Kahn 2002, la faille du Titan
Les héros malheureux de la Coupe du monde – Pour une seule erreur, Oliver Kahn précipite la défaite de l'Allemagne en finale d'un Mondial asiatique au cours duquel il aura été absolument brillant.
La Coupe du monde et Oliver Kahn, c’est une longue relation qui commence dès 1994. Le grand blond, qui joue alors à Karlsruhe et n’a encore jamais été appelé en sélection, est du voyage aux États-Unis avec le Nationalelf de Berti Vogts en tant que troisième gardien, derrière le champion 1990 Bodo Illgner et son dauphin Andreas Köpke. Pour France 1998, quatre saisons au Bayern et dix sélections plus tard, Kahn est le premier remplaçant du gardien marseillais. Il lui faut attendre quatre années supplémentaires pour vivre sa première Coupe du monde sur le terrain, après dix matches de phase finale sur le banc. Le tournoi asiatique, pour lequel son pays a dû passer par les barrages pour se qualifier, constitue pour Kahn sa dernière chance de la saison 2001/02 de gagner un titre.
Pour un ballon relâché
L’Allemagne ne figure pas parmi les favoris de cette édition. Mais elle parvient à se hisser en finale grâce à son précieux trio: en attaque, la révélation de l’année Miroslav Klose; au milieu, l’animateur Michael Ballack, déjà buteur en quarts et en demi-finale; et enfin dans les cages, Kahn. C’est grâce au Titan blond que l’Allemagne présente un bilan quasi-parfait d’un seul but concédé avant la finale – et même aucun lors des matches à élimination directe contre le Paraguay, les États-Unis et la Corée du Sud, tous gagnés 1-0. Le portier bavarois s’est tout particulièrement distingué lors de la deuxième rencontre de groupe contre l’Irlande, retardant au maximum l’égalisation des Verts, ainsi qu’en quarts de finale face aux États-Unis, multipliant les arrêts décisifs et spectaculaires, tout en puissance physique.
En finale, l’affiche est inédite. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les deux ogres Allemagne et Brésil ne se sont jamais rencontrés en phase finale de Coupe du monde. Ballack est suspendu et l'on attend beaucoup du duel opposant un Ronaldo transformé et un Kahn infranchissable. En première période, lancé dans la surface par une passe de Ronaldinho, l’attaquant de l’Inter devance la sortie du portier munichois mais sa tentative soudaine du gauche passe à côté. Dans une configuration similaire, Ronaldo effectue un contrôle un peu long et ne peut qu’essayer une frappe en bout de course que Kahn capte aisément. Le Titan est ensuite sauvé par sa barre transversale sur un tir lointain de Kleberson. Surtout, il effectue un magnifique arrêt réflexe du pied sur un boulet de Ronaldo au point de penalty.
Les Brésiliens butent sur le meilleur gardien du tournoi, qui semble encore dans un jour de grâce. À la reprise, ce sont les Allemands qui se créent désormais des opportunités. Oliver Neuville touche même le poteau sur un coup franc lointain. Il y a, enfin, cette fatale 67e minute. À trente mètres du but, Ronaldo se démène pour récupérer un ballon perdu et initie un une-deux avec Rivaldo. Du moins, c’est l’option qui paraît la plus naturelle à tous. Mais le numéro 10 auriverde préfère tenter une frappe du gauche. Kahn est sur la trajectoire, se couche en avant pour capter le ballon. Mais celui-ci lui échappe et retombe devant lui. Ronaldo, qui avait évidemment suivi, saisit l’offrande et pousse le cuir au fond des filets. Le tournoi des uns et des autres vient de basculer. Brillant jusque-là, Kahn commet sa seule erreur de la compétition.
Des responsabilités assumées
L’ultime rempart allemand admet complètement sa faute. Il aurait pu se réfugier derrière sa blessure à l’annulaire contractée à la 51e minute, quand Kleberson a essayé de reprendre un ballon mais a atteint sa main – mais il dément une quelconque gêne. Il aurait aussi pu invoquer le mauvais sort d’avoir eu au sifflet Pierluigi Collina, déjà arbitre de l’Allemagne-Angleterre de sinistre mémoire (1-5 à Munich en 2001) et de la finale de C1 perdue par le Bayern contre Manchester United (1-2 à Barcelone en 1999). Mais Kahn assume. Malgré le lourd poids de cette défaite qui fait que, plus que son seul doigt, c’est l’homme tout entier qui ressent la douleur accompagnée de la frustration de l’échec. Comme il le dit lui-même: "Cela a été ma seule erreur en sept matches, elle a été sanctionnée. C’est dix fois plus amer.”
Cette défaite en finale n’empêche pas Kahn de remporter le Prix Lev Yashin du meilleur gardien du tournoi, ainsi que le trophée du meilleur joueur du tournoi – une grande première pour un gardien. Mais cet instant où il relâche le ballon et permet ainsi à Ronaldo de marquer lui coûte probablement le Ballon d’Or 2002, dont il finit troisième derrière... Ronaldo et Roberto Carlos. À défaut de succéder à Yashin, il devient le premier et unique gardien à figurer deux années de suite sur le podium de ce classement. Piètre consolation.
Contrairement à son bourreau brésilien Ronaldo, qui aura eu la chance de disputer – et de gagner – cette finale de 2002 pour faire oublier celle ratée quatre ans plus tôt en France, Kahn ne bénéficiera pas de session de rattrapage au Mondial suivant. Après la démission de Rudi Völler, consécutive à l’échec retentissant de l’Euro 2004, le nouveau sélectionneur Jürgen Klinsmann instaure une concurrence entre Kahn et Jens Lehmann. Celle-ci sera intense et féroce, aucun de ces deux gardiens aux forts caractères ne voulant céder devant l’autre. Au terme des rencontres amicales menant à la WM à domicile, Klinsmann décidera de faire du portier d’Arsenal son titulaire, et du Titan du Bayern son remplaçant – une décision que Kahn acceptera, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Reconverti supporter de son concurrent au cours du tournoi, Kahn conclura sa relation avec la Coupe du monde le 8 juillet 2006, avec une victoire 3-1 contre le Portugal, lors d’une petite finale qui le verra porter une cinquantième et ultime fois le brassard de capitaine. Sans jamais avoir connu en sélection la joie d’un sacre comme il en aura tant connus au Bayern.