Déjà on entend qu'ils n'ont qu'à la faire, leur ligue fermée, et nous laisser avec le vrai football.
Il y a dans cette injonction une saine colère, mais aussi le postulat risqué qu'une Super ligue fermée est vouée au désaveu et à l'échec. Les spectateurs s'en désintéresseraient, soit pour protester, soit parce que la compétition perdra tout intérêt. Dans ce scénario, les financeurs et les diffuseurs de la compétition feraient banqueroute. Séduisant, mais candide.
C’est adopter une position dont on n’est plus du tout sûr qu’elle soit majoritaire, ni même qu’elle compte encore: celle des supporters et des passionnés attachés à l’incertitude sportive, aux compétitions historiques, au principe de promotion-relégation, à l’enracinement des clubs.
Les putschistes savent qu’ils vont s’aliéner cette frange-là du public, mais aussi qu’ils peuvent raisonnablement compter sur une masse de consommateurs bien plus vaste, mondialisée, jeune et déjà acquise au grand spectacle du football des hyperclubs et des superjoueurs, prête pour la Super League. Et puis, quel média sportif, quel diffuseur y renoncera au nom de ses principes?
Car malheureusement, ce football s’est déjà imposé, à coups de réformes successives de la Ligue des champions, de dérégulations, de mécanismes inégalitaires, de capitulations de la FIFA et de l'UEFA, d'indifférence des pouvoirs publics, de démission des médias sportifs. La scission des clubs les plus riches était un fait accompli bien avant cette officialisation.
La Super Ligue arrive sur orbite, mais elle a été lancée il y a longtemps, la bataille gagnée a été sans avoir à combattre. Le marché est prêt, estiment les putschistes, qui pourraient s’étonner: "On annonce l'OPA hostile finale durant des années, et c'est seulement quand elle a lieu que vous protestez?"
Alors, faut-il "qu'ils la fassent, leur Super League"? Faut-il croire qu'on sera heureux avec un football déchiré entre l'élite et les autres, penser que la Ligue des champions et les ligues nationales ne seront pas perdantes, que tout ne sera pas dévalué, que le football ne sera pas encore plus abimé?
Il faut plutôt que les "12" ne parviennent pas à faire leur Super Ligue. Qu'elle soit balayée par un mouvement de protestation populaire, par un désaveu actif des autorités nationales et européennes, par un sursaut politique au sein des médias spécialisés et par une totale fermeté de l'UEFA. Ce n'est pas impossible, mais ce serait inédit sur toute la ligne.
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