L'Euro, ce dîner de cons
Jean-Patrick Sacdefiel est sorti de sa retraite pour cingler d'un verbe vengeur un Euro boursouflé qui a invité n'importe qui et dans lequel le football est devenu facultatif.
Résultat d'une politique générale consistant à élargir l'Europe en même temps que le fondement de ses citoyens, l'Euro à 24 aura présenté un spectacle encore plus déplorable que je ne l'avais imaginé. Le fiasco doit beaucoup à son casting, qui dessine une carte de l'Europe des folklores sur laquelle on s'étonne de ne pas voir figurer la Bordurie et la Syldavie. Le tout en l'absence de la seule nation qui devrait bénéficier d’une invitation permanente pour services rendus au ballon rond, celle dont les Cahiers du football usurpent la couleur. Des géniales inspirations de Cruyff, la moindre n'aura pas été de mourir avant de voir des Suisses, des Slovaques ou des Irlandais caresser l’espoir de soulever le trophée.
La compétition a pris soin d'offrir à cette mascarade des scènes adéquates. De "grands" stades, excroissances de l'ego malade d'architectes infantiles, 100% connectées à la vacuité contemporaine. Fruits d'un effort notable pour qu'ils ressemblent à tout (pneu fluorescent, hangar à Zeppelins, forêt de javelots, insecte en plastique, etc.) sauf à des stades, ils ont fait éruption dans des zones suburbaines entre un Kiloutou et un JardiLand. On s'y rend en empruntant des transports qui ont coûté un hôpital et trois lycées, pour y acheter une saucisse molle et insipide au prix d’un bobo-burger bio dans le Marais et y boire des ersatz de bière aux saveurs de désodorisants pour sanitaires. Dans les gradins, des moutons en troupeaux bêlent en chœur des rengaines pop exaspérantes – dont un tube qui n'aurait pas dû plus survivre aux années 90 que les pantalons de treillis.
Le spectacle est à la hauteur, avec des sélections émasculées par la fausse science tactique dont se gargarisent ces experts qui trouvent malin de regarder la palette plutôt que le tableau. Résultat, les seules fantaisies à attendre sur le terrain sont celles des faux rebonds. Couronnement logique de cette déchéance des nationalités: les équipes les plus célébrées sont celles qui jouent le moins au football. Après les deux Irlande, réunifiées dans leur médiocrité, c'est au tour d'une bande de pêcheurs de maquereaux d'avoir les honneurs d'une fête qui ressemble de plus en plus à un dîner de cons. Cela parce que cette Islande digne de l’équipe corpo d’une entreprise d’articles de bureau parvient à aligner trois passes consécutives et, ô prodige athlétique, à faire des touches de 25 mètres.
Résumant le désastre, cette compétition restera dans l’histoire comme celle qui aura envoyé dans le majestueux Parc des Princes, pour un sinistre huitième de finale, deux sélections insulaires alignant vingt-deux chevaux de trait pour labourer le noble gazon qui, jadis, accueillit les entrechats de Safet Susic. Mais il faut maintenant se pâmer devant le Pays de Galles parce qu'il a terrassé une sélection belge aussi prétentieuse et incohérente qu'une compilation des Inrocks.
L'Euro 2016 résume le principe du football d'aujourd'hui, qui se joue à onze contre onze jusqu'à ce que l'équipe qui a le plus empêché l'autre de jouer l'emporte. Je ne trouve consolation que dans la justice poétique qui a fait star de cette compétition un joueur de D3 anglaise n'en ayant pas disputé la moindre seconde.