J'ai failli voir Lens-PSG
Témoignage – Plusieurs centaines de supporters du PSG "indésirables" se sont rendus au Stade de France pacifiquement et billets en main. La réception a été policière.
À l'occasion du match Lens-PSG organisé au Stade de France, trois cents à quatre cents supporters du PSG en contentieux avec le club (anciens abonnés, anciens membres des associations dissoutes, supporters figurant sur la "liste noire" illégale du PSG) avaient décidé de se rendre ensemble à Saint-Denis, munis de billets. Cette rencontre, classée à hauts risques par les autorités, a justifié un important dispositif de maintien de l'ordre. Avec pour mission, théoriquement, d'éviter les incidents et de faire respecter la loi.
Texte initialement posté sur le fil Paris est magique du forum, le 18 octobre.
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Arrivé à la gare RER du Stade de France vers 18h30 avec une cinquantaine d'autres mecs de ma bande (c'est beau comme du Renaud), on rejoint les autres groupes avec qui on a fait appel commun à un rassemblement avant départ en cortège vers le stade. Toutes les entités contestataires et anciens ultras sont là, s'abreuvant (plus ou moins, à sept euros la pinte, on peut pas dire que la Seine Saint-Denis se démocratise) aux stands dressés à la sortie des quais. On se balade tranquillement, on chine, reconnaissant une tête ou deux dans la foule, se saluant les uns les autres, avec cette hâte d'y être, de chanter, s'éclater, passer un bon moment entre nous au stade. On nous annonce le plus gros contingent depuis trèèèèèès longtemps, plus de cinq cents personnes. La proximité avec Paris sans doute.
Photo via canal-supporters.com
19h30, le rassemblement est sonné, on se soude, la première ligne se forme, on apprend que les gars qui ont la bâche de tête se sont fait isoler en sortant du métro et n'ont pas eu le droit de nous rejoindre. Mais bon, il faut bien y aller, le match commence dans une heure, tout le monde a sa place en poche, même les CRS ont l'air enclin à surveiller que personne ne vienne nous embêter, on se sent bien, en sécurité sous leur regard bienveillant. On se dit que pour eux, ce doit être un peu les vacances vu qu'on a notre propre "service d'ordre" (même si n'on aime pas beaucoup appeler ça en ces termes), c'est la Toussaint et on a pensé à eux, non vraiment, on a fait les choses bien. Il y a même les leaders qui, au mégaphone, donnent les consignes : pas de pétards, pas de fumis, on avance vers le stade en chantant pour notre club, histoire de donner le moins de grain à moudre possible.
Le cortège se met en branle, ça chante, ça pousse vocalement, on sent que tout le monde est prêt, que ça fait longtemps que certains attendaient ça, pouvoir retrouver les copains pour un match. Un fumi s'embrase, assez vite abandonné sous la pression des organisateurs, un arrêt sous le tunnel menant au Virage Nord qui permet de revivre l'impression de puissance sonore connue au Parc, avant le boycott, d'après les spécialistes. Et dire qu'on est qu'un peu plus de cinq cents...
Le stade est maintenant en vue. Le cortège ralentit à la demande des premières lignes, mais on sent que l'impatience commence à gagner les rangs. La chaleur de la promiscuité se fait de plus en plus étouffante. On s'arrête complètement, car des camions de police viennent de faire irruption dans la rue, et se postent face au cortège, juste derrière les deux lignes de CRS qui nous précèdent. Il est 20h15, et on n'a pas vraiment le temps de traîner là, les mecs, le spectacle commence dans quinze minutes. (…)
Échauffements
20h45. Bizarrement, on n'a toujours pas bougé. Les CRS non plus, qui, stoïques, nous scrutent le regard impassible, vide, voire ennuyé pour quelques uns. Finalement, c'est peut être pas tant les vacances que ça pour eux, ou alors c'est pas comme ça que je me représente des vacances. Devoir encadrer des mecs calmes, à peine chambreurs pour certains, un vendredi soir alors qu'on pourrait regarder le match à la télé, aller au resto ou s'occuper de ses gosses, non vraiment finalement c'est peut être pas le pied.
21h. Les esprits commencent un peu à s'échauffer. Tout le monde sort sa place et la brandit, pour bien signifier que ça commence à bien faire, et que jusqu'à plus ample information, on est quand même dans un état de droit (bon, si t'es handicapé, tu le sais bien toi, qu'en fait c'est un peu plus compliqué que ça...). La cheffe des CRS annonce alors qu'ils vont procéder à un contrôle des billets. (…)
On nous fait passer par groupes de cinq, autant dire qu'on n'est pas près de voir la fin de la première mi-temps. Par chance, je suis dans les premières lignes, donc je passe assez rapidement. On se retrouve tous éparpillés, on entend dire que certains groupes sont déjà rentrés dans le stade, l'organisation a volé en éclat avec le filtrage, c'est le bazar, on ne sait plus quoi faire, attendre, rentrer, partir (après tout, on a déjà raté la moitié du show). On se dirige vers les portes avec ce qu'on a réussi à rassembler du groupe. Bon, on n'est plus qu'une quinzaine, pas de trace des autres qui doivent sagement attendre qu'on les informe qu'ils ont bien une place pour le match.
Il est à noter qu'à ce moment-ci de la soirée, pas une seule confrontation avec les forces de l'ordre n'a eu lieu. C'est déjà ça, se dit-on en longeant les grilles vers les portiques. On passe les grilles sans encombre, les stadiers ne prenant même pas le soin de nous fouiller. Enfin si, notre écharpe est soigneusement contrôlée, des fois qu'on fasse de la propagande pour une association dissoute.
"Et pour la ceinture d'explosifs sous mon sweat, j'ai le droit de l'utiliser du coup ?
– Pas eu de consigne pour les ceintures d'explosifs, petit. Y a quoi d'écrit sur cette écharpe là, d'ailleurs?"
Dans le no man's land
On attend après la fouille que le reste du groupe passe les portiques. Et là, ça s'emballe un peu. Un stadier reconnaît un de nos gars, lui demande sa place, et lui dit que c'est une place qui a déjà été badgée. Impossible, puisqu'elle est à son nom et qu'on a eu le droit au contrôle d'identité pour sortir de la ronde des CRS un peu plus tôt. Mon pote refuse de sortir, insistant sur le fait que sa place est valide, qu'il agit dans son bon droit et que non, décidemment, y a pas moyen de se faire entuber encore une fois, s'il voit ce qu'il veut dire.
Et à c'est le déluge. Non, ne vous trompez pas, il fait toujours beau. C'est un déluge de coups. Une dizaine de stadiers (je ne plaisante pas) se rue sur lui pour le repousser violemment. Vêtements arrachés, insultes, tout y passe. Immédiatement, on se jette pour les empêcher de continuer, ce qui a pour effet d'accentuer la cohue, et accessoirement de se faire menacer de mort par les zélés hommes en rouge. Le temps que tout le monde reprenne ses esprits, on est alerté par les cris qui reprennent de plus belle un peu plus loin. Les grilles des portiques ont été fermées, et plus personne ne rentre ni ne sort. On se retrouve donc à quelques-uns, dans le no man's land entre grilles et tribunes, sans savoir quoi faire, regardant nos camarades de tribune se faire charger à de multiples reprises. Le cœur n'y est plus, on n'a même plus envie de rentrer voir le match, et on ne peut plus sortir non plus pour rejoindre les autres, puisqu'on a été identifié comme "fouteurs de merde", termes employés par la sécurité.
On s'assoit un peu plus loin, les effluves de gaz lacrymogène remontant vers nous de temps en temps. On est complètement dépité. C'est pas pour faire pleurer dans les chaumières hein, mais on se dit que même quand on fait tout dans les règles, ben non en fait, on peut se faire violer comme ça, juste parce que le club qu'on supporte a décidé de se substituer au droit commun.
Me reviennent à ce moment du récit ces mots du directeur de la sécurité du club à propos de nous, dans une interview datant il me semble d'il y a quelques mois: "La légalité...ça ne veut rien dire 'c'est pas légal', c'est eux qui le disent. Mais qu'ils aillent devant un tribunal ! Honnêtement ils peuvent le faire, ça va prendre trois ans, ils vont se fatiguer. Il n'y a pas de problème...".
Je ris nerveusement en lisant ces mots, mais en fait j'aurais plutôt envie de pleurer ce matin. Parce qu'une fois de plus mes droits élémentaires ont été bafoués. Parce qu'une fois de plus, les médias vont nous parler d'un fait d'arbitrage à la con tout en allant mendier leur carte de presse pour pouvoir assister à des entraînements qui tiennent plus de l'exhibition pour touristes que de l'information technique ou tactique. Parce qu'ils ne savent absolument pas à quel point leur métier est important pour faire respecter les principes républicains.
On y a cru avec la condamnation du club par la CNIL. Parce qu'on pensait qu'avec le temps, ça allait quand même commencer à faire tiquer, de telles pratiques dans notre bel État de droit. Parce qu'enfin, on y a cru au changement avec la gauche.
Visiblement, va vraiment falloir s'y faire. Ça doit être ça le football moderne. La sécurité n'a pas de prix. Mais du coup, j'en fais quoi de ma ceinture d'explosifs?