Chargés à bloc
La grève de Geoffroy-Guichard a scandalisé. L'action des supporters stéphanois a été jugée tellement immorale qu'on n'a pas eu le droit d'en connaître les raisons.
Le match Saint-Étienne-Bordeaux de vendredi dernier n’a pas été très réjouissant sur le terrain et, plus étonnamment, l’a encore moins été dans le tribune. La façon dont ce mouvement a été accueilli en dit assez long sur l’état du supportariat en France.
L'affaire du bloc 34
L’ASSE, en raison de divers incidents provoqués par ses supporters la saison dernière (match contre l’OL à domicile, déplacement à Annecy pour le match face à ETG), a écopé de deux matches à huis clos avec sursis. Lors du déplacement à Lyon, le 28 avril dernier, de nouveaux incidents ont eu lieu avec jets de fumigènes entre kops stéphanois et lyonnais. Sachant le risque de huis clos encouru par le club, Roland Romeyer donne des gages à la LFP en fermant immédiatement, et jusqu’à la fin de la saison, le bloc 34 de la tribune Henri-Point. C’est là que résident, pendant les travaux de la tribune sud, les Green Angels – groupe dont certains membres seraient responsables des faits reprochés à Gerland.
À la suite de cette décision, les Green Angels décident de se mettre en sommeil jusqu’à nouvel ordre, comme ils l’expliquent sur leur compte Facebook. Les Magic Fans, dont la rumeur évoquait une dissolution administrative il y a quelques mois, choisissent, probablement par solidarité, mais aussi pour réagir aux nombreuses difficultés auxquels ils font face dans leur vie de supporter, de ne pas animer le stade lors du match contre Bordeaux. Un supporter explique très bien, ici, les raisons et les difficultés de ce choix. Le message montre que les supporters comprennent que la situation est complexe. Chaque partie a dû prendre des décisions difficiles et, apparemment, on en est conscient chez les Magic Fans.
De la responsabilité et des sanctions
Un des principaux problèmes soulevé est celui des responsabilités et des sanctions. Les clubs sont tenus pour responsables des agissements de leurs supporters. En retour, les clubs tendent à adopter la même attitude vis-à-vis de leurs groupes de supporters en leur demandant de faire la police parmi leurs rangs ou de tenir leurs troupes. C’est donc le principe de la sanction collective qui prévaut. Un principe qui mérite probablement d'être questionné puisque, apparemment, il suffit d’une poignée d’individus en déplacement pour déclencher huis clos, suspension de terrain ou fermeture de bloc. Conséquemment, et bien que Roland Romeyer dise avoir fermé le bloc pour éviter que tous les spectateurs du stade le soient, ce sont des milliers de personnes qui sont sanctionnées...
On peut se demander pourquoi c'est la responsabilité d'un groupe qui est mise en cause, et non celle des individus concernés. Mais aussi, comment l’implication des Green Angels a été prouvée et si le choix de leur faire porter la responsabilité n’est pas un calcul de la part de la direction du club – qui aurait eu plus de mal à assumer la fermeture de la tribune accueillant les Magic Fans (et 10.000 personnes). Ceci en tête, on comprend mieux l’amertume des Green Angels qui, à défaut d’un soutien marqué, auraient pu espérer que le club qu’ils ont supporté dans les pires moments ne les pointe pas du doigt. On peut comprendre aussi que les Magic Fans soient inquiets et réagissent avant de se retrouver eux aussi entre le marteau et l’enclume.
Pas de fumis sans feu
Point de discorde depuis de nombreuses années – et raison majeure du sursis de Geoffroy-Guichard –, les fumigènes semblent être le symbole de la schizophrénie (ou de l'hypocrisie?) générale. Leur introduction systématique dans les stades malgré des fouilles draconiennes laisse songeur. Le choix des diffuseurs de les montrer en direct ou dans des bandes-annonces de match pour illustrer l’ambiance bouillonnante match, suivi d’une dénonciation sur les plateaux de leur dangerosité, est également paradoxal. Les groupes de supporters ne dépareillent pas dans le tableau puisqu’ils revendiquent depuis des années une utilisation contrôlée de ces engins pyrotechniques dans les stades, mais semblent incapables de les confier à des personnes qui ne les lanceront pas dans la tribune adverse. De la part de la LFP, la guerre aux fumis ressemble surtout à un prétexte pour harceler les ultras en mettant la pression sur les clubs au travers des amendes.
Deux semaines avant cette grève, la finale de la Coupe de la ligue n’avait pas manqué d'être saluée par les commentateurs, qui ont enfin pu voir un Stade de France avec une belle ambiance. Les quelques fumigènes craqués à cette occasion (des deux côtés) n’avaient d’ailleurs pas choqué grand monde. Les observateur les plus attentifs se sont cependant étonnés de l’absence des bâches des groupes ultras, et encore plus de celle d'un tifo pour la première finale du club en plus de trente ans, alors que presque chaque match à Geoffroy-Guichard est l’occasion d’en voir un. Les groupes stéphanois y avaient, en fait, renoncé en raison des difficultés logistiques imposées par l’organisateur. Les médias censément spécialisés n’ont rien remarqué.
Indéfendables ou indéfendus ?
Vendredi soir, Christophe Josse s’est plaint en direct d'être privé de l’ambiance de Geoffroy-Guichard, laissant ainsi entendre que c'était un dû. Il n’a en revanche évoqué que vaguement les raisons de la grève: “des incidents à Lyon”, “des supporters mécontents”, avant d’apporter quelques précisions sur la décision de fermeture d’une partie de tribune. Il ne s'agissait pas de savoir quels pouvaient bien être les griefs des supporters, mais si les encouragements reprendraient pendant la seconde mi-temps. Tout a été fait pour laisser au téléspectateur le sentiment que le kop nord s’était lancé dans une manifestation pour des motifs nébuleux, voire puérils.
Le commentateur de beIN a aussi condamné de façon obsessionnelle, durant toute la retransmission, un mouvement qui pénalisait l'équipe "au plus mauvais moment" (il n'a pas été précisé quel pouvait être le "bon moment" [1]). Les supporters se sont vus ainsi reprocher d'avoir nui à leur équipe, l'histoire s'étant poursuivie avec la réaction critique de Christophe Galtier et l'écho du désarroi des joueurs. Il y avait pourtant 24.000 spectateurs non membres des Magic Fans ou des Green Angels dans le stade n’était-ce pas suffisant pour assurer l’ambiance? Il faudrait surtout que les experts en communication expliquent quelle stratégie les Ultras devraient suivre pour se faire entendre dans un milieu où leur parole est soigneusement étouffée (quand ce n'est pas leur présence qui est progressivement interdite).
Supporters d'agrément
Parmi les réflexions entendues, celle proscrivant le silence est probablement la plus ahurissante. Et la plus ironique. Comment peut-on ne pas écouter le point de vue d’un groupe, ne pas connaître ses revendications et se plaindre de son silence? Au moment même où ils font reconnaître leur importance – qu'attestent la déploration de l'ambiance et l'effet supposé sur le résultat – les supporters doivent rester inaudibles en plus d'être stigmatisés. Qui a recueilli l’opinion des abonnés privés de stade jusqu’à la fin de saison à la suite de la fermeture du bloc 34? Qui s’est fait l’écho des comportements policiers douteux lors du déplacement des fans verts à Reims? Qui parle des supporters parisiens interdits de stade pour avoir manifesté pacifiquement? Des billets commandés sur Internet et annulés à la suite ce qui ressemble à des identifications illégales? Des interdictions de déplacement contraires au droit européen? Des milles tracasseries auxquels font face ces groupes? [2]
Hostilité aux actions, indifférence aux revendications: cet épisode illustre parfaitement une conception des supporters – de la part des instances, des médias et des clubs (mais aussi d'une large partie du public) – qui leur laisse le droit de chanter et de faire du bruit pour assurer l'ambiance, mais veut les priver de parole pour en faire un élément du décor. Ce modèle de supporter idéal existe: on en trouve notamment dans les stades nord-coréens.
Quels que soient les torts et les raisons des supporters, un simple examen de leur situation actuelle met en évidence l'existence de problèmes profonds. En bonne intelligence, c'est une volonté de dialogue qui devrait prévaloir, autour d'intérêts communs. Face à l'action mal structurée et souvent fautive des supporters, les pouvoirs publics et les instances sportives (avec les clubs) ont choisi la répression. Et les principaux médias ne font strictement rien pour faire évoluer cette situation, dont rien de bon ne sortira jamais.
[1] La question du timing peut se poser : il n’était pas forcément judicieux de sanctionner une équipe stéphanoise très méritante cette saison, d’autant qu’une place en Ligue des champions est en jeu. Mais, inversement, était-il judicieux de sanctionner les supporters méritants du bloc fermé? L’injustice de la sanction collective est ici parfaitement illustrée de chaque coté.
[2] Sans cautionner leurs revendications, le minimum pour les journalistes consisterait à les entendre et à en faire part, dans le simple souci d'un débat équilibré et d'une information équitable. Au contraire, tout ce que les supporters peuvent exprimer est présenté comme une nuisance, et on ne leur tolère qu'un soutien inconditionnel. Mais au moment où les supporters constatent que les intérêts des clubs divergent profondément des leurs, il ne faut pas s'étonner de telles ruptures du contrat.