Henry, la position de force
Alternant coups d'éclat et coups dans l'eau en équipe de France, Thierry Henry y est incontestable. Comment un joueur aussi ambigu parvient-il à faire l'unanimité?
Auteur : Pierre Martini
le 14 Sept 2009
Avec la retraite thérapeutique de Patrick Vieira, le congé psychiatrique de Robert Pires et la quarantaine longue durée de David Trezeguet, Thierry Henry est, en équipe de France, le dernier trait d'union avec les vainqueurs de 1998. Pour 2000, seul Nicolas Anelka fait, avec lui, figure de survivant (1) et les revoir associés en attaque lors de Serbie-France a posé une petite touche de nostalgie sur ce match au cours duquel ils ont brillé (2). Aujourd'hui capitaine, le champion du monde a toujours bénéficié d'un statut particulier, qu'il a conforté une fois partis les derniers grands anciens et enfilé le brassard (lire "Le centenaire d'Henry"), et qui agit comme un prisme au travers duquel ses performances sont interprétées.
Inconditionnel
L'Équipe a ainsi choisi de faire sa une sur le buteur de Serbie-France au lendemain du match, le titre "La réponse d'Henry" rendant mal justice à l'effort collectif. Un choix d'autant moins naturel que, sur ce match comme sur le précédent, Anelka a été nettement plus impressionnant que son compère (3). Rien d'extraordinaire : Henry a toujours obtenu une reconnaissance médiatique massive, les controverses à son sujet restant à l'arrière-plan.
Il est ainsi consacré avant-centre axial lors de la Coupe du monde 2006, principalement aux dépens de David Trezeguet et au nom de leur manque présumé de complémentarité, bénéficiant alors du soutien inconditionnel nombreux journalistes et de raisonnements fondés sur des arguments réversibles et des statistiques lues à l'envers (lire "L'assassinat de Trezeguet"). Faire le choix d'Henry n'avait alors rien d'hérétique, mais la justification de cette option avec un discours aussi grossièrement univoque avait démontré l'importance d'être en position de force sur le terrain médiatique afin de l'être aussi sur le terrain sportif.
Un bilan équivoque
Le cas d'Henry est tout de même plus ambigu que celui de certains internationaux qui ont su complaire aux journalistes, entretenir leur propre mythe et se trouver sur la photo au bon moment. Pour tenter d'éclairer ses contradictions, tenons-nous en à la période récente en dressant un bilan d'Henry en bleu depuis les lendemains de l'Euro2008... Un bilan équivoque pour un joueur considéré aujourd'hui comme un sauveur ou un pilier, qui présente quelques indications intéressantes. En se reportant aux comptes-rendus publiés sur les Cahiers (globalement conformes aux appréciations de nos confrères), on peut répartir les onze matches d'Henry en trois catégories:
Bon à très bons
France-Serbie (aile), Roumanie-France (pointe puis aile, 1 but), France-Tunisie (aile, 2 buts), France-Roumanie (aile, 1 but), Serbie-France (aile, 1 but)
Mitigés à faibles
Autriche-France (pointe), Lituanie-France (pointe) et France-Lituanie (pointe).
Médiocres
Suède-France(pointe), France-Uruguay (aile), France-Argentine (aile).
Une pointe ou une épine ?
Première observation: bien qu'il soit implicitement présenté comme tel, Henry est loin d'être régulier en équipe de France. Il présente même une amplitude marquée dans la qualité de ses performances, un peu contradictoire avec la qualité accordée au joueur lui-même, mais qui n'a rien de nouveau: depuis 2004 au moins, le caractère inégal de ses prestations et les interrogations sur son positionnement drainent les critiques – sans pour autant lui valoir de remises en cause notoires.
Autre enseignement assez patent: en pointe, Henry ne brille plus – si tant est qu'il y ait jamais brillé ailleurs qu'à Arsenal. Sa résurrection lors de Roumanie-France est postérieure à son replacement à l'aile. La préférence qu'a continué à lui accorder Raymond Domenech pour occuper l'axe de l'attaque (notamment au printemps pour la double confrontation contre la Lituanie) semble potentiellement nuisible à l'éclosion de spécialistes comme Benzema ou Gignac... alors que l'un peine justement à s'exprimer en bleu et que l'autre aurait besoin de confirmer au plus haut niveau.
Bon quand l'équipe est bonne
On remarque aussi que le Barcelonais a livré ses plus mauvaises prestations en match amical, exception faite du France-Tunisie qui l'a vu inscrire un doublé. Parallèlement, son efficacité en matches officiels est importante: ses trois buts en sept rencontres sont de qui ceux comptent. Il est d'ailleurs dans le rythme de ses phases finales: trois buts en cinq matches à l'Euro 2000, trois en sept matches au Mondial 2006. Avec d'autres réalisations marquantes comme celle de Lansdowne Road en novembre 2005 (au cours d'un de ses plus mauvais matches en bleu), Henry n'usurpe certes pas sa réputation de buteur "décisif" – même si elle est quelque peu exagérée (4).
Sur cette période, la corrélation entre les "bons" matches d'Henry et ses buts retient également l'attention, du moins dans la mesure où nos évaluations n'attribuent pas aux buteurs d'énormes bonus à la façon des notes de L'Équipe. Même si Henry sait aussi marquer des buts opportunistes, il semble avoir besoin de bien jouer pour marquer. On est aussi tenté de dire qu'il a aussi besoin que l'équipe de France joue bien, ou qu'il la fait bien jouer: ces cinq rencontres-là sont les plus accomplies des Bleus...
Le statut du Commandeur
De tout cela, il est impossible de tirer une conclusion tranchée: la contribution de Thierry Henry à l'équipe de France est paradoxale et l'on ne sait si, en définitive, elle est positive ou négative. Tout au plus peut-on estimer que le joueur n'est pas aussi incontestable qu'on le considère généralement et qu'il peut poser des problèmes à sa propre équipe (5). Inversement, il importe de considérer des apports moins visibles: ce que l'on appelle "l'influence sur le groupe" ou l'expérience.
En d'autres termes, son statut ne tient évidemment pas qu'à ses pures qualités sportives. Au départ moins consensuelle que des figures comme Thuram ou Zidane, la personnalité de Thierry Henry a été régulièrement controversée: on fustige sa morgue ou son individualisme, ou l'on met en doute sa façon d'exercer son leadership. Mais lui-même est toujours parvenu à maintenir son image de fuoriclasse et, même s'il est souvent resté, sous le maillot bleu, en deça de ce que l'on rêve pour lui (6), aujourd'hui il est le capitaine aux 113 sélections et 50 buts, le footballeur qui a tout gagné mais qui montre encore de l'envie avec les Bleus... Un joueur qui n'a rien à prouver.
"Vrai patron"
Le récent épisode de son intervention devant le groupe (rapportée par Le Parisien, lire "Quatre vérités et un enterrement") suivi d'un démenti au journal de TF1 n'a fait que renforcer l'ambiguïté du personnage tout en soulignant son pouvoir. "Maître à bord", "vrai patron" des Bleus dont il a "pris les commandes", "Henry a durement critiqué Domenech avant de le sauver face à la Serbie", estime-t-on dans L'Équipe Mag de samedi dernier. Le trait est grossier et à charge contre le sélectionneur, mais l'article dit bien le rang accordé au joueur.
Henry, c'est donc une question de choix: choix de supporter ou de sélectionneur. Il est un parti pris de Raymond Domenech, qui l'assumera jusqu'au bout (on imagine d'ailleurs mal qu'un éventuel successeur procède autrement dans l'immédiat). Le destin de l'attaquant recordman du nombre de buts en sélection est étroitement lié à celui de l'équipe de France, pour quelque temps encore. Il est donc aussi un parti à prendre.
(1) Si l'on met Sylvain Wiltord et Ulrich Ramé de côté, les quatre joueurs cités sont les derniers des 22 du championnat d'Europe 2000 à être encore en activité.
(2) Sans remonter jusqu'en 2000, l'Italie-France (0-0) de septembre 2007 les avait alignés dans un 4-4-2. Henry avait été fantomatique ce soir-là. Lire "Un homme dans le non-match" et "15 heures avec Anelka".
(3) Anelka est d'ailleurs crédité d'un 8 (contre 7 à Henry) et d'un "match énorme". Mais l'article principal de la page 2 est consacré au n°12.
(4) Et saisonnière: au printemps, c'est Ribéry qui était présenté comme le buteur-sauveur.
(5) Après avoir "occupé" l'axe au détriment de joueurs dont la vocation était plus claire, il tend désormais à préempter l'aile gauche, où il n'est plus le premier choix (incitant à déplacer Ribéry sur le côté opposé).
(6) Il a réussi ses phases finales de 2000 et 2006 sans marquer la compétition comme un Kempes, un Rossi, un Van Basten ou un Bierhoff.