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« La principale porte d’entrée du football en France a été Paris »

Entretien - L'historien Julien Sorez retrace la conquête de la France par le football, de la fin du XIXe siècle aux années 1950. 

Auteur : Antoine Zéo le 1 Dec 2021

 

Julien Sorez est historien du sport et maître de conférences à l'université de Paris-Nanterre. Il est notamment l'auteur de L'empire des sports : une histoire de la mondialisation culturelle (avec Pierre Singaravelou, éd. Belin, 2010) et de Le Football dans Paris et ses banlieues. Un sport devenu spectacle (éd. PUR, 2013).

Entretien extrait du numéro 4 de la revue des Cahiers du football, juin 2020.

 

Comment résumer la préhistoire du football français ?

Le football arrive progressivement en France à la fin du XIXe siècle. Le premier club, le Havre Athletic Club, est créé dès 1872 par des Britanniques. Mais c'est à classer parmi beaucoup d'initiatives encore éparpillées et souvent éphémères. Une date plus significative est 1894 : c'est le premier championnat organisé en France, sous l'égide de l'USFSA (l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques, fondée en 1887), entre des clubs exclusivement parisiens. Le modèle associatif est alors celui du club omnisports : c'est le cas du Stade français, par exemple, où la section football est fondée quelques années après sa naissance (1883). L'institutionnalisation est difficile car les clubs et les fédérations fonctionnent selon un double principe qui s'oppose au développement rapide du football : le respect de l'amateurisme - alors que le football est une pratique professionnalisée dès 1885 en Angleterre -, et l'idéal du gentleman amateur, pratiquant omnisports. Or le football a tendance à susciter des pratiquants monomaniaques.

Qui sont les premiers footballeurs ?

Deux clubs permettent de bien les identifier. Le Standard Athletic Club est fondé par des Britanniques résidant en région parisienne qui ne font pas partie de l'aristocratie sociale. Ce sont des employés de commerce, des représentants de firmes britanniques en France, des gens de la petite bourgeoisie - ils sont en Angleterre, avec la classe ouvrière, les principaux pratiquants du football puisque l'élite britannique a déjà commencé à s'en détourner. Les membres du second, le Club français, ne font pas non plus partie des élites parisiennes. Ce sont pour beaucoup des élèves et des étudiants des collèges municipaux, moins prestigieux que les lycées d'État, où les études sont souvent tournées vers des carrières dans le commerce ou l'industrie, à l'image du Collège Chaptal. Certains ont fait des voyages linguistiques en Angleterre, où ils se sont emparé d'une pratique déjà populaire, dans les deux sens du mot.

« Jusqu'aux années 1920, Paris est la capitale sportive, la capitale institutionnelle et la capitale médiatique du football. »

 

Quelles sont les régions particulièrement concernées par le développement du football au début du XXe siècle ?

La région n'est pas l'échelle la plus pertinente. Les points de chute les plus précoces sont les grandes villes : les clubs vont s'y multiplier avec la présence d'élites anglophiles, notamment dans les espaces commerciaux et industriels du Nord. Les façades portuaires connaissent un développement rapide du football, comme Le Havre, puis Marseille. Avant même l'investissement des municipalités, à partir des années 1920, la plupart des grandes villes françaises ont une équipe qui a vocation à les représenter. Mais la principale porte d'entrée reste Paris. Jusqu'aux années 1920, c'est la capitale sportive (les meilleures équipes, les plus nombreuses), la capitale institutionnelle (siège de toutes les fédérations) et la capitale médiatique du football.

Son expansion est-elle exclusivement urbaine ?

Une des régions rurales les plus précocement touchées par le football est la Bretagne, dès le début du XXe siècle, du fait de la densité et du nombre des patronages catholiques. En revanche, dans le Nord et l'Est, c'est davantage à l'occasion de la guerre de 1914-1918, avec la présence des troupes britanniques, que la pratique se diffuse. Quant au Sud-Ouest et aux régions montagnardes, le rugby y occupe pendant des décennies la première place. La différence de développement du foot entre espaces ruraux et urbains est aussi liée aux astreintes inhérentes aux métiers : les ouvriers et employés conquièrent progressivement du temps libre avec la journée de huit heures et la "semaine anglaise". Ce n'est pas le cas des milieux paysans.

Est-ce un sport de "prolétaires", dès le début ?

La diversité des origines du football-association (comme on l'appelle pour le distinguer du football rugby) en fait assez rapidement une pratique plurielle : parallèlement au modèle associatif, on joue dans les rues, les parcs, et une jeunesse populaire s'attache au football. Mais d'un point de vue institutionnel, l'un des vecteurs principaux, ce sont les patronages catholiques et leur fédération (la FGSPF, Fédération gymnique et sportive des patronages français). Créée à la toute fin du XIXe siècle, elle a l'objectif de ramener la jeunesse prolétaire urbaine en voie de déchristianisation dans le giron de l'Église

« L'idée selon laquelle le football serait une composante de l'identité des "banlieues" émerge en région parisienne dans les années 1920-1930. »

 

Y a-t-il un conflit entre des pratiques bourgeoises et ouvrières du football ?

Considérer qu'il y a des footballs bourgeois et prolétaires qui se font face est une reconstruction a posteriori, copiée sur le discours des fédérations sportives socialistes et communistes. Pour elles, le football "bourgeois" est pratiqué dans le cadre de la FFFA (l'actuelle FFF, fondée en 1919). La réalité est plus complexe. De plus en plus d'ouvriers jouent à partir des années 1910, mais ils pratiquent dans les clubs de la FFFA. Ils sont même plus enclins à supporter les équipes composées de vedettes que les clubs affiliés au socialisme ou au communisme - dont les effectifs sont faméliques jusqu'à la fin des années 1930. L'horizon d'attente pour un ouvrier doué au football, c'est le club rémunérateur qui le fera sortir de la mine ou de l'usine, et non les clubs qui font primer le militantisme politique.

Que change le professionnalisme, en 1932 ?

Il ne constitue pas une rupture brutale, plutôt une officialisation et une régularisation de pratiques jusque-là largement répandues bien qu'en même temps réprouvées, à l'instigation et au profit de quelques patrons de clubs - notamment les Peugeot qui ont fondé un puissant club à Sochaux. Dans les années 1920, l'amateurisme marron est la règle, il est pratiqué par les meilleurs clubs qui rétribuent leurs joueurs soit en salaires dissimulés soit en gratifications diverses - emplois, logements, etc. Les meilleurs joueurs n'ont aucune difficulté à monnayer leur talent et à passer d'un club à un autre. L'arrivée officielle du professionnalisme avec la création du championnat de France en 1932 va permettre aux dirigeants de contrôler leurs effectifs avec l'instauration d'un contrat que les joueurs ne peuvent pas rompre. C'est ce type de contrat que dénoncera Raymond Kopa en 1963 quand il déclarera que "les footballeurs sont des esclaves". Le professionnalisme est donc assez ambigu pour les joueurs, mais très favorable aux clubs qui s'installent en haut de la pyramide en passe de se constituer sous l'égide de la FFF.

À quel moment le foot français est-il associé aux banlieues, dans sa pratique et dans l'image qu'il donne ?

Dans les années 1910 et 1920, de nombreux individus ont appris à jouer au football dans les banlieues, mais ce sont des banlieues pavillonnaires, et ce cadre ne semble pas plus favorable qu'un autre. Pierre Chayriguès, le célèbre gardien du Red Star et de l'équipe de France, a fait ses armes dans les rues de Levallois, il a joué à Clichy, mais à aucun moment on n'exalte la banlieue pour décrire son parcours. L'idée selon laquelle le football serait une composante de l'identité des "banlieues" émerge en région parisienne dans les années 1920-1930, où les équipes de certaines communes bénéficient d'installations nouvelles, de stades, de subventions qui les rendent capables de rivaliser avec les grandes métropoles. Le meilleur exemple en est le Red Star de Saint-Ouen, qui gagne quatre Coupes de France dans les années 1920. En revanche, l'idée d'une banlieue vivier d'excellents joueurs et terre de prédilection du football date d'après 1945 et de l'arrivée massive de travailleurs immigrés regroupés dans de grands ensembles urbains. Après-guerre, l'arrivée de nombreux ressortissants coloniaux et des immigrés durant les Trente Glorieuses, pour lesquels le football était déjà une pratique familière, a sans doute renforcé le succès du football et sa dimension populaire dans certains quartiers des grandes agglomérations.

« Jusqu'à la guerre, et encore un peu après, c'est le cyclisme qui occupe la place de sport national. L'identification du football à la "nation" est plus difficile. »

 

L'organisation de la Coupe du monde 1938 en France est-elle déterminante ?

Ce que "réussit" l'Italie fasciste avec la Coupe du monde 1934, c'est une double victoire : organiser un événement très investi idéologiquement, et le remporter. Les régimes autoritaires ont une volonté politique claire d'instrumentaliser le sport. En France, les pouvoirs publics restent attachés à la conception "républicaine" du sport, hygiéniste et civique, et n'ont pas de dessein politique dépassant la simple performance sportive. L'équipe nationale n'y est pas si fortement instrumentalisée. Après 1945, stigmatisé sous Vichy pour son professionnalisme, le football en sortira grandi car son capital symbolique n'a pas été récupéré et instrumentalisé par l'idéologie de la "Révolution nationale".

Quand le football prend-il sa dimension de "sport national" ?

Jusqu'à la guerre, et encore un peu après, c'est le cyclisme qui occupe cette place. L'identification du football à la "nation" est plus difficile. La création des compétitions internationales est beaucoup plus tardive : Coupe du monde en 1930, coupes européennes pour les clubs et les nations dans les années 1950. Les rencontres de football internationales sont des rencontres "amicales". Le prestige et la renommée sont en jeu, mais il manque un cadre compétitif officiel - et aussi une chose essentielle, avant 1984 : la victoire. Il est donc compliqué de construire un quelconque prestige avant cette date.

Pourquoi n'y a-t-il qu'un seul club professionnel dans les grandes villes françaises, à la différence de nos voisins ?

Il faut nuancer. Dans les années d'avant-guerre, il y a plusieurs clubs professionnels à Paris (le RC Paris, le Club Français, le CA Paris et le Red Star) ou à Lille (l'Olympique lillois, premier champion de France en 1932, l'Excelsior de Roubaix, le RC Roubaix, le SC Fives). Surtout, l'explication est bien davantage à chercher dans l'histoire de l'urbanisation française que dans l'histoire spécifique de son football. Les villes européennes où l'on constate la présence de plusieurs clubs de première importance sont de très grandes métropoles industrielles ou des capitales : Rome, Turin, Milan, Birmingham, Manchester, Liverpool, Barcelone, Madrid qui n'ont tout simplement pas d'équivalent en France. À l'inverse, les parcours de clubs représentant des villes aussi petites qu'Auxerre ou Guingamp ne sont pas imaginables en Angleterre ou en Italie.

Réactions

  • Jankulowski Desailly Galasek le 01/12/2021 à 21h42
    C'est super intéressant.

  • theviking le 02/12/2021 à 10h34
    Oui, très instructif. Par contre j'ai du mal avec la dernière réponse, puisque dire que ces villes n'ont pas d'équivalent en France alors que Paris doit être la 2e agglo européenne, ça ne marche pas. Et il y a le cas de villes plus modestes, comparables à Lyon ou Marseille, (je pense à Séville par exemple), qui ont 2 clubs historiques.

  • Manx Martin le 02/12/2021 à 15h40
    Il faut comprendre qu'en dehors de Paris, capitale démesurée, il n'y a pas en France de métropole de rang équivalent à Manchester, Barcelone, Turin, etc.

  • theviking le 02/12/2021 à 16h14
    Oui, enfin, sans parler de ces grandes métropoles, il y a dans ces pays des métropoles équivalentes à Marseille, Lyon, Lille, qui ont 2 clubs qui ont une histoire au plus haut niveau, et ça n'a jamais été le cas en France, ou alors il y a très longtemps (comme les exemples fournis par Julien Sorez). Donc je ne pense pas que ça vienne de l'urbanisme spécifiquement. Après, c'est pas grave, ça fait une bonne représentation du territoire.

  • Josip R.O.G. le 03/12/2021 à 17h22
    J'ai pas vraiment l'impression que Turin ou Birmingham en tant que ville ou même Liverpool et Manchester soit si différentes de Marseille ou de Lyon, que ce soit intramuros ou en tant que métropoles.
    Il faudrait peut être s'attacher à l'activité industrielle et à la taille des entreprises pour y rechercher un critère de la multiplicité de clubs par exemple.

  • Mangeur Vasqué le 04/12/2021 à 08h51
    Fascinante interview, merci.

    Josip et theviking ont raison cependant sur ce (sempiternel) débat généré autour de la question “Pourquoi un seul club professionnel dans les grandes villes françaises, à la différence de nos voisins ?”. Je ne suis pas d’accord avec la réponse donnée par Julien Sorez sur ce point-là.

    D’accord avec sa première partie de réponse, celle sur la nécessité de nuancer (plusieurs clubs pros à Paris ou à Lille dans années 1930) mais beaucoup moins avec la deuxième, avancée comme majeure (“Surtout, l’explication est bien davantage à chercher dans l'histoire de l'urbanisation française que dans l'histoire spécifique de son football […] qui n'ont tout simplement pas d'équivalent en France”). Y’a du vrai dans cette réponse (l’urbanisation s’est construite différemment en France, par rapport mettons au Royaume-Uni), mais les raisons sont ailleurs, ce n'est pas une question de taille.

    La fin du paragraphe est plutôt juste, pour le Royaume-Uni en tous les cas : aucun Guingamp en Angleterre, c’est vrai. Mais Guingamp c’est quand même une exception dans les championnats majeurs en Europe, hormis les trucs freak comme (le village d') Hoffenheim et son "sugar daddy" Dietmar Hopp.

    Quoique y’a eu Gretna FC en Écosse… Un village de 2.500 habitants perdu à la frontière anglo-écossaise (côté ouest, coin très touristique du côté anglais car c’est le début du Lake District, la plus belle région d’Angleterre et l’un des parcs nationaux les plus visités au monde), en bordure de l'autoroute M6-M74 qui lie Angleterre et Écosse.

    Histoire extraordinaire du foot british que ce Gretna FC, que j’avais d’ailleurs brièvement racontée dans le forum foot anglais des Cahiers début 2011, lien avec un proprio bien barré (tendance romantique, amoureux de son club) comme on les aime, Brooks Mileson, natif de Sunderland et qui avait fait ses thunes principalement dans le North-East, Sunderland 7 Newcastle donc.

    Gretna est un minuscule village mais connu dans le monde entier (Gretna Green lien, juste en dehors du bourg) pour être le Las Vegas british, jusqu’à 8.000 marriages certaines années, un truc dingue. Un petit musée du mariage très bien fait raconte le truc, panneaux d'explication en plusieurs langues. À ne pas manquer si vous faites un jour un road trip au Royaume-Uni, c’est unique. Dans un bon jour (samedi), on peut assister à plusieurs marriages en quelques heures, en sirotant une bière à la terrasse du pub situé devant la salle de marriage la plus courue, la Famous Blacksmiths Shop (un vieux atelier de maréchal ferrant), au son de la cornemuse (enfin, si les mariés ont payé pour avoir le joueur de cornemuse ! C’est à la carte).

    Bref, Gretna FC démarra dans le foot amateur anglais, puis à la fin des années 1990 changea pour les championnats amateurs écossais, et grimpa rapidement la pyramide écossaise de la D4 à la D1 ! Ils n’avaient même pas de stade, quasi aucune infrastructure, rien. Ils allaient jouer à Glasgow, à 150 kms de là. Ils disputèrent même la finale de la Coupe d’Écosse 2006, contre Hearts à Hampden Park devant 50.000 spectateurs. Ils perdirent aux pénos mais se qualifièrent pour la C3 ! (sortis au 2è tour prelim. par Derry City).

    Hormis ce cas hors norme, quelques villes moyennes en Angleterre qui sortent, ou sont sorties, du lot : Burnley par exemple, agglo même taille qu’Auxerre. L’un des 12 clubs professionnels de Football League à sa création en 1888 (1 seule division alors ; la D2 fut créée en 1892, et la D3 en 1920), ensuite 2 fois champion d’Angleterre et 2 fois dauphin, européen pour la première fois en 1960 (les Clarets avaient d’ailleurs éliminé le Reims de Kopa avant de se faire sortir de justesse par Hambourg en quart). Donc quand même un superbe pedigree pour une ville moyenne.

    Citons aussi Ipswich Town, l’agglo faisait à peine 100K quand ils cartonnèrent des années 1970 (souvent 3è-4è) au début des années 1980 – vainqueur de la C3 en 1981, et deux fois 2è de D1 en 81 & 82, sous la houlette du grand Bobby Robson, qui fit son apprentissage de manager chez les Tractor Boys de 1969 à 1982, avant de prendre les rènes des Trois Lions en 1982, jusqu’à la Coupe du monde 1990 en Italie et cette dramatique élimination aux t-à-b en demi-finale vs l’Allemagne de l’Ouest, avec les Lineker, Gazza, Waddle… Une trentaine de saison parmi l’élite des années 1960 au début des “Noughties”, années 2000 (aujourd’hui en D3). Ailleurs dans les gros championnats européens, t’as Eibar et Villareal en Espagne, et en Italie Sassuolo et Empoli, toutes ces villes entre 30K et 60K.

    La démographie urbaine est différente au Royaume-Uni, c’est un pays bien plus urbain qu’en France, en tout cas dans son développement démographique, la Révolution Industrielle ayant grandement changé la donne au 18è et 19è siècles (on parle “d’industrialisation” pour les autres pays, car ce fut bien plus graduel qu’en Angleterre).

    Les raisons sont donc ailleurs, je développerai plus tard. Un indice chez vous : c'est quand même pas mal lié à la maille...

  • Mangeur Vasqué le 04/12/2021 à 10h30
    La France a des agglos comparables à celles énumérées par l’auteur, Julien Sorez (Turin, Liverpool, etc. donc agglos à plusieurs clubs) et pourtant ces agglos françaises ne comptent qu’un seul club pro D1 (ou D2, Toulouse), ce n’est donc pas une histoire de taille.

    L’agglo de Newcastle (Tyneside-Wearside, approx. 1.1 million) est plus petite que le Grand Lyon mais a toujours eu 3 clubs pros, majoritairement D1, à grosses affluences (NUFC et Sunderland, + Gateshead, longtemps en D2-D3). Pareil pour Liverpool : 3 clubs pros (LFC, Everton et Tranmere Rovers), et ça fait grosso modo la même taille que Lyon (en configuration “metro”, la zone urbaine de Liverpool est même bcp moins peuplée que son homologue lyonnaise mais n’ergotons pas étant donné la différence de métriques utilisés d’un pays à l’autre, variations dues aux différentes entités administratives, différentes limites administratives, etc.). Idem pour le Grand Paris (75 + Petite Couronne), grosso modo même population que Greater London (inutile de s’apesantir sur l’énormissime contraste entre les deux niveau vitalité du football pro). Etc.

    Plusieurs facteurs ont permis au foot anglais de se développer plus vite et plus urbainement qu’en France (ou vice-versa, ces facteurs, relativement absents en France à ce qu’il me semble, freinèrent le développement du foot), et aussi permit à beaucoup de clubs pros de perdurer.

    J’ai évoqué ces sujets dans plusieurs articles Teenage Kicks consacrés à l’évolution du foot anglais et son essor à travers les clubs/villes, notamment Liverpool lien, Manchester ( lien et lien, avec le sauvetage du club par John Davies, un riche proprio de brasseries – bières – John Davies), ou Newcastle & Sunderland lien.

    L’expression est lâchée : “riche proprio”. Commerçants thunés, industriels, capitaines d’industrie, hommes d’affaires, investisseurs...

    L’argent décomplexé est l’une des raisons du formidable et rapide envol du foot outre-Manche, ce dont la France a manqué au départ. C'est ce qui a donné l’impulsion initiale, qui a poussé à la création d'un championnat professionnel qui servit de rampe de lancement, etc. Pas que la France d’ailleurs j’ai l’impression (professionnalisation en Angleterre : 1885. Premier championnat pro : 1888. Il fallut attendre 40 ans environ pour voir la même chose sur le Continent, Autriche, Espagne, Italie dans les années 1920, France années 1930, Allemagne années 1960, avec création de la Buli 100 % pro en 1963, jusqu’alors on jouait outre-Rhin en régime semi-pro si j’ai bien pigé).

    Cet essor spectaculaire en Angleterre, et ces minimum 2-3 clubs pros par grosse agglo donc, tiennent à plusieurs raisons, interdépendantes.

    Ce qui a donc fait la différence au Royaume-Uni, principalement (nous verrons plus tard les quelques raisons secondaires) n’est pas tant la présence de grosses agglos (on vient de voir qu’on a ça en France), mais un engouement très fort, très urbain dès le coup d’envoi pour le football en Angleterre (et Écosse), dès la fin des années 1870 (apparition du “shamateurism”, amateurisme marron), combiné à l’entrée dans le game d’hommes fortunés et/ou particulièrement passionnés – ce fut souvent les deux (le football fut souvent vu comme une source de revenus et/ou de publicité).

    Avec comme indispensable allié-rampe de lancement donc : la création d’un championnat professionnel, la Football League en 1888, avec entre-temps, comme précisé dans l’interview, l’officialisation du professionalisme en 1885 (1893 en Écosse, d’où “l’invasion” écossaise dans le foot anglais au départ, dès la fin des années 1870 – on appelait les Écossais les “Scotch Professors”, car ils étaient supérieurs, pratiquaient le jeu de passe, tactique plus développée, leur équipe nationale était plus forte, etc. – et surtout à l’officialisation de la professionalisation, car si les Écossais étaient meilleurs ils ne pouvaient pas légalement exercer chez eux, donc ils signèrent en Angleterre, surtout ceux du Nord. Blackburn, Liverpool ou Sunderland par exemple étaient friands d’Écossais, Liverpool pour ses premières saisons à sa création en 1892 fut même surnommé “the Team of Macs”, avec ses McLean, McQueen, McVean, McBride, etc. Pas mal de managers écossais aussi).

    La thune commença à bien circuler, dès les années 1890, ce qui donna lieu à la naissance de “super clubs” et une inflation des salaires & primes, paiements illégaux, etc. avec même des matchs truqués, joueurs payés pour laisser filer.

    Trop de thunes et de chienlit pour les instances (certains joueurs touchant 10 fois le salaire moyen), à savoir la FA, encore profondément guidée par l’idéal amateur et ses valeurs, et la très régulatrice et control freak Football League, qui voulait garder la main. Les instances imposèrent alors un “salary cap” (en 1901), de 4 £/semaine (soit 5 fois le salaire moyen), interdirent les primes, etc. Évidemment, pas mal de clubs ignorèrent ce salary cap et continuèrent à payer les meilleurs joueurs le prix fort. Les instances contre-attaquèrent, avec suspensions de joueurs, etc. Révolte des joueurs, qui menacèrent de faire grève et les vedettes de l’époque (Charlie Roberts et Billy Meredith à Manchester United, le grand Colin Veitch à Newcastle, alors le meilleur club des années 1900, etc.) créérent alors en 1907 le premier syndicat de joueurs, l’AFPTU, vite rebaptisé PFA lien. Mais les instances ne lâchèrent pas le morceau et le salary cap resta, jusqu’en 1961 ! Il devint d'ailleurs de plus en plus strict, et vers 1960 le salary maxium autorisé, 20 £/semaine, était à peine plus élevé que celui d'un cadre moyen. Toutefois, les primes étaient autorisées et les joueurs pouvaient toucher un % sur les transferts, style prime de départ, mais les clubs possédaient leur licence en fait, les joueurs ne pouvaient pas changer de club facilement. Là, en 1961, de nouvelles menaces de grève, menées par le grand Jimmy Hill lien firent plier les instance et le cap sauta).

    Rien n’alla sans l’autre, tout est lié dans ce développement. La frénésie populaire dès les années 1870 (attesté par le fait que les gens commencèrent à payer pour voir des matchs, début donc du football en tant que “spectators sport”), intéressa de riches commerçants, des capitaines d’industrie (Midlands, North West) ou/et d’industriels (North East), propriétaires de chantiers navals, mines, acier, etc. Ces personnages qui ne créérent pas forcément ces clubs (souvent fondés par des corporations, l’église, des enseignants, etc. de façon désintéressée) mais les développèrent, mirent les billes, firent construire les stades, établirent les structures, transformèrent les clubs en business avec actionnaires, etc. Il sauvèrent nombre de clubs de la faillite aussi, le cas le plus célèbre étant probablement Manchester United avec John Davies en 1902, lien Teenage Kicks ci-dessus.

    Tous ces entrepreneurs permirent au football britannique de mieux se développer qu’en France et ailleurs. Signalons aussi, au départ, une proximité géographique dans les hubs de développement bien liés par le train (grâce notamment à la “railway mania” lien, chemins de fer découpés en franchises, comme aujourd’hui donc, avec actions et boursicoteurs, ça aida le quadrillage réseau du territoire), Nord et Midlands, qui facilita grandement les déplacements et donc la création d’un championnat, qui créa l’engouement sportif, et fit boule de neige. Une fois le championnat créé, 1888 en Angleterre pour la D1, 1892 pour la D2, le football décolla. Timidement cependant, quelques milliers de spectateurs en moyenne pour la D1 dans les années 1890, environ 15.000 au milieu des années 1900, puis dans les 22.000 dans l’entre-guerre, avec la D2 qui faisait environ 14.000 (cependant 3 divisions professionnelles dans “l’interwar” et environ 80 clubs professionnels, la D3, créée en 1920, étant divisée en deux poules Nord-Sud). Cet élan initial, boosté par la vitalité de la révolution industrielle, se poursuivit crescendo au XXè siècle.

    Ces industriels/homme d’affaires venaient d’horizons divers. A Newcastle et dans le North East, Sunderland & Middlesbrough, c’était plutôt des propriétaires de mines ou industriels dans les chantiers navals. A Liverpool, John Houlding, propriétaire de brasseries et pubs, qui développa à la fois Liverpool et Everton dans les années 1890. A Manchester, John Henry Davies, également brasseur, il sauva le club au tout début des années 1900. A Huddersfield Town, meilleur club anglais années 1920 grâce à la science du manager Herbert Chapman mais aussi à l’argent du propriétaire, un industriel du textile dont le nom m’échappe.

    Chapman d’ailleurs qui partit à Arsenal en 1925, un club entre-temps devenu plus riche – grâce à Henry Norris d’abord dans les années 1910, qui investit tellement lourdement dans le club (en achetant et developpant Highbury par exemple) qu’il risquait la banqueroute si les Gunners restaient en D2 et magouilla avec la Football League en 1919 pour niquer Tottenham et piquer la place de promu en D1 à Spurs, lien (Arsenal, appelée alors “The Arsenal”, n’a depuis jamais quitté l’élite. Arsenal dans les années 20 etait alors surnommé “The Bank of England Club” car il explosèrent tous les records de dépenses transfert, cette expression "The Bank of England Club” resta d'ailleurs et fut employée ensuite pour d'autres clubs, dont Sunderland de l'après guerre WWII à la fin des années 1950 car les Black Cats, financés par des proprios de chantiers navals (activité disparue depuis), battirent des records de transfert). Le proprio d'Arsenal alors, annees 1920-30, était Samuel Hill-Wood, businessman et gros négociant en coton, de la famille Hill-Wood, dont les membres furent propriétaire (ou actionnaires majoritaires) ou président/haut dirigeant d’Arsenal quasi sans discontinuer jusqu’en décembre 2012 ! Le dernier de la dynastie étant Peter Hill-Wood (président du club, bien qu’il ait vend le gros des ses action à David Dein dans les années 1980-90 puis le reste à Stan Kroenke).

    Parallèlement, y’a des raisons annexes, j’en vois au moins deux. La première : le fait que les sports co soient peu développés outre-Manche (pas de hand, pas de volley, quasi pas de basket – davantage ces 20 dernières années mais pas du tout comparable au basket club en France. Le rugby, ainsi que le cricket, sont largement minoritaires comparativement au foot) a grandement favorisé le développement du football, puisque les capitaux et les spectateurs se sont concentrés en gros sur un seul sport, y’a pas eu "d’éparpillement”, ni en spectateurs ni en capitaux. Peu d’engouement également pour les sports indivs aussi, hormis l’athlé et le golf. Les spectaculaires moissons de médailles olympiques c’est récent et le fruit d’un ciblage très spécifique. La pratique du sport a toujours été chère au Royaume-Uni, ça a freiné le développement de bcp de sports indivs.

    Bref, le pool spectateurs a toujours été bien plus gros qu’en France. Ça rejoint un peu la remarque de Julien Sorez sur le foot qui même après une vingtaine d’annés de professionalisme (marron ou officiel), n’était toujours pas établi comme sport numéro 1. (« Jusqu'à la guerre, et encore un peu après, c'est le cyclisme qui occupe la place de sport national. L'identification du football à la "nation" est plus difficile. »). C'était un sport plus municipal en France, les municipalités possédaient les stades, donnaient des subventions, etc. ça a grandit de manière plus organique en France.

    Il est intéressant de voir qu’en France, le foot a véritablement décollé grâce à la création d’un championnat structuré, donc l’introduction d’un élément compétitif majeur, tout comme en Angleterre, en 1888. Un championnat = supporters, l’émergence d’une identité et donc la création de rivalités (même soft, rien a voir avec le tribalisme d’aujourd’hui), tout ça sert de moteur au succès de ces championnats. Avec les coupes, la FA Cup par exemple connut un franc succès dès le départ, ainsi que les rencontres internationales, les premières decennies uniquement contre les “Home nations”, Écosse surtout. Tout ça forgea l’esprit de compétition.

    L’autre raison annexe que je vois tient aux conditions de travail, plus lentement améliorées en France qu’en Angleterre, et la remarque de Julien sur l'introduction de la “semaine anglaise” en Frnce est pertinente. J’y reviendrai et ça sera mon dernier poste sur le sujet.

  • Mangeur Vasqué le 04/12/2021 à 13h37
    Dans une moindre mesure donc, le relatif retard pris par la France sur le front avancées sociales et conditions de travail.

    Et là je pense que la remarque de Julien Sorez sur la “semaine anglaise” est pertinente car la lenteur de l’essor du football en France par rapport au Royaume-Uni peut être aussi partiellement imputée au relatif retard des réformes sociales, comparé au R-U (plus stable que les régimes de la Troisième République).

    En France, il fallut atteindre 1900 pour que la semaine soit réduite à 70 heures (Loi Millerand), max. 11 h/jour, une legislation qui mit des années à se mettre totalement en place. lien. Jour de repos (dimanche) rendu obligatoire en 1906 mais là encore, ça traîna, y’avait plein “d’exceptions” et dérogations et jusqu’en 1919, beaucoup d’employés bossaient 10 h/jour, tous les jours.

    Puis, en 1919 donc, vint la création de la “semaine anglaise” (48 h/8 h par jour, structure flexible, permettant aux travailleurs en théorie de faire une semaine de 5 jours 1/2 au lieu de 6), sous le premier ministre de centre-droit Georges Clémenceau, contrait et forcé il convient de préciser (des menaces de grèves et de gros mouvement social, chômage de masse et montée de la gauche, la naissance du Parti communiste créant un vent de panique à droite qui se bougea enfin pour améliorer les conditions de travail).

    Les syndicats français d’ailleurs réutilisèrent le famous slogan “8 Hours of Sleep, 8 Hours of Work, 8 Hours of leisure” de la Révolution industrielle au Royaume-Uni (celui utilisé dans les années 1810-1820 par les réformateurs sociaux, puis plus tard aux USA par le mouvement Labor à la fin du 19è siècle. Là encore, cette semaine anglaise mit des années avant de profiter à tous. Une menace de la gauche qui se matérialisa d’ailleurs aux élections de 1924, les partis de gauche enregistrant 54% des voix lien, contre 44 % à celle de 1919 lien (absence de parti communiste alors, créé en 1920).

    La grosse avancée sur les conditions de travail arrivera bien sûr avec les Accords de Matignon en 1936, 40 heures, congés payés, etc.

    Le rôle des syndicats dans l’essor du foot en Angleterre fut non négligeable, et on peut légitimement penser que le syndicalisme français, alors en retard d’environ 20-30 ans sur son homologue britannique car limité dans son expansion, par la légalisation tardive (loi Waldeck-Rousseau de 1884, mais restrictions) et lente (seul un syndicat autorisé encore 25 ans plus tard, la CGT), faible unionisation et syndicats toujours interdits dans fonction publique, etc. Ça ne se décanta vraiment qu’à partir de 1919, dans un premier temps, puis 1936 dans un deuxième.

    Dans cet article lien sur la naissance du foot à Liverpool (notoirement plus lente que dans les Midlands et région de Manchester, les berceaux du foot anglais), dans le chapitre “Le football à Liverpool : une entame poussive”, j’explique les raisons de ce retard, en résumant brièvement comme je l’indique le propos du sociologue John Williams dans l’excellent livre “Red Men”.

    L’une de ces deux raisons principales tient au morcellement du marché du travail à Liverpool, et donc à l’absence d’un syndicalisme fort, ce qui empêcha pendant longtemps l’établissement de conditions favorisant la pratique d’un loisirs, comme par exemple le samedi après-midi de repos, qui ne fut octroyé aux dockers & employés du port qu’en 1890 à Liverpool, soit 40 ans après leurs collègues ouvriers et employés des régions où existaient des contre-pouvoirs, comme le Lancashire voisin :

    “D’autre part, le prolétariat – employé dans les activités marchandes et portuaires – ne bénéficie ni des avancées sociales ni de la législation en vigueur ailleurs dans le pays (congé du samedi après-midi, durées de travail, etc. voir ici et ici), acquis souvent conquis de haute lutte. On baigne en plein cambouis de la révolution industrielle et le « progrès social » ne suit pas le rythme effréné des bouleversements économiques à grande échelle (des changements si soudains et profonds que Friedrich Engels comparera la révolution industrielle britannique à la révolution française). Aussi, depuis l’avènement du Luddisme – mouvement qui nourrira d’autres révoltes, dont celle des Canuts -, le militantisme est de rigueur. Sauf à Liverpool qui souffre d’un isolement social partiellement dû à sa condition de ville non manufacturière. La main d’œuvre, souvent intérimaire, y est fragmentée et peine à se mobiliser (les syndicats, légalisés nationalement en 1871 après des décennies d’oppression, y sont largement absents).

    La nature précaire de l’emploi local fait donc accuser à la région un retard considérable sur le reste du pays et l’essor du ballon rond s’en trouvera d’autant plus freiné. Le samedi après-midi de repos, l’un des facteurs clés du développement du football de masse au Royaume-Uni (aussi bien niveau pratiquants que spectateurs), ne sera par exemple octroyé aux dockworkers qu’en 1890… quarante ans après leurs collègues ouvriers du textile de l’East Lancashire voisin ! (où certains derbies attiraient plus de 10 000 spectateurs dès 1880).”

    Un exemple peut-être aussi applicable à la France jusqu’aux années 1920, qui concourt à expliquer le plus lent démarrage dans l’Hexagone même si les raisons principales tournent surtout autour de ce que j’ai développé précédemment.

    Bon, je dois filer, j'ai un tas de trucs à faire et je suis horriblement à la bourre.

  • theviking le 06/12/2021 à 15h42
    Merci Mangeur pour toutes ces précisions.

  • dugamaniac le 08/12/2021 à 10h09
    Je trouve ça heureux que le foot d'élite ne se multiplie pas à Paris ou dans les grandes metropoles en France.
    Ça assure un plus grand maillage, que ça ne profite pas toujours au même.

    Je vois ça comme une qualité de notre foot,pas un defaut

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